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Trois articles de la revue du SNES dont l’un sur la "relance" des ZEP

22 janvier 2006

Extrait du supplément à « L’Université syndicaliste » du 22.12.05 : Mort programmée des ZEP

La nouvelle carte de l’éducation prioritaire n’a pas encore été rendue publique, mais nous en connaissons les grandes lignes (voir dossier spécial publié avec ce numéro de L’US) et un document ministériel circule depuis quelques jours avec une première liste des collèges retenus (cf. ci-dessous).

Les trois niveaux d’éducation prioritaire (EP1, EP2 et EP3) créés à l’occasion de cette fausse « relance « visent en fait à dynamiter la politique des ZEP et à rayer de la carte des centaines d’établissements (environ 80% à terme). Chaque fois que le Ministre s’exprime sur la future carte des ZEP, il ne cite en effet que les seuls EP1, définis sur la base de critères restrictifs afin que le nombre d’établissements soit très limité (164 désignés au niveau ministériel et 56 par les Recteurs, soit 220 au total). Dans ces collèges, faussement dénommés « ambition réussite », l’ambition ne viserait en fait que les élèves jugés les plus méritants, qui seraient même autorisés, dès lors qu’ils seraient titulaires d’une mention B ou TB au brevet, à fuir le lycée de leur secteur en dérogeant à la carte scolaire, ce qui ne peut que renforcer la ghettoïsation des lycées, déjà importante dans les zones urbaines. Tous les autres élèves accueillis dans ces collèges devraient en revanche se contenter d’une formation au rabais, réduite la plupart du temps au seul socle commun.

L’organisation des enseignements y serait totalement dérogatoire (aucun redoublement, individualisation à l’extrême des apprentissages, affranchissement de la structure classe et généralisation des groupes de compétences...). Nos métiers y seraient aussi redéfinis (multiplication des postes à profil, recours à la polyvalence...) et encadrés par une gestion des carrières au mérite. Le renforcement des équipes dans ces établissements peut sembler positif après plusieurs années de saignée budgétaire, mais les 1000 enseignants « supplémentaires » seraient en fait affectés par redéploiement (sur le dos de l’ensemble des collèges qui perdent une demi-heure au cycle central, et des établissements « dézeppés »). Ils seraient par ailleurs affectés sur des postes à profil (de 1 à 5) pour remplir des missions aux contours très flous. Spécialisés dans l’acquisition du socle commun et polyvalents, ils seraient aussi chargés de la formation des jeunes enseignants et de leur évaluation, constituant ainsi un échelon hiérarchique supplémentaire. Le mérite de ces « super » profs pourrait être reconnu au niveau de la gestion de leur carrière !

Tous les indicateurs montrent que, malgré la faiblesse des moyens qui lui ont été accordés, la politique d’éducation prioritaire reste « opératoire » dans un contexte marqué par une très nette dégradation sociale et économique. En retirant les moyens ZEP/REP aux établissements déclassés, le Gouvernement fait donc le choix délibéré d’abandonner des dizaines de milliers d’élèves, essentiellement de milieux populaires. Faute de moyens spécifiques pour leur venir en aide au sein de l’Ecole, les enseignants de ces établissements devraient donc se contenter de recenser les élèves en difficulté et de les signaler aux éventuelles « équipes de réussite éducative » de la loi Borloo, pour un traitement de leurs difficultés à l’extérieur de l’Ecole.

Après les annonces sur l’apprentissage junior, dont chacun a compris qu’il visait en priorité les jeunes de milieu défavorisé, la redéfinition de la carte des ZEP illustre clairement la philosophie de la loi Fillon : renoncement à faire réussir tous les élèves, tri social, organisation d’une école ségrégative à plusieurs vitesses au nom de prétendus dons et talents « naturels » (socle commun pour les uns, formation complète pour les autres), contractualisation des moyens sur la base de contrats d’objectifs, généralisation des dispositifs dérogatoires... Le fait de proposer aux seuls élèves des collèges EP1 l’option de découverte professionnelle dès la Quatrième ne vise-t-elle pas à faire accepter une orientation vers l’enseignement professionnel, en stigmatisant de surcroît les élèves concernés ? Malgré les effets d’annonce et l’affichage d’une politique prétendument tournée vers plus d’égalité des chances, le programme du Gouvernement vise en fait à renforcer, à tous les niveaux, les inégalités et les ségrégations... afin de construire une société encore plus libérale et injuste.

