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La société du diplôme, une note de Luc Rouban (Cevipof)

27 avril 2023

La société du diplôme
Luc Rouban

Directeur de recherche CNRS
luc.rouban@sciencespo.fr

La question du rôle des diplômes dans la réussite sociale est centrale dans la discussion à la fois des structures de reproduction des strates de pouvoir et dans la représentation que les citoyens se font de la mobilité sociale. Penser que tout son avenir professionnel se joue à travers le parcours scolaire peut autant alimenter l’idée que la méritocratie républicaine repose sur une égalité au moins formelle de tous devant l’enseignement que l’idée d’une intellectualisation du pouvoir qui implique de prendre ses distances avec le monde des métiers manuels et de la technique. Autrement dit, la priorité donnée aux diplômes sur l’expérience professionnelle ou le savoir-faire peut être considérée autant comme une condition de l’égalité, supposant une disposition intellectuelle égale de tous pour certains types d’enseignements, ce qui implique une recherche pédagogique permanente d’adaptation des modes de diffusion et de réception des savoirs, qu’une forme de séquençage socioéconomique de la vie séparant le temps de l’apprentissage du temps de la production et de la consommation où l’échec scolaire devient vite rédhibitoire.

La vague 14 du Baromètre de la confiance politique permet de mesurer l’état de l’opinion en France, en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni face à ces enjeux qui soulèvent autant la question de l’importance de l’institution scolaire1 que celle de la possibilité de dissocier la mobilité comme la réussite sociale de l’obtention précoce de diplômes. L’enquête montre que c’est en France que la valorisation sociale du diplôme est la plus importante mais aussi la plus contestée et que les comparaisons internationales s’effacent derrière les clivages économiques et générationnels.

La vague 14 du Baromètre de la confiance politique s’appuie sur un échantillon représentatif de 3 072 enquêtés en France, 1 675 en Allemagne, 1 685 en Italie et 1 659 au Royaume-Uni.
L’enquête de terrain a été menée du 27 janvier au 17 février 2023 pour l’ensemble des quatre pays.

[...] La centralité sociale des diplômes
Les variables concernant l’importance d’un diplôme de haut niveau pour être respecté, l’impact limité de la formation tout au long de la vie sur la progression de carrière et la défiance à l’égard des métiers manuels et techniques pour assurer la mobilité sociale sont fortement corrélées entre elles. Elles constituent une échelle statistique cohérente (alpha de Cronbach = 0,497). On peut s’en servir comme d’un indice mesurant une même dimension, à savoir la centralité sociale des diplômes. On peut ensuite dichotomiser cet indice en un niveau bas (aucune ou une occurrence positive) et un niveau haut (deux ou trois occurrences positives). En moyenne, les quatre pays étudiés se distinguent peu puisque 45% des enquêtés en Allemagne se situent sur la partie haute de l’indice contre 44% en France et en Italie et 40% au Royaume-Uni.
L’analyse de cet indice ne fait que confirmer le rôle central accordé aux diplômes autant par les générations les plus jeunes, par ceux qui estiment avoir le mieux réussi socialement comme par ceux qui se situent en haut de l’indice de précarité économique, et cela dans les quatre pays étudiés. Les modèles de réussite sociale bâtis à l’image du « self-made man » ou du bricoleur de génie sont loin d’être partagés. Contrairement aux idées souvent reçues, c’est bien le monde d’avant, celui des boomers, qui permettait de réussir sans diplôme alors que celui dans lequel doivent évoluer les générations les plus jeunes est bien plus enserré dans des normes abstraites certifiées par l’institution universitaire.
C’est également un monde où la hiérarchie sociale se fige bien plus tôt, où la distinction entre ceux qui font et ceux qui font faire est précoce.

Extrait de sciencespo.fr/cevifop d’avril 2023

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