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Une proposition de loi sur l’éducation prioritaire présentée par Roger Chudeau et les membres du groupe Rassemblement National

27 novembre 2023

Proposition de loi relative à la politique d’éducation prioritaire,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Roger CHUDEAU, les membres du groupe Rassemblement National [(1)],
députés.

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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’éducation prioritaire a été créée en 1981. Sa philosophie est celle d’une « réparation » ou d’une « compensation » des inégalités sociales visant à permettre une « égalité des chances » dans l’enseignement scolaire.

Une allocation des moyens différenciée vise à rendre effectif le principe d’égalité des chances. En allouant des moyens supplémentaires aux écoles et établissements secondaires qui concentrent le plus de difficultés scolaires sociales et culturelles, l’éducation prioritaire vise, selon la formule de son concepteur, Alain Savary, à « donner plus à ceux qui ont moins ».

L’éducation prioritaire a connu de nombreuses évolutions et son périmètre d’application s’est beaucoup élargi. Elle concerne désormais plus de 20 % des écoliers et des collégiens.

Le surcoût budgétaire de l’éducation prioritaire comprenant les emplois (ETP) supplémentaires et les primes et indemnités versées aux personnels, est d’environ 2 milliards d’euros.

Si l’on ajoute à ce surcoût identifié les 6 milliards que représentent les personnels affectés structurellement dans les écoles et les établissements relevant de l’éducation prioritaire, le budget annuel total de l’éducation prioritaire représente près de 8 milliards d’euros, soit plus de deux fois celui du ministère de la culture par exemple.

L’éducation prioritaire peut donc être regardée comme une politique publique à part entière. Ses enjeux en termes d’élévation du niveau général d’instruction, de cohésion sociale, de transmission des valeurs aux plus fragiles de nos concitoyens, sont de nature « stratégique ».

Une politique publique spécifique d’éducation prioritaire est d’intérêt général.

L’ « archipellisation » (M. Jérôme Fourquet) du territoire, l’apparition de « territoires perdus de la République » (M. Emmanuel Brenner), voire de « territoires conquis de l’islamisme » (M. Bernard Rougier) placent même cette politique sous le régime de l’urgence et de la priorité absolue.

On observe depuis des décennies une concentration accrue des défis éducatifs dans les quartiers où sont concentrées des populations en grande difficulté sociale et économique. Les familles sont fréquemment allophones ou disposent d’une faible maîtrise de la langue française, elles sont en outre parfois très éloignées de la culture, des mœurs et du mode vie français. Elles sont naturellement soumises aux pressions constantes d’un islamisme radical conquérant. Enfin, elles sont souvent prises dans les rets de la tyrannie de gangs hyper violents.

Pour l’école de République, qui a depuis ses origines une ambition émancipatrice et un projet assimilationniste (assimilation prise au sens large et concernant tous les enfants confiés à l’école), les défis et les responsabilités sont immenses. Dans les REP+, l’action éducatrice de l’État trouve tout son sens en matière de transmission, de défense et d’illustration des idéaux républicains auprès de populations travaillées par des tentatives ou des tentations communautaristes, voire séparatistes.

L’enjeu de l’action éducatrice de l’État dans les REP+ n’est autre que l’assimilation à la République et à la nation française des enfants qui sont confiés aux écoles et collèges publics de ces secteurs.

Cette assimilation passe par une maîtrise réelle et solide des fondamentaux sans lesquels il n’est pas d’éducation ni d’apprentissage possible. Elle passe aussi par l’acquisition des repères historiques constitutifs de la nation et de la communauté française (nous faisons ici référence au code civil, loi 2011‑642, article 21‑24 qui énumère les traits qui caractérisent « l’assimilation à la communauté française ») et par l’acquisition et l’adoption des principes, des valeurs, des codes, et des modes de vie qui caractérisent la République française.

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La situation actuelle des REP présente de nombreux défauts systémiques qui en obèrent l’efficacité.

Il existe actuellement 1 092 réseaux d’éducation prioritaires, où l’on distingue les REP (730 collèges et 4 174 écoles) et les REP + (362 collèges, 2 462 écoles). Plus de 21 % des élèves de notre pays relèvent désormais de l’éducation prioritaire.

