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Thèse. Le rapport au temps dans le travail enseignant dans le 1er et le 2nd degré [en partie en EP et selon genre, âge, statut, milieu d’origine...], Julien Tourneville, Bordeaux, 2021 (entretien avec Le Café du 11.03.22)

9 février 2022

Additif du 11.03.22
Julien Tourneville : Le rapport au temps dans le travail enseignant
Le rapport au temps est toujours personnel. Travaillant sur le temps de travail des enseignants pour sa thèse, Julien Tourneville n’essaie pas de l’estimer en heures. Il y a suffisamment d’études là dessus. Il travaille sur le temps ressenti, c’est à dire chez beaucoup d’enseignants sur le sentiment d’être débordé. Et il arrive à voir quels facteurs agissent sur la construction de ce rapport au temps de travail chez les enseignants. Bine plus que la discipline ou le niveau d’enseignement, c’est le positionnement social des enseignants qui fait qu’ils vont se sentir débordés ou pas. Mais c’est aussi l’institution qui fabrique cette invasion du temps en promouvant un modèle d’enseignant "professionnel" qui implique une remise en question perpétuelle de ses pratiques et une ouverture aux parents et à l’équipe. Ainsi, selon Julien Tourneville, la professionnalisation enseignante déprofessionnalise les enseignants. Voilà qui fait réfléchir...

Le temps de travail des enseignants est toujours en débat. Comment l’appréhender ?

Le temps de travail des enseignants fait l’objet d’études et de discussions. On a cherché à améliorer son efficacité, à l’équilibrer pour avoir de meilleurs résultats. Et il s’est même invité dans la campagne présidentielle !

Ma thèse s’écarte de ces débats et d’une conception mathématique du temps de travail des enseignants. Le temps humain est toujours subjectif. On ne le vit pas de la même manière. Ma thèse travaille sur la façon dont est vraiment vécu ce temps. Comment les enseignants vivent le temps. L’appréhender a été un enjeu. Pour cela je mélange des données qualitatives, fournies par des entretiens, avec une analyse statistique pour faire émerger les façons dont les enseignants vivent leur temps de travail.

Les enseignants choisissent souvent ce métier car ils ont l’impression d’être maîtres de leur temps. Confirmez vous cette impression ?

C’est une fausse impression et ma thèse le montre. Pour être maitre de son temps cela nécessite une façon de se positionner par rapport à son travail. Il faut se permettre cette liberté. Or très souvent on ne s’y autorise pas. Même avec un emploi du temps pas très lourd, des vacances, des enseignants vont investir leur temps de travail de façon à être débordés et à travailler tout le temps. Ma thèse montre que cela ne dépend pas des individus mais que c’est lié à des caractéristiques sociales. Finalement, les personnes débordées sont celles qui surinvestissent. Ce sont le plus souvent des jeunes femmes d’origine modeste qui veulent faire leurs preuves et répondre au mieux aux demandes. Elles se font déborder par les injonctions institutionnelles et les demandes des parents.

Ceux qui ont cette impression d’être maîtres de leur temps ce sont ceux qui résistent ?

Ce sont surtout ceux qui se sentent légitimes à agir comme ils souhaitent agir. Ils s’opposent aux injonctions à ouvrir la classe, à accueillir les parents. Ils ont des dispositions qui leur permettent de calmer le jeu et de se sentir davantage maitres de leurs pratiques pédagogiques.

Vous dites que cela dépend du genre. Mais d’autres éléments entrent en jeu ?

Il y a des différences entre premier et second degré. Dans le second degré il y a la possibilité d’effectuer son travail dans l’établissement et cela favorise un détachement entre le lieu de travail et le lieu de vie. Ca évite de se sentir débordé par son travail et de sacrifier du temps de la vie privée. Mais si on prend les professeurs des écoles on voit une différence entre ceux qui travaillent dans leur classe après les cours et ceux qui travaillent chez eux. Aussi plus qu’une question de degré c’est une question d’aménagement de son travail. D’un autre coté dans le second degré on a aussi des enseignants qui se disent débordés.

Un autre élément qui entre en jeu c’est l’origine sociale. Des enseignants d’origine aisée, avec un fort capital culturel n’ont pas le même niveau d’assujettissement aux contraintes professionnelles que des personnes d’origine plus modeste. Les premières se permettent de dire non à certains parents, de ne pas appliquer les réformes tout de suite. Par contre les enseignants d’origine plus modeste vont essayer de satisfaire tout le monde et de répondre positivement aux injonctions. Elles seront plus facilement débordées.

