> Carte de l’EP et Carte scolaire en EP, > Carte de l’EP (Types de docs et Listes) > Carte de l’EP (Rencontres, Productions et Positions OZP) > Rencontre OZP du 3 avril 2024 sur la carte de l’EP : échanges avec les (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Rencontre OZP du 3 avril 2024 sur la carte de l’EP : échanges avec les participants (10 p.)

24 avril

Carte de l’éducation prioritaire : historique et méthodes
Rencontre OZP du 3 avril 2024

Echanges avec les participants

Directeur d’école
Est ce que choisir ces indicateurs finalement en se disant qu’on ne doit pas faire varier le volume global n’est pas problématique dans le sens où on ne prend pas en compte, dans ce cas là, l’évolution économique générale dans la société qui elle, est plutôt en pente descendante pour une majorité des gens ?
Donc en fait, à un moment donné, on va voir que les IPS vont avoir tendance à diminuer, peut être lentement, et en se disant qu’on reste à 20 %, est ce qu’on ne risque pas de faire gagner l’économique plutôt que de réellement faire rentrer les gens qui ont besoin d’être dedans.

Animateurs
L’une des réponses, c’est de dire que c’est moins une question de niveau économique général des familles, qu’une question de ségrégation sociale et territoriale. Parce que c’est cette question là, qui justifie l’éducation prioritaire : ces endroits où beaucoup de personnes sont concentrées dans un entre soi social qui ne les aidera pas à aller vers la réussite. Cette carte doit être décidée en fonction de cette inégale répartition et non en fonction du niveau économique général.
Il y a un deuxième élément très important c’est la question de la démographie. Inégale selon les quartiers, parce qu’on voit que très vite, dans les quartiers populaires l’habitat est saturé. Car, dès que quelqu’un s’en va, quelqu’un arrive parce que le besoin de logement social est considérable actuellement. Donc il n’y a pas de baisse des effectifs dans les collèges de l’éducation prioritaire même s’il y a une démographie générale en baisse importante. Au global, ce n’est pas parce que les gens qui vivent dans les quartiers feraient beaucoup d’enfants, C’est parce qu’arrivent des familles qui viennent avec beaucoup d’enfants. Et c’est un élément important de la difficulté du travail enseignant que cette situation de changement de leur population qui fait qu’à la fin de l’année ils n’ont pas nécessairement les mêmes élèves qu’au début.

Jean-Yves Rochex
Est ce qu’on ne devrait pas se préoccuper aussi de la question de la taille des établissements : est ce qu’il ne reste pas des cas où il y a encore des très gros collèges ?
Est ce que ça ne devrait pas entrer dans le travail de dentelle de la carte ?
Par ailleurs est ce qu’on a des éléments qui permettent d’objectiver l’allocation différentielle de moyens hors éducation prioritaire ? Si on avait une politique d’allocation différentielle de moyens qui ne soit pas à la marge, si on avait des politiques proportionnelles à des indices établis de manière transparente, on éviterait les effets de seuil.

Animateurs
Il n’y a pas de données publiques sur le sujet de l’allocation progressive des moyens. Le ministère dispose de ces informations mais pas le public. Auparavant, avant 2017, les tableaux de bord de l’éducation prioritaire indiquaient la diversité des moyens dans les académies (ces archives qui étaient publiques sont disponibles sur le site de l’OZP). Or, on s’apercevait que l’éducation prioritaire, selon l’Académie, selon le département, pouvait être plus ou moins bien traitée en termes de moyens. Donc on peut dire que, en réalité, il y a toujours un différentiel de moyens favorable à l’éducation prioritaire. Mais ce différentiel peut être extrêmement hétérogène selon les académies, pour ce qui est des collèges. Pour ce qui est des écoles, je serais beaucoup plus embarrassé à en parler aujourd’hui, parce qu’on n’a pas non plus de visibilité sur les moyens que représentent les classes dédoublées qui ont mis tout d’un coup dans l’éducation prioritaire, une quantité de moyens assez considérable dans une période de baisse d’effectifs.
Une telle baisse d’effectifs va se produire pour les collèges dans deux ans, et dans cinq ans pour les lycées. Donc les moyens, il y en aura dans le second degré. Sur la question de l’allocation progressive des moyens, je pense qu’on pourrait aujourd’hui dire qu’on est capable de faire une politique d’allocation progressive des moyens plus résolue. On en est capable parce qu’il y a des moyens. Ensuite c’est une question de volonté.
Sur la question des collèges de grande taille, il est vrai que depuis le rapport Moisan Simon on a voulu développer des collèges de taille raisonnable dans l’éducation prioritaire. Il est probable que c’est assez bien réalisé sauf dans les endroits où la démographie est en croissance et où les départements doivent construire en priorité pour accueillir comme c’est le cas dans les zones très populaires comme la Seine Saint-Denis ou certains départements à démographie particulière comme Mayotte ou la Guyane.