Cette inflation résulte de l’accumulation des réformes dont l’éducation prioritaire a fait l’objet depuis sa création en 1981. Comme le souligne le rapport n° 1524 sur l’avenir de l’éducation prioritaire ([1]), la politique d’éducation prioritaire n’avait jamais été évaluée globalement par le ministère de l’éducation nationale.

Selon un travers bien connu de nos administrations, lorsque le portage politique est défaillant, on assiste à un empilement des dispositifs et à une inflation des moyens, sans renouvellement de la doctrine et sans stratégie explicite.

L’élargissement du périmètre de la politique d’éducation prioritaire ne peut évidemment se faire qu’au détriment de la concentration des moyens sur les lieux les plus fragiles et les plus exposés. Trop de priorités tuent la priorité !

Cet éparpillement se complexifie encore en raison de la cartographie officielle des réseau d’éducation prioritaire (REP). Cette cartographie, élaborée lors de réforme Vallaud‑Belkasem des REP de 2014, repose essentiellement sur les indicateurs sociologiques des collèges, « têtes de file » des réseaux. Or l’on note qu’en raison d’évolutions démographiques ou de nouveaux découpages de la carte scolaire, un nombre significatif (mais non chiffré par le ministère de l’éducation nationale (MEN)) d’écoles sont dites « orphelines ». Bien que présentant aujourd’hui un taux d’indice de positionnement social (IPS) très bas, elles ne sont pas rattachées à un réseau et ne disposent donc pas des moyens afférents à celui‑ci. Il s’ensuit une rupture d’égalité et – pour les acteurs de terrain – un fort sentiment d’injustice.

Mais il s’ensuit surtout que des élèves qui en auraient fort besoin sont dépourvus d’aide dédiée. Cette cartographie devait être rénovée en 2019 mais ne l’a pas été. Depuis le rapport Mathiot‑Azema du 4 novembre 2019, la pertinence d’une cartographie des REP est même ouvertement questionnée.

Un autre défaut systémique réside dans la structure même des réseaux d’éducation prioritaire. Ceux‑ci réunissent par construction un collège et « ses » écoles de secteur. Or ni l’organisation horaire, ni les obligations de service des personnels enseignants, ni le mode pilotage des projets, ni le régime indemnitaire des personnels ne sont identiques entre collège et l’école primaire. Les difficultés de pilotage que cela produit sont innombrables et ont été abondamment décrites aux parlementaires en mission dans les académies.

Enfin, l’articulation, la coordination, le pilotage des objectifs et moyens de la politique d’éducation prioritaire avec les autres politiques publiques dédiés aux quartiers prioritaires de la ville fait apparaître de nombreux défauts liés à l’organisation en « silos » de ces politiques. Préfet délégué, Conseil général (aide sociale à l’enfance (ASE)), centres inter‑communaux d’action sociale (CCAS), directeurs académiques des services de l’éducation nationale (DASEN) sont autant d’autorités et de sources de moyens qui ne coopèrent qu’occasionnellement et très localement, loin de toute stratégie éducative territoriale intégrée, pourtant absolument indispensable en l’état actuel de la situation.

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Les lacunes observées dans la mise en œuvre des objectifs généraux du système éducatif par les REP signent l’échec d’un modèle dépassé.

L’affirmation, sans cesse reprise depuis M. Jean‑Pierre Chevenement, de la priorité absolue à accorder à la maîtrise du « lire‑écrire‑compter », aujourd’hui rebaptisé « fondamentaux », n’a eu aucun effet sur le niveau, ni sur les performances scolaires des élèves de REP en particulier.

On observe certes un « frémissement » dans ce domaine en raison du dédoublement des classes de la grande section au CE1 – mesure très positive – mais ces progrès restent ténus et surtout très fragiles lorsque les dédoublements cessent en CM.