Cette gestion du temps enseignant évolue t-elle avec l’ancienneté ?

Je n’ai pas pu suivre des carrières. La majorité des enseignants sont hyper organisés et déclarent s’en sortir tout en étant à la pointe des injonctions pédagogiques comme l’évaluation par compétences par exemple, ou le travail en équipe. J’observe qu’ils sont moins nombreux en fin de carrière qu’en début. Leur contingent diminue au fur et à mesure des années car leur positionnement est très difficile. Il devient intolérable avec le temps.

C’est la politique ministérielle qui déstabilise le temps enseignant ?

Elle l’influence beaucoup. C’est le politique qui crée les conditions de la pratique enseignante et c’est lui qui crée les réformes. Il institue le changement et demande des adaptations qui rendent les choses plus complexes. Actuellement par exemple les enseignants vivent un rythme élevé de changements. Et cela un certain flou chez les enseignants qui ont du mal à suivre vers quoi on va. Ils peuvent s’essouffler et perdre le sens de ce qu’ils font. L’institution ne montre pas une ligne d’horizon claire. La perte de sens amène au mal être.

Vous dites dans la thèse que d’une certaine façon la professionnalisation enseignante déprofessionnalise les enseignants. Que voulez vous dire ?

C’est un paradoxe important. Aujourd’hui on propose aux enseignants un modèle celui du professeur dans le mouvement, qui s’adapte en continu à chaque élève et au travail en équipe, qui absorbe le rythme élevé des réformes. On a une promotion de ce modèle de professionnalisation enseignante. Or en voulant professionnaliser à un rythme effréné on obtient surtout une perte de sens. On court sans fin à quelque chose qu’on n’arrive pas à atteindre. Ce ressenti de perte d’autonomie et de sens en se professionnalisant est un symptome de déprofessionnalisation. On peut dire que chez les enseignants la professionnalisation, telle qu’elle est instituée, déprofessionnalise.

Alors que faire ?
J’ai essayé dans ce travail de surtout ne pas me positionner en prescripteur. Je préfère permettre la parole et faire comprendre les quotidiens des enseignants.

Propos recueillis par François Jarraud

Extrait de cafepedagogique.net du 11.03.22

 

Additif du 10.02.22
Une thèse sur le temps enseignant
Julien Tourneville vient de soutenir une thèse sur "le rapport au temps dans le travail enseignant". "Si aucun lieu n’est "vide" de travail, puisque celui-ci s’invite également au domicile, aucun temps ne l’est, et la frontière entre vie privée et vie professionnelle est beaucoup plus difficile à délimiter, renforçant le sentiment d’un travail trop présent, omniprésent", écrit-il. "Ce faisant, nous avons montré que des distinctions existent entre les enseignants du primaire et ceux du collège, puisque la structuration même de leur pratique est différente, et que les enseignants du collège peuvent plus facilement organiser leur travail hors classe au sein de leur établissement. Des distinctions existent également dans les manières de vivre le temps en fonction des caractéristiques non professionnelles des enseignants, des propriétés sociales comme le genre ou la composition familiale. En effet, l’étude montre au chapitre 8 que les femmes sont surreprésentées au sein du profil d’enseignants qui sont débordés par une pratique professionnelle qui prend tous les temps, donc dans une posture plus sacrificielle de leur temps de vie privée, alors que les hommes sont surreprésentés dans une manière de vivre le temps de la pratique enseignante plus distanciée". Surtout il montre comment ce temps est impacté par la politique ministérielle. "Par l’imposition d’un modèle de praticien en éternelle remise en question, et parce que l’institution est en incapacité à proposer des lectures de l’avenir, des enseignants sont happés dans un présent qui ne s’inscrit plus dans l’expérience ou l’histoire, ni qui ne se projette plus, ce qui génère une perte de sens, décrite dans la thèse comme une véritable déréliction temporelle." Un point sur lequel le Café reviendra...