Jean-Yves Rochex
Quel est le type de moyens possibles d’allocation dégressive des moyens dans les écoles publiques ? Et dans les écoles privées, pour dégager des moyens on peut aussi envisager une allocation dégressive des moyens dont ils n’ont pas besoin ? Si on veut donner plus, il faut donner moins à d’autres qui ont trop selon des critères publics.

Animateurs
Je ne sais pas le dire aujourd’hui, mais par exemple, sur la question des écoles orphelines, qui sont des écoles dont on reconnaît qu’elles sont en difficulté, même si elles sont isolées et non rattachées à un réseau, je pense qu’il y a des académies et des départements dans lesquels il y a eu de l’allocation de moyens importants en faveur d’ « écoles orphelines ». Je pense qu’il y en a maintenant, je ne sais pas dire combien, je ne sais pas dire où avec précision. Je n’ai pas les éléments. Et la question d’une allocation dégressive relève de choix politiques.

Jean-Paul Tauvel
Si on considère les réseaux sociaux, on doit évoquer l’amertume de certains enseignants qui s’expriment en disant : on avait de très mauvais résultats, on s’est défoncés, ça s’est beaucoup amélioré et puis on n’est plus en éducation prioritaire.

Animateurs
A notre connaissance, ça ne s’est pas produit. On ne sort pas d’éducation prioritaire un établissement défavorisé qui réussit dès lors que la carte de l’éducation prioritaire est établie avec des données sociales. C’était un élément qui était déjà présent dans le rapport Moisan-Simon, qui disait clairement que la carte de l’éducation prioritaire ne devait pas être construite à partir des données scolaires. La politique d’éducation prioritaire ce n’est pas là où il y a des difficultés scolaires, c’est là où il y a des difficultés sociales qui ont des conséquences scolaires. Et ça c’est très important parce que ça évite ce que tu dis justement. C’est à dire que ça évite effectivement d’avoir des écoles qui sortiraient de l’éducation prioritaire parce qu’elles réussissent. D’autre part cela rappelle que la politique d’éducation prioritaire est bien une politique d’exception pour des quartiers de concentration de difficultés sociales. La question de la difficulté scolaire c’est une question à laquelle doit répondre toute l’école dans le droit commun.

Mais c’est vrai que quand j’étais au Carep de Reims avant 2010, c’était une question que me posaient souvent les équipes Ils me disaient « oui, mais nous, il ne faut pas qu’on travaille trop bien parce que sinon on va sortir ». Je leur expliquais qu’ils n’allaient pas sortir du tout parce que ces critères là n’étaient pas pris en compte pour entrer ou sortir de l’EP. En revanche, quand on travaille c’est important de suivre les indicateurs de réussite pour voir si on travaille bien, si on fait bien ce qu’il faut, etc. Mais ça ne rentre pas en ligne de compte pour rentrer ou sortir. Le problème de cette époque, c’était le flou quand les critères justement n’étaient pas nationaux. Il y avait des académies qui prenaient en compte effectivement ces données scolaires pour entrer ou sortir des établissements, ce qui n’était pas le cas de notre académie à Reims. Donc cette situation hétérogène a créé cette réflexion des enseignants. A partir du moment où les critères ont été nationaux et clairement énoncés, cette situation ne doit plus se produire.

Anne Armand
J’ai connu cette situation à Allonnes, dans l’académie de Nantes, dans la banlieue du Mans, deux collèges qui étaient assez proches l’un de l’autre. Effectivement, ils étaient au départ classés de la même façon, puis il y en a un qui est sorti et ça a été extrêmement difficile comme situation à gérer parce qu’il y avait exactement ce que dit Jean-Paul : les professeurs avaient le sentiment d’avoir très bien travaillé puisque les résultats scolaires s’amélioraient et en conséquence, ils ont été punis. Mais effectivement, c’est parce qu’au départ, c’était flou. C’est pour cela qu’il est important d’avoir une politique claire.

Directeur d’école
Actuellement est-ce qu’on a pas une corrélation entre école inclusive et éducation prioritaire ? Parce que tout à l’heure on disait justement que les SEGPA sont beaucoup plus présentes en éducation prioritaire. Et au vu des données locales que je connais, on a une légère impression que l’école inclusive se passe beaucoup dans le REP+ et très peu dans les villes d’à côté. Alors on n’a pas encore réussi à percevoir d’où ça pouvait venir. Est ce que c’est une espèce d’appel d’air ? Parce que les gens, sachant qu’il y a des écoles qui accueillent plus facilement, ils font tout pour arriver sur la ville ? Ou est ce que c’est lié à d’autres aspects ? On n’a pas encore réussi à percevoir exactement à quelle finalité cela répond. Mais quand tu te retrouves avec plus de deux autistes par classe en moyenne, tu finis par te poser des questions.

