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Mérite, par Annabel Allouche, Anamosa, 2021 (compte rendu openedition)

2 juin 2023

Annabelle Allouch, Mérite, Paris, Anamosa, coll. « Le mot est faible », 2021, 112 p.,

Compte rendu de lecture par Vanina Mozziconacci
Openédition, 2021

La maison d’édition Anamosa a inauguré en 2020 une nouvelle collection, « Le mot est faible », au sein de laquelle ont déjà été publiés une douzaine d’ouvrages. Suivant l’intitulé de la collection, chaque petit livre (une centaine de pages) a pour titre un terme. L’objectif n’est pas – à la manière des Que sais-je ?, par exemple – de proposer un état de l’art sur un domaine, mais il est celui d’une démystification revendiquée : livrer des textes « courts et incisifs, animés d’un souffle décapant […] il s’agit de s’emparer d’un mot dévoyé par la langue au pouvoir, de l’arracher à l’idéologie qu’il sert […] pour le rendre à ce qu’il veut dire » 1, pour citer la présentation de l’éditeur.

[...] L’ouvrage d’Annabelle Allouch s’inscrit dans cette lignée ; le texte s’ouvre sur un commentaire de l’expression « premiers de cordée » employée à plusieurs reprises par le Président de la République Emmanuel Macron depuis 2017, lorsqu’il avait déclaré « Je crois à la cordée, il y a des hommes et des femmes qui réussissent parce qu’ils ont des talents, je veux qu’on les célèbre [...] Si l’on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée c’est toute la cordée qui dégringole » 2.

Cet ouvrage n’est pas un ouvrage sur l’écart entre l’idéal méritocratique français et les inégalités réelles du pays. Il porte sur les rhétoriques du mérite et leurs évolutions ainsi que sur les mutations que le terme connaît au gré de celles-ci. Annabelle Allouch avance que ces discours sont incorporés jusqu’à devenir un sens pratique, soit ce qui permet d’agir « comme il faut », en catégorisant le monde social. C’est pourquoi elle assume un « parti pris d’écriture qui joue parfois sur les frontières entre sociologie et littérature » (p. 104), car il importe de « considérer le mérite par le sensible, l’affectif et l’incarné » (p. 91).

Le premier chapitre, qui s’intitule « un acte de foi » (titre que l’autrice précise avoir trouvé grâce à l’expression telle qu’elle était employée par l’un·e de ses enquêté·e.s), développe l’idée selon laquelle le mérite « s’éprouve dans nos corps » (p. 19) par sa forme même, notamment en s’ouvrant (et en se fermant) sur un épisode intime et douloureux de la vie de l’autrice. Elle y évoque la figure de son père, marocain immigré en France dans les années 1970 et qui croyait profondément que dans son pays d’accueil la réussite était liée à l’effort – le dernier chapitre s’ouvrira également sur une figure parentale, celle de la mère d’un enquêté, et s’intitule « La gloire de ma mère ». Cette mise en récit a son importance, car la foi dans le mérite passe d’abord par le fait de (se) raconter des histoires : le mérite serait ainsi une « sociodicée » (pour reprendre Bourdieu) ou une « fiction nécessaire » (pour reprendre François Dubet). Il faut donc des narrations alternatives face aux récits de soi qui circulent beaucoup, notamment dans la presse, et qui « reflètent la lecture très individualisée portée par le mythe de l’ascension sociale par l’école, celui du mérite, celui d’un individu capable de s’extraire de ses origines sociales par la seule force de sa volonté » (p. 87). En racontant des histoires (parfois semi-fictionnelles), ses histoires (parfois autobiographiques), l’autrice fait le choix d’intervenir dans le même registre – il me semble que cela se justifie pleinement à partir du moment où l’on souhaite qu’un tel discours critique ait une efficace. Une démonstration sociologique avec chiffres à l’appui n’a pas la même portée qu’un contre-récit, si l’on admet que les pratiques sociales évaluantes et catégorisantes sont saturées d’émotions et d’affects, et qu’elles doivent donc être prises par les sentiments (moraux). Sans cela, on voit mal comment mettre en mouvement, en motion, contre les inégalités sociales au sujet desquelles semble partagée une relative indifférence. [...]

https://journals.openedition.org/lectures/52037

 

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