Extrait de cafepedagogique.net du 10.02.22

 

Le rapport au temps dans le travail enseignant. Contribution à l’étude des professionnalités enseignantes dans le 1er et le 2nd degré en France

Auteur(s) : TOURNEVILLE Julien
Date de soutenance : 2021
Thèse délivrée par : Université de Bordeaux

RESUME

Avec l’injonction à l’adaptation, à l’innovation, à la multiplication des projets d’équipe ou encore à la différenciation pédagogique, se dessine une professionnalité dominante qui demande toujours plus d’implication professionnelle, et qui dicte, avec elle, son temps aux enseignants. Ce faisant, elle entre en conflit avec le processus de professionnalisation caractéristique du travail enseignant depuis les années 80, et entraine un ensemble de phénomènes qui peuvent se traduire par des effets de déprofessionnalisation chez les enseignants : perte d’autonomie, vision au court terme, perte de sens.
Cette thèse propose de dresser un état des lieux de la dialectique professionnalisation/déprofessionnalisation dans le champ du travail enseignant par le prisme du temps vécu. Ainsi, les résultats s’attacheront à révéler les effets de la déprofessionnalisation

SOMMAIRE

INTRODUCTION................................................................................................................7

PARTIE 1. ELEMENTS DE CADRAGE : L’ETUDE DU TRAVAIL ENSEIGNANT A TRAVERS LA QUESTION DU RAPPORT AU TEMPS..........................................12

CHAPITRE 1 : CLARIFICATIONS A PROPOS DU TRAVAIL ENSEIGNANT.......................... 13
1.1 Parler du travail enseignant, positionner le regard................................................................ 13
1.2 Enjeux contemporains de la recherche sur les professionnalités .......................................... 21
1.3 Le travail défini dans sa finalité : le nécessaire rapport au temps......................................... 27

CHAPITRE 2 : TRAVAIL ENSEIGNANT ET RAPPORT AU TEMPS......................................... 32
2.1 Le temps dans la recherche sur les professionnalités enseignantes : sortir du paradigme du
temps métrique .................................................................................................................... 32
2.2 Approche par le temps vécu : réintroduction du sujet........................................................... 38
2.3 Comprendre le travail enseignant par l’étude du temps vécu ............................................... 47

CHAPITRE 3 : OBJECTIVER L’INOBJECTIVABLE : DEFIS METHODOLOGIQUES DE L’ETUDE DU TEMPS VECU ......................................................................................................... 49
3.1 Elaboration d’une méthode exploratoire en deux phases...................................................... 51
3.2 Première phase de l’étude : des entretiens analysés par méthode mixte............................... 55
3.3 Deuxième phase de l’étude : élargissement de l’enquête par questionnaires ....................... 64

PARTIE 2.
DECRIRE LES PROFESSIONNALITES ENSEIGNANTES PAR L’ETUDE DU RAPPORT AU TEMPS ...........................................................................70

CHAPITRE 4 : LES ENSEIGNANTS AU CŒUR DE L’ENQUETE : PRESENTATION DES
POPULATIONS DE L’ETUDE....................................................................................................... 71
4.1 Les enseignants interviewés : calibrage d’un échantillon ..................................................... 72
4.2 Echantillon du questionnaire : contrôle des répartitions entre les professeurs des écoles et
ceux du collège .................................................................................................................... 79

CHAPITRE 5 : PREMIERE ANALYSE DES ENTRETIENS : LES MENTIONS TEMPORELLES DANS LE DISCOURS DES PROFESSEURS................................................................................. 84
5.1 Figures du présent dans le discours des enseignants............................................................. 84
5.2 Le passé convoqué ............................................................................................................... 90
5.3 Le futur et les projections qui gouvernent le présent ............................................................ 98
5.4 Synthèse de la description des discours .............................................................................. 101

CHAPITRE 6 : DES LIAISONS INTRATEMPORELLES AUX PROFESSIONNALITES : TROIS PROFILS D’ENSEIGNANTS ....................................................................................................... 104
6.1 Faire émerger des profils de liaisons intratemporelles par l’outil statistique...................... 104
6.2 De l’articulation des temps : émergence de plusieurs types de liaisons intratemporelles... 112
6.3 Description, analyse et qualification des trois profils obtenus............................................ 116
6.4 Synthèse de la deuxième partie : trois profils de professionnalités .................................... 119

PARTIE 3. GENESE ET MECANISMES DE TRANSMISSION DE SAVOIR-ETRE TEMPORELS CHEZ LES ENSEIGNANTS ................................................................121