Animateurs
Oui, nous on a compté les ULIS et il y en a beaucoup plus en éducation prioritaire.

Il y a plusieurs phénomènes, il a pu y avoir une sorte de détournement du sens et de l’usage des ULIS pour les élèves en difficulté : on déclare handicapés des élèves en difficulté et de ce fait on implante les ULIS en éducation prioritaire. Ou bien l’implantation des ULIS en éducation prioritaire est décidée parce qu’on sait des équipes capables d’assurer et d’assumer l’accueil, l’intégration et la prise en compte de la différence. Ça nous a été dit clairement quand je travaillais en ZEP à l’époque.. Tout un tas de dispositifs dans nos écoles ont chargé un peu la barque. C’est gentil de nous valoriser comme ça. On sait que ces écoles sont accueillantes, qu’elles sauront faire donc on met les dispositifs là. Pour que ça se passe bien. Ça part d’un bon sentiment, mais ce n’est pas vraiment normal.

Jean-Paul Tauvel
Des remarques à faire sur les tableaux de plus value que l’on publie régulièrement maintenant ?

Animateurs
Tu parles des indicateurs de valeur ajoutée des lycées (IVAL) puis de ceux des collèges (IVAC). Ceux des collèges sont quand même beaucoup plus douteux quant à leur intérêt, parce qu’ils ne reposent que sur la note à l’écrit du brevet ou sur le pourcentage de réussite au brevet dont on sait qu’il varie beaucoup en fonction des notes données au contrôle continu. Alors, le pourcentage de réussite, n’en parlons pas, puisque c’est quelque chose qui se manipule très facilement. Faire varier en revanche la note à l’écrit du brevet, c’est plus improbable. Donc la note à l’écrit à l’examen, c’est ce qu’il faut retenir si on retient cet indicateur des IVAC. Ça dit qu’effectivement une équipe par rapport à une autre a obtenu en fin de scolarité de collège des résultats meilleurs que les autres par rapport à un même public accueilli. Tel établissement est considéré comme ayant apporté une valeur supérieure à celle d’un autre collège, par comparaison avec les élèves entrant dans le collège. Par comparaison avec la situation des PCS, parce que c’est toujours la dessus que ça repose. Ça permet de dire qu’on peut considérer qu’il y a une valeur ajoutée à population comparable. Je trouve que c’est intéressant dans le principe parce que ça nous a permis, notamment pour les lycées de mettre en évidence des conditions de réussite.
Il y a d’ailleurs eu un rapport des inspections générales qui a été intéressant sur ce sujet là. Ils sont allés voir les lycées qui avaient la meilleure valeur ajoutée. Ce rapport a finalement confirmé ce que la recherche nous dit depuis un certain temps déjà, notamment les travaux d’Aletta Grisay, qui, il y a des années déjà, disait que, effectivement, s’il y avait un bon climat scolaire, de l’exigence pédagogique, c’était mieux que s’il n’y avait pas ça. S’il y avait notamment, un chef d’établissement qui était davantage centré sur le pédagogique que sur l’administration, c’était mieux aussi. Donc tout ça, finalement, ce sont des choses que l’on savait déjà, mais les IVAL permettent de le confirmer, permettent aux équipes à la limite de se le confirmer. Moi je trouve ça intéressant de pouvoir dire qu’il y a là une source d’information à partager avec les collègues sur ce qu’il est pertinent de faire en éducation prioritaire. Et montrer par exemple, comme les IVAL l’ont montré, que le lycée de Clichy sous Bois, n’’accueillant que des élèves des trois collèges REP+ de Clichy sous Bois était un lycée qui avait une valeur ajoutée incomparable parce que les équipes étaient au boulot dans ce lycée, que l’académie avait aussi mis des moyens pour permettre cela. C’était quand même intéressant. C’était intéressant parce que ça montrait que des modèles de travail global, c’est à dire aussi bien le travail de l’administration que le travail des enseignants, le modèle de travail, pouvaient avoir un effet plus intéressant qu’un autre. Notamment le travail collaboratif aussi, élément d’efficacité reconnu. Pour les collèges, c’est beaucoup plus fragile que sur les lycées, et à manier avec précaution.

