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"La mixité sociale n’efface pas magiquement les préférences sociales" (Olivier Galland sur Telos)

29 mars 2023

Le talisman de la mixité sociale à l’école
Olivier Galland

Pap Ndiaye, le ministre de l’Éducation nationale, a relancé le thème de la mixité sociale, en indiquant qu’il en faisait une des priorités de sa politique. Pour le moment, les mesures concrètes donnant corps à cette politique n’ont pas été annoncées, mais les intentions semblent là.

Cette idée n’est pas nouvelle[1], elle est régulièrement mise en avant comme le moyen décisif d’améliorer l’équité scolaire et les performances de la France en la matière alors que les enquêtes PISA montrent régulièrement que les inégalités socioculturelles de réussite scolaire restent très fortes dans notre pays.

Mais de quoi parle-t-on effectivement lorsqu’on parle de mixité sociale à l’école et que vise-t-on ? L’idée de départ est simple et paraît assez intuitive. Des établissements et des classes socialement et scolairement (les deux dimensions étant liées) hétérogènes favoriseraient la réussite des élèves les plus faibles qui seraient stimulés par la cohabitation avec des élèves de niveau plus élevé. On appelle habituellement cet effet un « effet de pairs ». Au-delà de l’effet strictement scolaire, on peut en attendre des effets sociaux positifs plus généraux : la cohabitation d’élèves aux profils culturels et sociaux diversifiés pourrait favoriser l’ouverture sur le monde, l’intégration sociale et l’esprit de tolérance et prémunir du développement de comportements antisociaux.

On peut penser néanmoins à des effets moins positifs de la mixité sociale et scolaire : les meilleurs élèves ne voient-ils pas leurs performances scolaires baisser dans des classes scolairement hétérogènes ? La qualité individuelle de l’enseignement n’est-elle pas mieux assurée face à des classes scolairement homogènes ? Des élèves de niveau scolaire moyen ne seront-ils pas plus à l’aise dans des classes faibles où ils seront parmi les premiers que dans des classes fortes où ils risquent d’être relégués en queue de peloton ?

Quels résultats empiriques ?
En réalité, seules des enquêtes empiriques permettent de trancher ce débat sur les effets scolaires et sociaux de la mixité sociale, mais ces enquêtes sont très compliquées à réaliser si l’on veut aboutir à un résultat rigoureux. [...]

[...] Ces préférences liées à l’origine sociale continuent donc d’orienter fortement les choix scolaires. Il ne faut pas s’en lamenter comme le font trop souvent les sociologues de l’éducation qui critiquent ce qui ne serait qu’une « démocratisation quantitative », une hausse du niveau général d’étude, alors que de nouvelles inégalités sociales apparaissent entre les filières (au niveau du baccalauréat par exemple qui a connu une grande partie de son expansion grâce à l’introduction du bac professionnel). Mais ces filières professionnelles et techniques permettent précisément à des jeunes issus de milieux sociaux moins favorisés de connaître une promotion scolaire qu’ils n’auraient probablement pas connue sans elles, ou au prix de risques et de coûts que beaucoup d’entre deux ne veulent pas courir. Il suffit d’ailleurs pour s’en convaincre de constater les taux d’échecs des bacheliers professionnels qui se fourvoient dans des filières universitaires généralistes.

La mixité sociale n’efface donc pas magiquement les préférences sociales. Faut-il pour autant y renoncer ? Non, bien sûr, mais il ne faut pas en attendre plus qu’elle ne peut donner. Et surtout il ne faut pas en faire le cache-misère de la politique éducative. Car, qu’ils étudient dans un environnement socialement mixte ou non, les élèves issus de milieux sociaux moins favorisés ont surtout besoin d’un enseignement de qualité. Plus que les pairs, c’est la qualité des professeurs qui est décisive, la qualité de leur formation, leurs qualités pédagogiques, leur motivation, leur insertion dans une communauté éducative soudée autour d’un projet commun et bien encadrée par des proviseurs jouant véritablement un rôle de chef d’orchestre. Malheureusement, on le sait bien, le système éducatif français ne parvient à faire fructifier toutes ces qualités dans le corps enseignant et dans les établissements scolaires. Beaucoup de raisons y contribuent : la mauvaise formation pédagogique des enseignants (ou simplement son absence), le système d’affectation à l’ancienneté des professeurs, l’insuffisante autonomie des établissements scolaires, l’absence de pouvoirs des proviseurs qui en fait des acteurs relativement impuissants. Et ce sont les établissements situés dans les zones les plus pauvres du territoire et les élèves qui les fréquentent qui en pâtissent le plus. Y remédier paraît plus urgent que de lancer un appel à la mixité sociale qui risque de rester un vœu pieux pour qui connaît un peu le contexte des quartiers prioritaires de la ville où se concentrent le plus de difficultés scolaires.

Extrait de telos-eu.com du 28.03.23

[1] Voir les deux articles que j’ai consacrés à ce sujet dans Telos : « La pensée magique de la mixité sociale, 1 », et « La pensée magique de la mixité sociale, 2 ».

[2] Voir à ce sujet l’article de Nina Guyon, « Mixité ou ségrégation : quelle école bénéficie le plus aux élèves ? », dans Regards croisés sur l’économie, 2012/2 (n°12), p. 151-164.

[3] J. Angrist et K. Lang « Does School Integration Generate Peer Effects ? Evidence from Boston’s Metco Program”, The American Economic Review, vol. 94, n° 5, p. 1613-1634.

[4] Gabrielle Fack et Julien Grenet, « Mixité sociale et scolaire dans les lycées parisiens : les enseignements de la procédure Affelnet », Education et formations, 2016, 91, p. 77-100, HAL Id : halshs-01447265

[5] Raymond Boudon, L’Inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris, Armand Colin, 1973.

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