Le SNES dénonce le dynamitage de la politique des ZEP et ces choix de société. Il invite les personnels à se réunir et à débattre des 17 propositions qu’il a mises en avant pour une vraie relance des ZEP (voir p 8 du dossier), et à participer aux assises de l’éducation prioritaire qu’il organise fin janvier. Il appelle l’ensemble des personnels à se mobiliser pour exiger une politique éducative ambitieuse à la hauteur des enjeux. _

Monique Parra-Ponce


Extrait du supplément à « L’Université syndicaliste » du 22.12.05 : Comment mesurer les discriminations à l’emploi ?

Observatoire des discriminations

Pour mesurer la discrimination à l’embauche, l’Observatoire utilise la méthode du testing, qui consiste à répondre à des petites annonces comme le ferait un demandeur d’emploi. On envoie pour la même offre d’emploi des CV similaires du point de vue de la formation et de l’expérience professionnelle, en faisant varier un paramètre (sexe, âge, adresse, apparence physique...).

Une première étude, qui portait sur 258 offres d’emploi (soit environ 1 800 CV envoyés), a montré par exemple qu’un candidat d’origine marocaine ou âgé de 50 ans recevait 4 à 5 fois moins de réponses (convocation à un entretien) que le candidat de référence ; un homme au visage disgracieux ou habitant dans un quartier sensible recevait également moins de réponses. Ces premières conclusions ne permettaient cependant pas de savoir ce qui se serait passé après l’entretien d’embauche. Une deuxième étude, conduite sur une échelle plus importante, utilisait des acteurs professionnels spécialement préparés pour des entretiens, selon les recommandations du bureau international du travail.

Elle a fait l’objet d’un reportage de l’émission envoyé spécial, diffusé le 14 avril 2005. Une fois convoqués à l’entretien d’embauche, certains candidats obtenaient des taux de succès (offre ferme d’emploi) importants. Jean-François Amadieu en conclut que le tri sur CV constitue le principal frein à l’emploi et préconise l’anonymat des CV comme première mesure urgente à prendre. Ce travail, initié par une équipe d’une douzaine de chercheurs, doctorants ou confirmés, est devenu peu à peu une référence en la matière. L’Observatoire a ainsi été sollicité par la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE) pour une étude sur les discriminations à l’embauche, ciblée sur de grandes entreprises françaises. D’autres sociétés prennent l’initiative de contrôler leurs pratiques de recrutements et demandent à l’Observatoire de réaliser ce qu’on pourrait appeler un auto-testing. C’est ce qui a été fait à PSA, avec l’accord de toutes les organisations syndicales, qui ont ensuite été informées des résultats. « Cela permet de corriger certaines discriminations lorsqu’elles sont constatées » indique Jean-François Amadieu. « On peut même aller plus loin et agir en amont en conseillant les entreprises sur de bonnes pratiques de recrutement, ne serait-ce qu’en respectant les dispositions fondamentales vie privée, sur la situation vis-à-vis du logement, etc. dans un premier questionnaire. »

Enfin, des entreprises utilisent l’expertise de l’Observatoire pour faire un diagnostic de la diversité des personnes employées en leur sein : sexe, nationalité, origine ethnique, etc. « On analyse les fichiers de l’entreprise, dans le respect des recommandations de la CNIL, bien sûr », précise Jean-François Amadieu. La question de la mesure des discriminations ethniques est brûlante, car la loi française interdit toute référence ethnique dans les fichiers. « Nous nous fondons sur le nom et le prénom. La méthode n’est pas exempte d’erreur », reconnaît Jean-François Amadieu, « mais on s’aperçoit souvent que c’est le patronyme plus que la véritable origine qui est discriminé. C’est certainement la moins mauvaise des méthodes car si l’on incitait les personnes à faire la déclaration volontaire d’une origine ethnique, on prendrait d’autres risques : fichage, communautarisme... ». La reconnaissance du testing dans la loi sur l’égalité des chances, l’évocation du Claude Vollkringer anonyme dans le discours télévisé du chef de l’État sont une sorte de consécration pour l’Observatoire des discriminations. C’est surtout le signe que la cohésion sociale, l’égalité des chances sont devenus des enjeux politiques, économiques et sociaux dont personne ne peut douter qu’ils sont des objectifs dignes d’une république évoluée.