Jean-Yves Rochex
Pour la régulation, c’est intéressant d’identifier la valeur ajoutée, d’observer la valeur ajoutée produite. Mais il ne faut pas manquer de regarder les rapports d’interdépendance. On voit bien que les phénomènes d’évitement et les effets de ségrégation que ça produit ont des effets sur certains établissements qui ne relèvent pas seulement des politiques et de ce qui se fait dans les établissements eux-mêmes.
Je trouve qu’il y a beaucoup d’intérêt à voir les « effets établissements ». Mais je suis quand même très prudent sur l’idée « d’effet établissement » parce qu’entre observer un établissement et parler de ce qui est produit par l’établissement il y a une marge qu’il convient d’explorer. Ça ne veut pas dire que l’établissement serait sans effet sur ce qu’effectivement la valeur ajoutée montre et le cas, par exemple, du lycée Utrillo à Stains est intéressant aussi. Mais soyons prudents parce que certains chercheurs et les politiques ont parfois assez vite fait de faire des explications statistiques des explications causales. Le passage du constat à l’imputation de responsabilité est souvent trop rapide. Je sors d’une réunion au CNRS sur l’éducation toute la journée, je vais vous dire que ça va vite dans ce sens. Y compris chez des chercheurs qu’on pourrait penser plus prudents.

Pierre Caminade
Je suis enseignant en Vendée, en terme de ségrégation public privé, c’est très significatif 51 % du premier degré dans le privé. Pas loin des 60 % dans le second, même si ce n’est pas comparable avec du public privé de grande ville. En même temps, je suis membre du secrétariat national du SNUIPP.
Je vous propose de rebondir sur plusieurs points :
Le premier, c’est que l’école va mal. Je ne dis pas cela pour avoir un constat fataliste mais cela explique que tout le monde demande à être en éducation prioritaire parce qu’on se dit il y a plus de moyens. Il y a beaucoup de collègues qui nous disent que vu les difficultés qu’ils rencontrent, ils méritent, entre guillemets, d’être en éducation prioritaire. Évidemment si tout le monde rentre, il n’y a plus de priorité.
Il faut dire que ces dernières années, avec les dédoublements, avec le niveau de rémunération aujourd’hui en REP+, qui est loin d’être volé, les effets de seuil sont énormes. Donc politiquement c’est plus que sensible. Par ailleurs, il n’y a pas vraiment de réseau de la majorité gouvernementale parmi les élus locaux. Donc ça fait que le sujet est plus que sensible à traiter.
Il y a les éléments aussi autour de la nécessité d’une politique nationale, donc avec des indicateurs nationaux objectifs aussi fiables que possible. Tout en ayant un travail de dentelle qui ne doit pas s’opposer avec l’objectivité de l’entrée ou de la sortie en éducation prioritaire. Je trouve que c’était bien présenté. Il faut avoir un regard à la fois macro et micro. Cet aller et retour, il est complexe tout en ayant une équité de traitement. Sur l’urbain / rural, alors on a l’habitude de dire que ce sont deux calques différents qui parfois se superposent, parfois non. Le mot « rural » pose problème. Il n’est pas forcément défini de la même façon entre des démographes, des géographes. Dans l’Éducation nationale même parfois on nous parle, pour la carte scolaire du rural, de la limite de 2000 habitants, parfois c’est d’autres critères encore. On souffre aussi du fait que le rural ou l’urbain n’est pas toujours défini. Et on peut avoir un exemple en tête de situations rurales notamment de rural isolé, où il n’y a aucune mixité. C’est tellement appauvri, il n’y a pas la même concentration de population, la même densité de population, et aucune réelle mixité sur des écoles, notamment avec des IPS qui peuvent être à 50, 55, 60.
Cela m’amène au sujet des écoles orphelines. La notion de réseau est importante et doit rester importante. Par contre, je pose la question de façon peut être un peu brute, mais j’ai l’impression que selon vous les écoles orphelines n’auraient pas vocation à rentrer dans la carte de l’éducation prioritaire parce qu’il n’y a pas de réseau. Je pense que ça ne peut pas être un élément bloquant. Ça fait partie des éléments à regarder à la loupe plutôt qu’à l’échelle macro. Parce qu’il y a quand même un gros enjeu. Est ce que les gens qui sont vraiment dans ces situations de non mixité avec peut être des difficultés encore plus grandes, parce que la mixité avec l’école d’à côté qui parfois est à dix kilomètres est presque impossible à réaliser. Ou alors c’est à l’échelle d’un territoire beaucoup plus large.
Et ça m’amène au dernier point que je voulais soulever sur la temporalité : Le fait d’entrer, de sortir de la carte, c’est un enjeu politique, d’éducation, de mixité sociale et non pas seulement de carte d’éducation prioritaire. Le problème c’est que ça prend du temps, voire un temps qui est très long pour faire évoluer la mixité sur un quartier. Parfois, une génération, enfin, au moins une cohorte, voire deux cohortes d’élèves pour que ça se fasse. Et en attendant, voilà, dans cette temporalité là, qu’est ce qu’on propose de faire ?