La vérité oblige à dire que nombre d’élèves n’ont depuis la maternelle qu’une approche balbutiante du français et que les trésors de savoir‑faire et de dévouement des maîtres font penser à un travail de Sisyphe. Les horaires dédiés à l’apprentissage de la lecture sont clairement insuffisants. Les élèves en grandes difficultés ne sont pas pris en charge par suffisamment de professionnels (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), orthophonistes, Psy‑En). Les dédoublements devraient intervenir dès la petite section de maternelle et ne concerner que les apprentissages fondamentaux, ce qui n’est pas autorisé.

Le collège de REP accueille donc encore plus de 60 % d’élèves ne maîtrisant pas la lecture fluide à l’entrée en 6e. Il ne propose du reste (car cela n’est pas autorisé non plus) aucune structure dédiée à ces élèves qui seront nécessairement « perdus » après quelques mois de secondaire…

S’agissant de la transmission explicite des valeurs de la République, première priorité de l’action éducatrice de l’État aux termes du code de l’éducation, il n’en a pratiquement jamais été question avec les acteurs institutionnels et les acteurs de terrain durant la mission d’information citée ci‑dessus. Ce silence peut être regardé comme révélateur d’un manquement assumé aux missions du service public d’éducation. Tout se passe comme si, du décideur politique ministériel à l’opérateur, cette question était de nature trop « politique » pour être abordée et traitée. C’est là méconnaître les fondements même de l’ambition éducative de la République depuis les origines : former des citoyens français.

Il convient donc de changer de paradigme, et doter l’éducation prioritaire d’un véritable pilotage politique national.

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La création d’un programme dédié « Éducation prioritaire » dans la mission « Enseignement scolaire » sera proposé dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances.

L’article 1er fixe le cadre du pilotage par l’État de la politique d’éducation prioritaire.

L’article 2 définit les principes d’une nouvelle cartographie des réseaux d’éducation prioritaire en s’appuyant sur une procédure d’allocation des moyens basée sur les IPS et les indicateurs de difficultés scolaires. Il prévoit notamment un « plan d’urgence » permettant de déroger aux réglementations contraignantes relatives aux obligations réglementaires de service (ORS) des professeurs, à l’intervention de professionnels dans les écoles, aux programmes et horaires scolaires, aux structures des cursus, etc.

L’article 3 prévoit que la politique d’éducation prioritaire sera fléchée comme une priorité et fera l’objet d’un suivi et d’une évaluation spécifiques.

Tels sont les considérants et les principes qui président à la présente proposition de loi.

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PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Il est institué, auprès du ministre en charge de l’éducation nationale, un délégué interministériel à l’éducation prioritaire, nommé par décret.

Le délégué interministériel à l’éducation prioritaire a pour mission de définir et de mettre en œuvre les objectifs et les moyens de la politique d’éducation prioritaire et de coordonner l’action du ministère en charge de l’éducation nationale avec les autres ministères compétents.

Article 2

Il est instauré, pour une durée de cinq ans, une allocation progressive des moyens reposant sur un barème et des indicateurs centrés sur les établissements. Ses modalités d’application sont déterminées par un arrêté du ministre chargé de l’éducation.

Pour assurer le pilotage et la conduite effectifs de la politique d’éducation prioritaire, le ministre fixe, par arrêté, pour une période de cinq ans, la liste et la composition des réseaux d’éducation prioritaire.

Le ministre est autorisé, par décret, à déroger pour une période de cinq ans, aux décrets relatifs aux horaires, cursus et programmes de l’enseignement primaire et du collège.

Article 3

Le ministre rend compte tous les ans au Parlement de la mise en œuvre de cette politique et des résultats obtenus. Un rapport final est établi et transmis et présenté au Parlement à l’issue de la période de cinq années précitée.

([1]) Rapport d’information du 12 juillet 2023, en conclusion des travaux de la mission d’information chargée de dresser un panorama et un bilan de l’éducation prioritaire, présenté par M. Roger Chudeau (président) et Mme Agnès Carel rapporteure).

Extrait de assemblée-nationale.fr (présentée le 7 novembre 2023)

 

Voir sur le site OZP Le rapport Carel, le sommaire et la liste des 52 recommandations

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