Extrait du supplément à « L’Université syndicaliste » du 22.12.05 : Construire l’intégration sociale

Les différentes vagues d’immigration ont réussi à s’intégrer, parfois difficilement, dans une société dans laquelle la mobilité ascendante était possible, laissant les postes difficiles aux derniers entrants. Or, depuis plus de 20 ans, l’ascenseur social a cessé de fonctionner. En France, ces victimes sont majoritairement les jeunes issus de l’immigration post-coloniale. Toutes les études soulignent que ce sont eux qui subissent de plein fouet cette crise, notamment sur le marché du travail. À origine sociale et diplôme égal, les jeunes Français « issus de l’immigration » ont trois à quatre fois plus de « chances » d’être au chômage que les autres français. La boutade de Jamel Debbouze (« tu n’as aucune chance, saisis-la ! ») résume le défi que notre société lance à ces jeunes. Cette jeunesse n’est pas homogène, entre les sans-qualification, ceux qui ont un emploi, même dégradé, et ceux qui poursuivent des études. La nouveauté du mouvement de novembre est sans doute dans le fait que la désespérance sociale a débordé le noyau dur des jeunes chômeurs pour gagner l’ensemble de la jeunesse des cités. Cette jeunesse partage une communauté d’expérience, celle de la discrimination quotidienne, des contrôles policiers incessants et de l’exclusion de l’emploi. Le pire de cette exclusion n’est-elle pas celle qui frappe les jeunes diplômés de ces cités qui subissent ce paradoxe d’être exclus au moment où leur intégration semblait réussie !

Le pouvoir politique et médiatique utilise une terminologie (« sauvageons » ou « racaille ») visant à amalgamer jeunes des banlieues et délinquance, les renvoyant à des supposées communautés ethniques qui menaceraient notre identité nationale, les suspectant de ne pas chercher à s’intégrer. On voit bien que le projet est de rabattre la crise sociale sur une crise identitaire, pour mieux stigmatiser et imposer un contrôle social plus fort, accepté par l’opinion publique.

Comment agir ?

Il est nécessaire de dévoiler la réalité des discriminations. Les producteurs de données statistiques (Insee, ministères...) expriment des réticences, par ailleurs légitimes, à introduire dans les enquêtes des questions relatives à l’origine ethnique des personnes. Mais estil possible de continuer à s’interdire de mesurer l’ampleur des discriminations ? Ensuite, pour promouvoir l’égalité, il faut s’interroger sur la notion d’égalité. La jeunesse des cités dénonce à juste titre l’absence d’égalité devant la loi. La plupart des « discriminations négatives » dont elle est victime sont le résultat de la non-application des lois contre la discrimination dans l’accès à l’emploi ou au logement. Pourquoi aussi peu de poursuites judiciaires en France en cas avéré de discrimination à l’embauche ? Le Medef si soucieux de promouvoir « l’esprit d’entreprise » comme une nouvelle morale, peut-il continuer à se cacher derrière quelques directions d’entreprise éclairées pour masquer la réalité d’une discrimination généralisée à l’embauche ?

Les jeunes discriminés trouvent refuge dans les emplois aidés du secteur non marchand et placent leur espoir dans la garantie de l’anonymat qu’offrent les concours de recrutement de la fonction publique. Mais celle-ci at- elle une politique volontariste ? En d’autres termes, l’égalité républicaine suffit-elle ? Tout le monde s’accorde à accepter une politique publique visant à compenser un handicap reconnu ou à faire respecter le principe d’égalité (à travail égal, salaire égal par exemple). Mais quand la source de l’inégalité est dans l’identité d’une personne, son origine, sa religion, son sexe... la question est différente. La discrimination enferme les individus dans l’une de leurs multiples identités. Si elle n’est pas réfléchie et assortie d’un autre projet, la discrimination positive risque de valider cette stigmatisation en ne mettant l’accent que sur l’identité qui est discriminée. L’un des moyens de forcer l’égalité des chances pour certaines catégories de population qui souffrent de handicaps, de discriminations suppose une politique volontariste.

Il faut une action publique fondée sur un principe d’égalité plus exigeant dont le but est d’empêcher la ségrégation sociale. Il faut insister sur la nécessité de donner une chance à toutes les personnes discriminées, et pas seulement organiser la promotion d’une élite. Notre objectif est la réussite de tous les jeunes des cités à l’école, du primaire aux grandes écoles, mais aussi et surtout à l’Université (bien oubliée dans les initiatives actuelles), ainsi qu’en BTS. Mais d’abord et avant tout, il faut rappeler que l’emploi est un moyen privilégié de l’intégration pour tous. La politique d’égalité n’a de chance de réussir que si une politique active d’emploi est engagée et si elle permet à chacun de trouver sa place.

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