Animateurs
C’est vrai que la mixité sociale prend du temps si vraiment on veut la réaliser dans un univers recomposé. On pourrait penser qu’on retrouverait par exemple l’immeuble Haussmannien d’antan. Avec toutes les classes sociales dans une autre ségrégation interne, entre les étages. On pourrait essayer, chercher différentes façons de faire. C’est vrai qu’il y aurait matière à mener des recherches. On a des propositions à faire d’ailleurs là dessus, on a des idées sur ce qu’on peut représenter en matière d’usage des moyens de l’ANRU par exemple pour vraiment améliorer la mixité sociale, urbaine et de peuplement. C’est souhaitable, mais de long terme. En revanche, il y a un certain nombre de travaux qui ont été conduits, concrètement à partir de 2015 sur l’incitation de Najat Vallaud-Belkacem, mais à partir d’une loi qui avait été écrite en 2013 avec la mixité sociale comme un des objectifs. Donc il y a la possibilité de faire des choses, notamment en ce moment au Mont Mesly, à Créteil, avec l’hypothèse de l’idée d’’écoles de cycles qui permettent de mixer les élèves de deux écoles mais avec des inconvénients pour les enseignants : notamment la possibilité de passer du CP au CM2 dans son école. Il y a matière à faire des petites choses concrètes, qu’à ma connaissance, on ne fait pas tant que ça, notamment sur les écoles. On le fait un peu plus sur les collèges que sur les écoles au sein des villes. J’avais été très frappé à Paris, sur le fait qu’il ne suffit pas de faire un même secteur pour deux écoles pour que ça marche. En 1998, c’était le cas des écoles du 100 et 102 avenue de la République mais il se trouvait que l’une des deux était école d’application et les parents bien informés se débrouillaient pour que leurs enfants soient dans cette école là. On s’en était aperçu en regardant les tarifs de cantine. Dans l’une des deux il y avait plus de réductions et beaucoup moins dans l’autre. Autrement dit, la situation sociale de deux écoles, qui étaient juste à côté, n’était pas la même. C’était le même périmètre scolaire mais la répartition de fait était ségréguée. Donc ça ne suffit pas de dire qu’il n’y a qu’un seul périmètre. Il faut aussi que ce soit travaillé. Et c’est le problème de la plupart de nos mesures, une des grandes difficultés : il ne faut pas seulement prendre la mesure, il faut l’appliquer. Ce qui pèche souvent, c’est la véritable application de la mesure, c’est à dire la pousser vraiment jusqu’au bout, la soutenir contre les vents contraires.

Mais c’est vrai que quand on parle de travail sur la mixité sociale, c’est une réflexion qui est essentiellement menée sur les collèges. Il y a quand même un rapport entre la mixité sociale dans le collège et la mixité sociale dans les écoles qui alimentent le collège. Or on ne travaille pas suffisamment cette question sur les écoles alors que c’est pourtant possible. Je connais bien des endroits où on pourrait changer les secteurs, ce qui changerait complètement la configuration.
Sur la question que vous soulevez en parlant des enseignants qui disent « mais nous, c’est vrai qu’on pourrait y être ». Je sais que ce n’est pas forcément facile de répondre à ça, mais je pense qu’il y a un moment, avec les enseignants, où il faut quand même avoir la discussion de ce que c’est que le droit commun. Parce que effectivement, dès qu’on a des difficultés, on demande une politique, une politique d’exception prioritaire. Alors que ça relève plus du droit commun. C’est quand même assez grave d’aller vers ce raisonnement là et discuter ces solutions qui paraissent simples, qui sont un petit peu faciles, qui pourraient sembler relever du bon sens, mais qui posent d’autres problèmes. La difficulté, c’est qu’on doit lutter contre cette logique pragmatique qui domine la société avec l’idée que un problème, une solution.
C’est une idée reçue sur l’éducation prioritaire qui, veut qu’il faille être en éducation prioritaire pour bénéficier d’un certain nombre de moyens qui lui seraient attachés ce qui en fait n’est pas forcément vrai ;sauf pour les régimes indemnitaires.

Directeur d’école
En fait, les RASED sont incomplets depuis 20 ans et on nous dit qu’on a davantage de moyens. Mais c’est vrai sur le papier. La réalité des choses en fait, concrètement, est différente. Souvent il n’y a pas de remplaçant depuis le début de l’année comme dans tout le reste de la France parce qu’il n’y a plus d’enseignant, etc. Donc même si officiellement tu as une étiquette, ça ne veut pas dire que dans la réalité ça change grand chose. La vraie différence est en effet dans cette histoire de prime qui elle je pense en effet, met un biais réellement.