CHAPITRE 7 : RYTHME ET ORGANISATION : LES INFLUENCES DU CONTEXTE SUR LA
GESTION DU TEMPS................................................................................................................... 122
7.1 La structuration des temps de travail comme facteurs de rapports au métier : distinction
entre premier degré et collège ........................................................................................... 122
7.2 Spécificités et inégalités dans les stratégies d’organisation du travail................................ 128
7.3 Un brouillage des espaces générateur de rapports au temps de la pratique ........................ 133

CHAPITRE 8 : LA CONSTRUCTION SOCIALE DE L’ART D’HABITER LE TEMPS............ 135
8.1 Le genre, la famille et le métier .......................................................................................... 136
8.2 Les temps du temps vécu : processus d’évolution dans les professionnalités .................... 147

CHAPITRE 9 : APPRENTISSAGE DE SAVOIR-ETRE TEMPORELS ...................................... 158
9.1 Héritage culturel et transmission de savoir-être temporels ................................................. 158
9.2 Apprentissage incorporé : l’apprentissage par l’expérience ............................................... 164
9.3 Apprentissage subjectivé : conceptions divergentes de l’apprentissage du métier............. 168
9.4 Synthèse de la troisième partie et étoffement des profils.................................................... 172

PARTIE 4. L’INFLUENCE DU RAPPORT AU TRAVAIL DANS LA STRUCTURATION DU TEMPS VECU ET DES PRATIQUES PEDAGOGIQUES 176

CHAPITRE 10 : PERCEPTIONS ET PRATIQUES DU TRAVAIL ENSEIGNANT, EMERGENCE
DE FORMES DE SENSIBILITE AU CONTEXTE....................................................................... 177
10.1 Définitions de la pratique par les motifs de satisfaction et les difficultés......................... 177
10.2 Des définitions aux pratiques du travail enseignant.......................................................... 187

CHAPITRE 11 : DE LA RESISTANCE AU MALAISE : LES EFFETS DE L’ACCELERATION
DU TEMPS DE LA PRATIQUE.................................................................................................... 198
11.1 Les facteurs d’accélération du temps enseignant .............................................................. 198
11.2 Positionnements face au temps dicté : de l’assujettissement aux résistances ................... 209

CHAPITRE 12 : MANAGEMENT PRESENTISTE : IMPOSSIBLE PROFESSIONNALISATION ? ..................................................................................................... 218
12.1 Management par le modèle : un autoritarisme invisible ................................................... 218
12.2 Professionnalités et inégalités des effets de management................................................. 223
12.3 Déprofessionnalisation, déréliction temporelle et perte de sens ....................................... 226

CONCLUSION.................................................................................................................232

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ....................................................................................... 238

TABLE DES MATIERES .............................................................................................................. 246

LISTE DES TABLEAUX .............................................................................................................. 250

LISTE DES FIGURES .................................................................................................................. 252

EXTRAIT

Les enseignants au cœur de l’enquête
p. 73
CHAPITRE 4 : LES ENSEIGNANTS AU CŒUR DE L’ENQUETE : PRESENTATION DES
POPULATIONS DE L’ETUDE
4.1.1 La pluralité des positionnements
Tout d’abord, en constituant cet échantillon il fallait rendre compte de la pluralité des fonctions et des profils au sein des deux degrés d’enseignement. Pour les enseignants du premier degré, afin d’être au plus proche des caractéristiques de la population, l’échantillon de 25 professeurs des écoles a été constitué en portant une attention particulière aux fonctions des enquêtés. En effet, le corps des enseignants du premier degré est constitué de titulaires, de stagiaires, de formateurs (PEMF), d’enseignants spécialisés et de directeurs d’école. Ces différentes fonctions impliquent nécessairement des rapports au travail enseignant différents.
Par conséquent, l’échantillon a été constitué de 14 professeurs, 4 directeurs, 4 maitres
formateurs (PEMF), une enseignante spécialisée, un remplaçant et une stagiaire en formation
à l’institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE, qui était alors l’ESPE).
Parmi eux, trois travaillent dans une école affiliée au Réseau d’Éducation Prioritaire (REP).
Pour les mêmes raisons, l’échantillon de professeurs du collège est constitué de 23
professeurs, un stagiaire et une formatrice. Si 19 travaillent dans des établissements non
classés, six d’entre eux exercent dans des établissements appartenant au REP.
[...]

Extrait de archivesouvertes.fr

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