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Repères pour la carte de l’éducation prioritaire (5) : quelques questions à traiter, par Marc Bablet (Ozp)

14 février 2023

Repères pour la carte de l’éducation prioritaire (5) : Quelques questions à traiter

Education prioritaire et question des critères

La question qui nous occupe est la question sociale de la réussite des enfants des milieux populaires dans l’école telle qu’elle existe actuellement. Il ne faut pas retenir d’indicateurs scolaires car, comme le disait déjà la circulaire de 1997, on risque de faire sortir de l’éducation prioritaire des écoles ou collèges qui réussissent, bien qu’elles accueillent des populations défavorisées.
Il faut en revanche retenir des critères sociaux et culturels bien corrélés à la réussite scolaire (c’est-à-dire qui expliquent assez largement les résultats d’une population de collège ou d’école) même si les taux de réussite sont aussi heureusement liés au travail des équipes professionnelles.
L’histoire montre aussi qu’il faut un pouvoir politique assez fort pour résister aux pressions locales soit pour ne pas sortir soit pour rentrer. Il faut aussi un accord syndical sur le principe d’évolutions considérées comme justes. Il faut ensuite un pilotage central assez exigeant pour que les critères soient retenus en priorité avant des considérations locales liées à diverses formes de pression. Il a fallu aussi résister à l’idée qu’il aurait suffi de se caler sur les Quartiers prioritaires de la ville (QPV) revus en 2014 sur la base du revenu des familles. Or il se trouve que le revenu seul est moins bien corrélé à la réussite scolaire que les indicateurs retenus avec la DEPP. Les indicateurs de 2014 étaient de fait très proches de ce que donne l’IPS aujourd’hui. Il semble que cet outil, avec la transparence dont il est l’objet aujourd’hui, permet de travailler aussi objectivement que possible sur cette question. Ensuite il ne retire rien au fait que les décisions sur cette base d’analyse doivent forcément être des décisions politiques puisque la question des critères dépend aussi des nombres d’écoles et collèges que l’on veut considérer comme prioritaires (cinq, dix, quinze, vingt,… %).

Education prioritaire et question privé/public

La première chose que l’on peut dire c’est que, à l’exception de la période RAR en 2006 (Monsieur Blanquer était alors au cabinet de monsieur De Robien) et ECLAIR en 2010 (Monsieur Blanquer était alors DGESCO), puis de la période CLA en 2019 (Monsieur Blanquer était alors ministre), le privé n’a jamais été concerné par la carte de l’éducation prioritaire. En conséquence, depuis les origines, la carte a toujours été faite à partir de données concernant uniquement l’enseignement public et par comparaison entre les situations sociales des établissements publics. Ce sera donc un premier choix politique qu’il sera intéressant de connaître d’entrée de jeu : le ministre fera-t-il encore une fois comme son prédécesseur : associer le privé à la question de l’éducation prioritaire ou non ?
Cette question est d’importance idéologique et politique mais elle a aussi des incidences financières certaines dans la mesure où il faudra financer un éventuel soutien à des établissements privés. Rappelons que ceux-ci, comme ils ne sont pas soumis à la carte scolaire et qu’ils choisissent leurs élèves d’une part et comme ils accueillent en moyenne des populations beaucoup plus favorisées d’autre part, n’ont qu’à commencer par faire de la mixité sociale au sein de leur propre réseau afin de résoudre ainsi les éventuelles situations différentes sans faire appel à l’éducation prioritaire.

Education prioritaire et politique de la ville

On trouvera une chronologie rapide de la politique de la ville à ce lien
La première carte de l’éducation prioritaire a ignoré la politique de la ville naissante depuis 1976 à partir des questions d’emploi et de logement inscrite dans la politique dite « habitat et vie sociale » dont nous rappelons le devenir à ce lien.
Il faut attendre la fin des années 1980 et la mise en œuvre de la politique de DSQ (développement social des quartiers) à partir de 1988 sur la base d’expérimentations antérieures pour que l’éducation prioritaire soit concernée.
A partir de ce moment là la question reviendra dans de nombreux rapports et dans de nombreuses préconisations avec cette conviction souvent affichée « il faut mettre en cohérence la carte de l’éducation prioritaire avec celle de la politique de la ville ». Ce sera surtout le cas des rapports de la cour des comptes et de ceux des sénateurs.
En pratique la carte issue de la révision de 1990 est moins ajustée aux réelles difficultés des quartiers puisque des communes très défavorisées qui ne signent pas des DSQ en sont privées tandis que des villes qui signent des DSQ mais avec moins de difficultés l’intègrent.
En 2014, le choix a été fait de distinguer les deux cartes tout en regardant dans quelle mesure la carte de la ville (fondée sur les données de revenus moins bien corrélées à la réussite scolaire) et celles de l’éducation nationale fondées sur les professions et catégories sociales (mieux corrélées à la réussite scolaire) principalement, convergeaient. L’existence aujourd’hui de l’IPS encore mieux corrélé à la réussite scolaire et sa publication plaident pour que cet indicateur soit utilisé en priorité sur ceux de la ville pour ce qui est de la carte de l’éducation prioritaire.