Animateurs
Mais en termes de moyens, le nombre limité d’élèves par classe en éducation prioritaire (deux élèves de moins en moyenne) ce n’était écrit nulle part.
Les dédoublements des classes de cycle 2 ont amené cette idée d’une différence importante.

Pierre Caminade
C’est le dédoublement et l’indemnité qui ont amené cela. Les enseignants se disent : « il y a pas de RASED, j’ai plus de remplaçant, j’ai plein d’enfants en situation de handicap que j’arrive pas à gérer », d’ailleurs ces trois éléments là n’ont pas de rapport avec l’éducation prioritaire. Mais tout le monde subit une violente dégradation des conditions de travail, un manque de reconnaissance. Donc on aspire à mieux, on regarde chez le voisin si l’herbe est plus verte. Sauf qu’en fait c’est une fausse réponse à des vraies problématiques.
La réponse à des politiques destructrices de l’école n’est pas de mettre tout le monde en EP, il faut des mesures pour tout le monde et des politiques spécifiques pour l’éducation prioritaire. C’est ça qu’il faut réussir à faire.

Jean-Yves Rochex
Il y a une logique pragmatique qui consiste à identifier école en milieu populaire et éducation prioritaire. Mais en réalité 70 % des enfants de milieux défavorisés sont hors éducation prioritaire et heureusement parce que si on se dit que l’école pour les milieux populaires c’est l’éducation prioritaire, c’est la fin de l’école publique. Et un tel discours n’appelle pas, à ce que l’école se transforme dans son ensemble pour faire face aux inégalités scolaires et faisant face aux inégalités scolaires, pas simplement pour le profit de ceux qui en sont le plus victimes, mais aussi pour tous les autres. C’est un des paris de l’éducation prioritaire d’inspirer l’ensemble. Et c’est très dangereux parce que l’opinion publique va effectivement voir l’ensemble de ce qui marche et réclamer ce qui marche.

Marc Douaire
L’OZP a toujours insisté d’ailleurs sur les deux aspects : démocratisation et transformation de l’ensemble du système et aussi politique d’éducation prioritaire mais il ne faut pas une coupure avec une réserve d’Indiens à côté du reste. Ce qui est intéressant de voir, c’est que, en 2019, on devait avoir un bilan des projets et de la carte. En fait, c’est la carte qui alerte les politiques : les projets ils ne s’y intéressent absolument pas. Il faut revenir un petit peu en arrière quand on a demandé à rencontrer Jean-Michel Blanquer on nous a confirmé qu’il n’était pas question de révision de la carte. Ensuite, on a eu aussi le rapport Mathiot/Azéma. Ils ont rencontré l’OZP et l’argument, c’était la carte. Et c’était notamment les écoles orphelines. Ils nous disaient que carte était trop raide et trop rigide et que pour dynamiser un peu tout ça on garderait les REP+ qui seraient pilotés nationalement et le reste on le laisserait à la main du terrain. Ensuite, on a eu Nathalie Elimas qui était d’une philosophie assez proche, même si elle a évolué avec le temps. Elle a proposé les CLA pour remplacer les REP. Et là aussi ce n’était plus une politique nationale, avec des critères sociaux c’était des politiques d’établissement. Et on a continuellement dans le débat avec les élus des rapports contradictoires. On l’a vu d’ailleurs, que quand on était auditionnés par la mission parlementaire, les élus Renaissance, nous demandaient ce que c’était qu’un réseau ? Ce qui se passait en école maternelle ? C’est légitime qu’un élu pose ce genre de questions. C’est un peu inquiétant si c’est partagé par l’ensemble. Mais bon, la tendance quand même, c’est à l’effacement du pouvoir national, de l’État. C’est une charge financière. Le rôle de l’État est atrophié et laisse la main à d’autres acteurs au plus près du terrain dans une logique de décentralisation., On voit bien que c’est une tendance générale. Surtout de la part de que de ceux qui ne connaissent pas l’éducation prioritaire. C’est le cas des médias, c’est très net et c’est quotidiennement qu’il y a ce discours sur le fait que la carte est trop rigide, qu’il faut donner la main au terrain. Qu’est ce que ça veut dire donner la main au terrain ? Pour nous, la question des politiques d’éducation prioritaire relève de la responsabilité de l’État. La lutte contre les inégalités sociales, ça relève de la responsabilité de l’État. Après que, dans la mise en œuvre, on y associe les politiques locaux et les citoyens c’est évident !.

