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Le mode de sélection des élèves de la future Cité Scolaire Internationale Jacques Chirac va concurrencer les écoles et collèges REP et REP+ voisins et au-delà (Docs sur l’Educ, Le Café)

29 mars

Docs sur l’Éduc : La Cité Scolaire Internationale Jacques Chirac, un établissement public fonctionnant sur les principes du privé

La Cité Scolaire Internationale Jacques Chirac est un établissement au statut hybride dont l’existence est rendue possible grâce à la loi « pour une école de la confiance » de J-M Blanquer. Elle aura le statut d’Etablissement Public Local d’Enseignement International. Celle-ci permet à ce type d’établissement de pouvoir sélectionner leurs élèves et de recevoir des financements privés. Le site de l’académie d’Aix-Marseille la présente comme « un voyage du CP jusqu’au Baccalauréat Français International, formant des générations de citoyennes et de citoyens plurilingues, multiculturels, capables de dépasser les frontières, d’embrasser les différences et la complexité du monde, pour relever les défis planétaires d’un futur incertain », rien de moins. Au delà de cette phraséologie grandiloquente, n’est-ce pas les objectifs du service public que de former les futurs citoyen·nes ?

Le chantier de la cité internationale au pied de la tour CMA-CGM

La Cité Scolaire Internationale est située sur le périmètre d’Euroméditerranée, à proximité du port de la Joliette, là où s’implantent les sociétés de commerce international comme la CMA-CGM qui occupe le troisième rang mondial des compagnies de transport maritime. Elle impactera, de par l’étendue de son recrutement l’ensemble des écoles et établissements publics marseillais et bien au-delà. Elle est construite de toute pièce en partenariat avec le Conseil Régional Paca, le Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône et la Ville de Marseille. L’établissement accueillera à la rentrée 2024 trois classes de CP, autant de CM1, six classes de sixième dix classes de seconde. La montée pédagogique se fera ensuite progressivement sur 3 ans pour l’élémentaire, sur 4 ans pour le collège et 3 ans pour le lycée (plus 2 ans pour le post-bac). La cité accueillera à terme plus de 2000 élèves qui seront tous inscrits en section internationale. Cinq sections seront ouvertes dès le CP enseignant l’allemand, l’arabe, l’anglais britannique, le chinois et l’espagnol. Une 6ème section – anglais américain – sera accessible à partir de la seconde. Un internat de 200 places est prévu dès la classe de seconde pour permettre un recrutement a minima régional.

Les modalités d’affectation

Il n’y a pas de sectorisation, les élèves sont recrutés sur la base d’une candidature adaptée au niveau d’enseignement. L’admission sera conditionnée par la vérification a priori de l’aptitude des élèves à suivre le cursus. À l’école primaire, le recrutement des élèves tiendra compte des données suivantes : étude du carnet de suivi des apprentissages pour l’entrée au CP et du livret scolaire pour l’entrée au CM1, entretien avec l’élève – et sa famille – pour apprécier « sa curiosité et son appétence », test oral sous forme de jeux pour apprécier son potentiel d’apprentissage et sa capacité à communiquer, à entrer en contact avec l’autre. Au collège et au lycée, le recrutement se fera de la façon suivante : dépôt par les familles d’un dossier de candidature comprenant notamment le bilan de compétences des classes antérieures, test écrit d’une durée d’une heure trente pour les futurs lycéens et d’une heure pour les collégiens, test oral de 10 minutes.

Des conséquences sur les écoles et établissements de second degré très importantes sur la Ville de Marseille et bien au-delà

La création de cette Cité est un véritable cheval de Troie posé sur le terrain même du service public. Elle revient à introduire dans le public les principes de fonctionnement du privé pour, aux dire de l’administration, « concurrencer l’école privée ». Le problème majeur est que cette « concurrence » se fera sur des bases de compétition et d’entre-soi. Sous prétexte de recruter les enfants des cadres commerciaux internationaux travaillant ou étant susceptibles de travailler sur le port, sous prétexte de rendre ces élèves bilingues à la sortie du second degré – français et une langue étrangère parmi celles proposées par les six sections internationales – c’est une véritable entreprise de débauchage des meilleurs élèves (ou supposés tels) dès la fin de l’école maternelle.

Cela signifie dans un premier temps, une homogénéisation sociale du public scolaire qui sera majoritairement issu des CSP+, la mise en place d’un entre-soi qui ne fera que renforcer celui créé par l’existence du privé. Par conséquent les écoles et les établissements publics de la ville et de la région seront progressivement appauvris de ces éléments qui font partie du groupe classe et sont indispensables pour la faire fonctionner.

La première conséquence sera donc un recul de la mixité sociale à Marseille où 40 % des enfants du centre-ville sont déjà scolarisés dans le privé et où un élève sur deux déroge à la carte scolaire.

La deuxième conséquence sera un appauvrissement de la mixité scolaire, par définition, puisque les deux mille (voire plus) élèves de la Cité seront recrutés parmi les têtes de classe à chaque niveau de la scolarité.

Les établissements publics classés REP notamment (écoles et collèges) seront les premiers à en souffrir, cette cité étant implantée à proximité d’un des quartiers les plus pauvres de France et d’Europe, un quartier qui manque terriblement d’infrastructures publiques, notamment sur le plan éducatif. Tous les établissements sont classés REP+, il n’y a aucun lycée général et technologique dans l’arrondissement. Les classes internationales existantes dans l’académie seront elles aussi fragilisées.

On pourrait aussi envisager une troisième conséquence : tous les enseignant·es seront eux aussi recruté·es sur dossier, après un ou plusieurs entretiens (et pas uniquement les professeurs de langue). Cette façon de procéder est un pas supplémentaire dans la remise en cause du statut de fonctionnaire et dans la garantie de l’égalité de traitement de tout agent de la fonction publique.

Continuer dans cette direction est pure folie dans une période où l’école publique est en grande difficulté, affaiblie par les coups de butoir conjoints des politiques libérales qui s’intensifient au fil des années et de l’insuffisance des moyens (manque de personnels, de formations, de locaux adaptés, dévalorisation des métiers…). La généralisation de la sélection des élèves à tous les niveaux – le choc des savoirs au collège n’en est pas le moindre – ne peut pas être une réponse adéquate aux défis de la société mondialisée du 21ème siècle. Faire société, ce n’est pas séparer les enfants dès le plus jeune âge, c’est au contraire leur permettre de vivre et d’appréhender la complexité du monde environnant.

Il est certes nécessaire d’intensifier et d’approfondir l’enseignement des langues étrangères. Mais alors pourquoi avoir réduit les horaires de langues vivantes dans les programmes durant toutes ces dernières années ? Cela peut justifier effectivement de sélectionner un certain nombre d’élèves motivés pour suivre ce type de formation mais dans le cas présent, nous sommes sur une autre logique.

Le projet de Cité Scolaire Internationale poursuit d’autres objectifs que ceux officiellement affichés, une autre conception de l’école où l’entre-soi devient une règle, entre-soi auquel le monde de l’éducation n’adhère pas.

Alain Barlatier

Pour en savoir plus sur la Cité scolaire internationale Jacques Chirac, écoutez l’entretien réalisé avec Laurent Tramoni, professeur de mathématiques au collège Vieux-Port, militant syndical enseignant.

Entretien réalisé pour le podcast « Docs sur l’Éduc ».

Extrait de cafepedagogique.net du 29.03.24

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