Education prioritaire et étendue de la carte

Au cours de son histoire la carte de l’éducation prioritaire n’a cessé de s’étendre des origines à 1997. Depuis, même s’il y a eu des ajustements, elle est restée assez stable si l’on s’en tient aux grands chiffres. Environ 20% des élèves scolarisés en écoles et collèges publics. C’est-à-dire à peu près le pendant des effectifs du privé mais autrement répartis. L’équilibre actuel est le fruit de cette histoire qui nécessitait à la fois de prendre en compte les situations sociales qui le justifiaient et de garder la notion de priorité en n’étendant pas trop la carte. Sur cette question divers raisonnements sont possibles. On a pu vouloir donner des priorités plus fortes, ce qui fut fait à partir de 2006 avec la création des RAR devenus ECLAIR puis REP+. On a même pu considérer qu’il faudrait s’en tenir à cela. Mais d’autres pensent qu’il faut encore prendre en compte plus de situations. L’attitude à cet égard a varié dans le temps. L’éducation prioritaire faisait au départ l’objet de méfiance et il y eut des refus. On peut dire maintenant qu’elle est davantage souhaitée (avec l’idée qu’elle apporte des moyens) que rejetée (avec l’idée qu’elle stigmatiserait).
La question de son étendue est une question politique qui doit dépendre des moyens dont on dispose et des choix idéologiques que l’on assume. Maintenant que l’on dispose de l’IPS sur tout le système, on peut raisonner statistiquement sur des étendues possibles. En s’appuyant sur le fichier déjà cité des IPS des collèges où il y a 6967 collèges (5 n’ont pas d’IPS) dont 1662 privés et 4215 publics, on peut regarder la manière dont ces collèges se répartissent autour de la médiane (102,8) et déterminer des seuils qui seront toujours des choix. Quand on regarde la répartition d’ensemble, on voit que la courbe s’infléchit assez nettement vers 90 en ce qui concerne les plus défavorisés et vers 120 en ce qui concerne les plus favorisés.

Répartition IPS Collèges

On pourrait donc proposer de s’en tenir à cela mais compte tenu que cela amènerait à une extension de la carte (strictement il faudrait avoir dans la carte 1268 collèges publics), la décision politique peut aller plutôt vers 85 pour déterminer l’EP afin de resserrer un peu la carte. Un autre élément de la décision politique peut aussi tenir au fait qu’il ne s’agit pas de bouleverser la carte actuelle et donc de chercher le niveau où l’on a le moins de sorties à réaliser et le moins d’entrées en conséquence. On peut à cet égard penser à sortir avec des IPS un peu plus plus haut (par exemple sortir à partir de 95 plutôt que 90) et à faire rentrer avec des IPS plus bas (par exemple rentrer à 85 ou en dessous plutôt qu’à 90). Les choix à venir devront chercher le bon équilibre entre les contraintes et les intentions de justice de la carte.