Animateurs
La carte a été révisée en 2014. Elle ne s’est pas faite à Paris ni à Bruxelles. Il y a eu quand même des discussions avec les académies, des allers et retours parce qu’effectivement c’est très délicat. Il y a des situations où il faut avoir des chiffres, voire des données objectives, Il faut être assez clair, puis après il faut s’expliquer avec les personnes qui sont en charge de l’éducation localement pour voir ce qui est possible, pour percevoir des choses qu’on n’a pas vu, connaître des éléments qu’on ne peut pas voir. Il faut se parler et s’écouter surtout et essayer de s’appuyer le plus possible sur des éléments objectifs. Sinon on peut être dans l’opinion, dans un dialogue sympathique, en buvant un verre, mais ce n’est pas un travail à proprement parler.

Jean-Yves Rochex
J’ai toujours une question, que j’ai déjà évoquée : la question de l’Unité de traitement. Partout on travaille sur le collège et son réseau mais on pourrait dire qu’il faut travailler aussi sur des unités plus larges dans certains cas. Mayotte par exemple appellerait peut-être une unité de traitement plus large, c’est aussi le cas de la Guyane, d’une partie de la Seine Saint-Denis. Des questions comme l’accompagnement en matière de formation pourraient justifier des cas particuliers. On n’avait qu’un seul modèle d’éducation prioritaire avec le réseau comme seule unité de traitement. Ça mériterait quand même d’être repensé, peut-être dans une perspective de révision de la carte : comment on peut mobiliser, y compris des collectifs de travail qui peuvent être pensés, notamment concernant la formation et l’accompagnement, sur une dimension plus large que simplement l’unité habituelle de l’établissement ou du réseau.

Marc Bablet
Je suis embarrassé parce que, selon mon expérience de terrain, quand j’étais inspecteur soit du premier degré soit d’académie, j’ai trouvé que c’est très très difficile de faire travailler ensemble des gens dans de grosses unités. J’ai essayé de travailler, par exemple pendant trois ans d’affilée avec la ville de Saint-Denis, un projet éducatif avec les collèges de la ville avec les trois IEN de Saint-Denis, avec la ville, ses services éducation, le conseil départemental. Mettre tout le monde d’accord sur la date de la réunion, c’est déjà difficile. Mettre tout le monde d’accord sur des axes de travail prioritaires et surtout après s’y tenir c’est encore plus compliqué. Je ne peux pas dire que j’ai eu plaisir à travailler dans des plus grosses unités qu’un réseau. Avant, quand j’étais inspecteur au Francs Moisins, je travaillais dans une unité de travail avec un principal de collège qui n’était pas n’importe qui, avec des directeurs d’école qui dans leurs différences étaient chacun dans une dynamique. C’était déjà, je trouve, pas si facile que ça de réussir des choses en commun mais on y parvenait.

Michèle Coulon
Concernant Mayotte, Guyane qui sont quand même des territoires bien spécifiques, j’ai eu le sentiment, mais je ne suis pas universitaire ni chercheuse, qu’il y avait un gros travail à faire pour essayer d’aider les personnels enseignants et tous les personnels qui travaillent, à faire face au plurilinguisme, au fait que le français n’est pas la langue maternelle et cette question se compose avec la question des difficultés d’origine sociale. La difficulté scolaire est beaucoup appréhendée sous l’angle de la question de la langue maternelle qui n’est pas le français, les difficultés scolaires sont donc principalement perçues comme des difficultés de langue, de culture, etc. Et la question sociale ? Le rapport au savoir ? La spécificité de ces territoires avec cette problématique du mélange de langues qui croise le post-colonialisme et la question des rapports sociaux au savoir, j’ai l’impression que ce n’est pas suffisamment pensé pour aider les personnels qui y travaillent. C’est l’impression que j’ai eue dans cette zone là. Il y aurait quelque chose de vraiment spécifique à mener pour pouvoir aider pédagogiquement les enseignants confrontés à ces réalités complexes. Sur des questions qui ne sont pas suffisamment pensés, ils ne sont pas assez aidés. Et même avec la politique d’éducation prioritaire, on a du mal à le faire.

Anne Armand
Je voudrais rebondir sur la question de la taille. Il me semble que l’intérêt de raisonner dans un réseau, c’est qu’on raisonne au niveau élève. Mon expérience des bassins dans l’académie de Nantes n’est pas favorable à des unités plus larges : On a créé des espèces de méga structures dans lesquelles on s’occupait de la structure. L’élève était une entité philosophique. Je ne dis pas qu’on ne s’y intéressait pas, mais...