Education prioritaire et question de la ruralité

L’éducation prioritaire se met en place historiquement pour répondre à une difficulté de la société française de nature sociale : l’inégalité de résultats de certains quartiers où sont concentrés les élèves des milieux populaires. Toutes les études dont on dispose sur les résultats des écoles et collèges ruraux montrent que cette inégalité ne s’y produit pas sauf dans quelques cas où c’est la situation sociale de fait qui l’explique. Autrement dit la question sociale ne s’applique pas au rural dans son ensemble et même pour l’essentiel, elle ne s’y applique que très peu. On verra à l’avenir si la paupérisation de certaines campagnes amène une évolution de la relation entre cette question sociale et la question de la ruralité.
La ruralité connaît d’autres problèmes notamment liés à la question des distances à parcourir pour atteindre certains niveaux de service ou certains types de formation. C’est la raison pour laquelle il existe des internats afin de ne pas pénaliser les élèves issus du rural vis-à-vis de telle ou telle formation. Mais la politique de l’internat n’est pas une politique de même nature que la politique d’éducation prioritaire. Elle ne vise pas à travailler sur les inégalités de résultats des élèves, même s’il y a lieu à y être attentifs, elle vise à leur permettre l’accès aux mêmes études qu’aux élèves urbains : c’est aussi une politique qui vise l’égalité face au service public mais pas exactement sur le même sujet. Il n’y a donc pas lieu de vouloir étendre la carte de l’éducation prioritaire à la ruralité pour résoudre des problèmes qui ne sont pas de nature socio-économico-culturelle comme le sont les écarts de résultats des élèves des milieux populaires concentrés dans les quartiers où est implantée l’éducation prioritaire. Mais il n’y a pas lieu non plus de renoncer à mettre en éducation prioritaire un réseau rural dès lors qu’il correspond aux critères sociaux de l’éducation prioritaire. Il faut surtout éviter d’opposer les uns aux autres. Le tableau ci-dessous montre très bien la situation comparée du rural et de l’urbain selon les catégories de l’INSEE pour l’ensemble des collèges privés et publics. Rappelons que le rang 0 correspond à des collèges pour lesquels on ne dispose pas de l’IPS. Si on considère que les rangs 1 (moins de 70 d’IPS) et 2 (entre 70 et 79,9 d’IPS) relèvent plutôt des REP+, il n’y a pas lieu d’avoir de REP+ dans le rural. Les six collèges qui apparaissent dans le rural en rang 2 : deux sont déjà en REP, deux sont dans le privé et les deux autres pourraient relever plutôt du REP car ils sont à 79 d’IPS.
Ensuite en rang 3 dans le rural autonome peu dense, où il est normal de trouver des REP, sur les 109 qui apparaissent 27 sont déjà REP, 18 sont privés. Pour les autres certains pourraient être étudiés pour le niveau REP : seulement 11 d’entre eux ont un IPS inférieur à 85.
Pour le rural autonome très peu dense, il n’y a en rang 3 que deux collèges un privé et un à 89,8 d’IPS.
Pour le rural sous faible influence d’un pôle, sur les 14 collèges en rang 3, deux sont déjà REP, trois sont privés et parmi les autres, aucun n’a un IPS inférieur à 85.
Enfin parmi les 4 qui relèvent de la catégorie rural sous forte influence d’un pôle, deux sont déjà REP, un est privé et le quatrième est à un IPS de 86,2.

IPS et ruralité

L’analyse de ces données confirme que, dans la situation actuelle du pays, il n’y a pas lieu d’étendre significativement la carte de l’éducation prioritaire dans le rural quoi qu’en ait dit le rapport Azema Mathiot commandé par monsieur Blanquer pour des raisons purement politiques. Notons que ce rapport ne mène même pas une étude simple comme celle que nous venons de présenter.
Quand on voit le nombre de collèges en rang 1 et 2 dans les milieux urbains cela confirme que la politique d’éducation prioritaire a vocation à être conduite prioritairement dans ces lieux de grande concentration de la difficulté sociale.

Education prioritaire et question du réseau et donc des écoles « orphelines » et des lycées