Directeur d’école
C’est la question de la cité éducative. Déjà sur un réseau faire travailler ensemble un inspecteur, un principal de collège, un coordonnateur et des directeurs ça commence déjà à faire des gros groupes. Mais, dans la cité éducative, on met tous les services de la ville, ceux de la préfecture, on finit par arriver à un magma où chacun essaie déjà de s’affirmer par rapport à ses petits camarades à côté. Celui qui a le portefeuille arrive plus facilement à s’affirmer que les autres. Mais du coup, quid de la fameuse convergence éducative ? Et entre les deux cartes de priorités ville et éducation nationale ? Parce que c’est vrai qu’il y a quand même un certain chevauchement actuel visible à l’œil nu sur des supports de carte. Qu’est ce que cela va pouvoir donner ?

Marc Bablet
On peut dire que c’est important de penser les questions à différents niveaux de traitement. C’est un peu ce qu’on avait essayé de faire. C’est à dire que d’un côté, le niveau national se donnait pour objectif de mettre en place des formations de formateurs. Pour essayer de répondre à un besoin de terrain qui n’était pas rempli et que seul le niveau national pouvait remplir. Parce qu’on ne pouvait pas imaginer qu’il y ait des formations de formateurs par académie. Tout au moins, on n’aurait pas été en capacité de piloter si on le demandait aux académies. Parce que c’est aussi un problème, dès lors que l’administration Centrale pilote quelque chose, si elle ne s’en occupe pas vraiment concrètement, alors ça lui échappe totalement. C’est l’histoire de la première carte des ZEP qui échappe complètement au ministre et dépend largement des Inspecteurs d’Académie.
En conséquence, je suis d’accord pour dire qu’il faut que chaque niveau de responsabilité trouve le point sur lequel il a une valeur ajoutée. Il y a des points sur lesquels le niveau national n’a aucune valeur ajoutée. Quand le niveau national envoie une circulaire dans les écoles pour dire la grammaire, il faut la traiter tel jour, à telle heure, ça n’a aucune valeur ajoutée, ça ne peut pas marcher. Alors que si le niveau national donne des grandes orientations politiques, c’est son rôle et il doit se tenir à veiller à ce qu’elles soient vraiment mises en œuvre. C’est ça son rôle.
Actuellement, même quand des informations remontent, ils ne savent pas toujours quoi en faire, ni comment faire, ni quoi. Déjà, faut qu’ils y croient. Quand on a reçu le rapport sur la refondation sur le plan administratif par l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale (IGAENR à l’époque). Ce rapport sur le fonctionnement des académies par rapport à l’éducation prioritaire, on a découvert dans ce rapport beaucoup d’informations dont on n’avait pas d’idée. Il fallait selon nous en faire quelque chose. On n’allait pas laisser un rapport comme ça qui nous donne des informations intéressantes sans rien faire avec. Donc on a proposé une circulaire pour recadrer, redire ce qui était souhaitable, ce qui devait être renforcé. Et à l’interne du ministère il y a eu énormément de discussions, ça n’a pas été accepté, ça a été refusé au nom de l’autonomie des académies, au nom de l’autonomie des recteurs. Il y a un rapport qui dit que les recteurs ne font pas assez bien leur travail entre guillemets. Vous ne pouvez pas redire aux recteurs comment ils doivent le faire. On l’a fait quand même, mais on a eu beaucoup de mal. On peut penser que ça a fini par passer parce que le cabinet savait qu’il n’était plus là trois mois après. Donc ils ont accepté de laisser passer. Mais sinon, cette circulaire de 2017, elle ne serait pas passée parce que le ministère n’en voulait pas au nom de l’autonomie des académies. Moi, c’est une question que j’ai déjà posée ici à l’OZP : Est ce que l’autonomie, ça existe vraiment ?

Marc Douaire
Profitons de ces derniers instants pour vous annoncer la suite de nos travaux. Le samedi 25 mai, ici, dans ces locaux et dans la salle habituelle nous tenons notre séminaire sur l’école maternelle qui s’inscrit dans la continuité de notre travail sur le réseau que nous avons entrepris depuis deux ans. Sous l’intitulé : « Quelle conception de l’école maternelle en éducation prioritaire pour réduire les inégalités ? » Avec trois thématiques qui seront traitées. D’abord, nous attendons les nouveaux programmes qui sont annoncés et nous en parlerons. Ensuite nous traiterons une deuxième thématique sur la question du dédoublement en grande section et troisième thématique la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Pour chacune de ces thématiques, nous avons deux intervenants pour des regards croisés. Le séminaire aura lieu de 9 h 30 à 13 h/ 13h30.
Vous êtes tous cordialement invités.

Compte rendu rédigé par Marc Bablet

Ci-dessous le compte rendu des échanges en format PDF (10 pages)

 

Voir les autres comptes rendus de cette rencontre : Carte de l’EP (Rencontres, Productions et Positions OZP)

Répondre à cet article