Depuis ses débuts la politique d’éducation prioritaire est une politique pour la maternelle et pour la scolarité obligatoire. Elle vise la démocratisation de la réussite scolaire c’est-à-dire une réussite comparable pour tous dans un processus de recherche d’une égalité réelle de résultats. En conséquence elle a vocation à porter sur la maternelle (qui n’est obligatoire que depuis 2019) et la scolarité obligatoire telle que définie au départ de l’éducation prioritaire. Cette politique repose sur l’idée qu’il y a de l’importance à suivre les mêmes élèves au long de leur scolarité. Aujourd’hui on peut dire qu’elle concerne l’école du socle commun c’est-à-dire l’école et le collège dans une continuité construite dans un réseau composé d’un collège et des écoles qui lui envoient des élèves.
Aussi les lycées n’ont-ils pas leur place dans l’éducation prioritaire. Le plus souvent, sauf dans quelques cas particuliers, ils ne l’ont d’ailleurs en pratique pas trouvée. Comment trouver des perspectives en continuité entre un collège et un LP de proximité qui recrute le plus souvent sur un grand nombre de collèges. Et même pour un lycée général, à l’exclusion de quelques cas où un lycée général recrute sur deux ou trois collèges en éducation prioritaire. L’idée de continuité pour les élèves a peu de sens, le passage au lycée se présentant plutôt comme une rupture qui va permettre d’aller vers plus de responsabilité dans leurs études et vers une propédeutique à des études supérieures. Le sens d’un travail de ce type a eu bien du mal à se concevoir et à exister. Les bases de données d’action du ministère comme celles tenues à jour sur le site de l’OZP ne permettent pas de trouver de véritables logiques de continuité entre collèges et lycées. Cette logique relèverait d’ailleurs plutôt de ce que l’on appelle « district » que de ce que l’on appelle réseau d’éducation prioritaire.
En revanche, cela ne signifie pas qu’il ne serait pas pertinent de concevoir une politique prioritaire adaptée aux lycées professionnels d’un côté notamment du fait que leur population est largement de milieu populaire et que leur action devrait comprendre une part importante d’enseignement des matières générales (contrairement à une vieille idée idéologiquement marquée à droite, qui voudrait qu’il faudrait à ces élèves davantage de formation métier que de formation générale) afin de pallier les insuffisances de ce qui a précédé et de leur permettre de prétendre ultérieurement à l’enseignement supérieur tant les évolutions sociétales et du travail amènent à des besoins de niveaux élevés de formation. Ceci serait tout à fait le contraire de ce qu’envisageait le gouvernement pour le lycée professionnel. On peut aussi tout à fait concevoir une politique prioritaire pour les lycées généraux qui accueillent de nombreux élèves de ZEP ou de milieux populaires. La récente publication des IPS des lycées doit permettre d’y travailler. Toutefois une telle politique prioritaire pour ces lycées ne serait pas la politique d’éducation prioritaire conçue pour un réseau écoles-collège.
La politique d’éducation prioritaire n’étant pas uniquement une politique de moyens, il faut conserver une politique de réseau école collège qui dépasse largement la seule question des moyens. En conséquence, la politique en question doit partir des collèges les plus ségrégués et remonter aux écoles qui leur adressent des élèves. Et donc les écoles qui sont défavorisées et qui envoient leurs élèves vers des collèges qui ne sont pas ségrégués car ils présentent une mixité sociale satisfaisante, ne sont pas retenues en éducation prioritaire puisque cette politique a vocation à permettre ce suivi des élèves de milieux populaires là où ils sont concentrés de telle manière que cela concerne autant le collège que les écoles. Ce sont ces écoles que par une bonne trouvaille de communication les syndicats ont appelé « écoles orphelines ».
Pour les écoles, on peut tout à fait préconiser une politique d’allocation progressive des moyens qui s’appuie sur l’IPS des écoles. Cela éviterait les effets de seuil, propres à l’éducation prioritaire, qui ont été souvent discutés. Cela amènerait à doter les écoles « orphelines » de la même manière que les écoles en éducation prioritaire de même situation sociale. Mais surtout, partout où c’est possible et considérant que le quartier d’implantation n’est pas largement homogène (sinon le collège serait aussi concerné), c’est sans aucun doute qu’il est possible de travailler sur la composition sociale de ces écoles dans le sens d’une meilleure mixité sociale car leur situation signifie aussi que les écoles voisines qui alimentent le même collège sont aussi plus favorisées. Loin de nous de dire que la question ne doit pas être traitée mais elle ne saurait l’être de même manière que l’éducation prioritaire qui vise le suivi des élèves de milieux populaire là où ils sont fortement concentrés. C’est tout le sens de la dimension du réseau qui doit rester au cœur de cette politique.

Conclusion

Les discours politiques des uns ou des autres ne seront pas grand-chose au regard des actes qui seront posés malgré les personnels dont on peut penser qu’ils ne seront pas concertés sur ces questions comme le passé l’a le plus souvent montré : A l’exception des assises de 1998 et des assises académiques dans le cadre de la refondation de 2014, il n’y eut pas d’association sérieuse des zones ou réseaux ni de leurs représentants lors des révisions de la carte. La politique d’éducation prioritaire doit être conservée tant que le problème auquel elle répond n’est pas résolu. Nous préférons la mixité sociale à la concentration de populations riches ici et pauvres là. Cette mixité sociale qui a commencé à être recherchée depuis 2016 dans l’éducation nationale, ne pourra être trouvée que si un travail est conduit sur la question de l’urbanisme, du logement, de la relation privé public et de la sectorisation scolaire dans un mouvement cohérent. En attendant là où les plus pauvres sont concentrés, il faut l’éducation prioritaire. Comme le montre l’article de Courtioux et Maury, le travail commencé en 2014 pour rendre la carte plus juste a porté ses fruits. Il doit simplement être continué comme il aurait du l’être dés 2019. On a déjà perdu 5 ans. Il faut pour cela bien voir où sont les besoins les plus criants et où l’on peut faire sortir des réseaux de l’éducation prioritaire car il serait illusoire de prétendre à une véritable priorité si le territoire concerné s’étendait trop. Il est aussi important de conserver la dimension du réseau pour assurer une meilleure continuité entre l’école et le collège dans le suivi des élèves et dans la mise en œuvre de pratiques pédagogiques pertinentes pour ces publics.

Marc Bablet
(OZP)

 

Voir-ci-dessous en format Word le texte Repères pour la carte (5)

 

Voir les précédents "repères" : Des Repères pour la Carte de l’éducation prioritaire, par Marc Bablet (Ozp), nov. 2022 - février 2023

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