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L’enseignement des Maths en ZEP, vu par Catherine Moisan (reprise d’un article de 1998)

15 avril 2006

Extrait de « L’Encyclopédagogie », le 14.04.06 : « L’approche abstraite n’est pas nécessairement à proscrire en ZEP »

Parmi les nouveautés d’avril 2006 de l’Encyclopédagogie : reprise d’un entretien avec Catherine Moisan, inspectrice générale de l’Education nationale (1998)

Lors des assises de Rouen en juin 1998, vous avez souhaité que parmi les commissions sur des thèmes spécifiques, il y en ait une sur l’enseignement des mathématiques. Pourquoi les mathématiques ? Percevez-vous une spécificité des mathématiques en REP/ZEP ?

C.M.  : Les projets des zones d’éducation prioritaire faisaient apparaître de nombreuses actions pour améliorer la maîtrise de la langue et des langages. En revanche, il y a encore peu de temps, les actions dans le domaine strictement scientifique et technique ne figuraient pas en bon rang. Avec « La main à la pâte », les actions scientifiques apparaissent maintenant en meilleure place, mais il faut distinguer l’enseignement des sciences et celui des mathématiques, ce n’est pas le même sujet.
Tous les instituteurs, en ZEP/REP comme ailleurs, font des mathématiques avec leurs élèves, mais ils ne font pas tous des sciences. Il y aurait à dire sur la façon dont ils enseignent les mathématiques, parce que souvent ils ne se sentent pas à l’aise alors qu’ils ont une forte expertise dans l’enseignement du français.

Redonner du sens aux activités scolaires en mathématiques ne se fait pas nécessairement en partant d’activités à support concret. Du reste, il s’agit souvent de faux concret parce qu’on propose aux élèves des situations qui voudraient coller à la réalité et qui ne le font pas parce qu’elles sont trop simplifiées. S’y ajoutent d’ailleurs des malentendus parce que les situations proposées peuvent être très éloignées de la culture ou du monde que côtoient les élèves. En partant de ces fausses situations concrètes, on laisse de côté toute la partie « modélisante » des mathématiques. C’est une différence de fond avec « La main à la pâte ».

Il faut chercher le sens ailleurs ; l’approche abstraite n’est pas nécessairement à proscrire pour des élèves en difficulté parce que des enfants peuvent prendre du plaisir à entrer dans l’abstraction. Par exemple, il m’est arrivé de voir, du fond de la classe, à propos d’une situation de comptage de cinq en cinq (ou autre), des élèves s’engager dans ce comptage et prendre incidemment conscience de l’infinitude des nombres entiers. Mais le maître ne perçoit pas toujours que l’élève est en train de découvrir quelque chose d’important.

Et, d’autre part, on peut « produire » des mathématiques à partir de situations vraies. Lors de ma mission sur l’enseignement professionnel, j’ai pu constater que des élèves maçons ont parfois besoin d’utiliser un peu de trigonométrie. Si on en reste à une utilisation sous forme de recettes à appliquer toujours dans la même situation, alors on ne fait pas de mathématiques. Mais dès qu’on met ces élèves dans des conditions où ils sont amenés à transposer ces outils de trigonométrie à une situation différente, alors ils commencent à faire des mathématiques. Reste à se demander s’il faut aller jusqu’à l’introduction de notions de trigonométrie de façon plus formelle, jusqu’au concept mathématique, mais cela sort du cadre de cet entretien.

Prenons un autre exemple dans un registre un peu différent : si l’on propose aux élèves de trouver le prix d’un produit en fonction de la quantité achetée, situation qui met implicitement la proportionnalité en jeu, il se peut que les élèves n’adhèrent pas à la résolution de ce problème parce que la situation leur paraît « fausse » ; lorsque la quantité augmente ou lorsque la marchandise est présentée en lots, des rabais sont annoncés et la proportionnalité ne fonctionne plus. Mais si on leur demande : « Est-ce qu’on y gagne vraiment en achetant un lot ? », alors on peut engager les élèves dans une démarche de résolution de problème.

L’idée qu’il ne faut pas baisser les exigences est maintenant acquise. Mais comment concilier ce souci d’exigence avec des conditions plus difficiles qu’ailleurs, notamment comment répondre à la question des élèves : « À quoi servent les mathématiques » ?

C.M. : L’utilité des mathématiques n’est généralement pas perçue par les élèves ; ce n’est pas un problème propre aux ZEP. Tous les enfants se posent cette question, mais pour certains si la réponse est : « C’est utile pour passer dans la classe supérieure », ils l’acceptent davantage. D’une manière générale, les mathématiques sont surtout perçues comme un instrument scolaire et c’est souvent cet aspect que reproduisent les enseignants.
Si les élèves de ZEP posent plus souvent la question : « À quoi servent les mathématiques ? », c’est que l’exigence de donner du sens est plus forte en ZEP qu’ailleurs.
La formation en mathématiques répond à une nécessité citoyenne évidente ; on est dans un monde de chiffres, il faut être capable de lire, d’interpréter, de critiquer des chiffres statistiques. Le fait de maîtriser ou non cet outil peut introduire des inégalités très fortes.
Par ailleurs, la structuration de l’espace et du temps est un objectif essentiel à l’école primaire et au collège. L’enseignement des mathématiques y contribue fortement. À ce sujet, je me demande si l’apprentissage du repérage de l’heure sur une horloge à cadran ne reste pas nécessaire ; pour de jeunes enfants, c’est au fond la première approche d’un phénomène cyclique et c’est un bon outil de rencontre « espace/temps » en lien avec des expressions de la vie courante telle que la demie, le quart, etc.

Le recentrage sur les apprentissages « fondamentaux » a été et reste l’une des orientations fortes de la relance des ZEP. Ne craignez-vous pas que cette orientation ne s’accompagne, en mathématiques, d’une accentuation d’exercices techniques (techniques opératoires ou application de règles) ?

C.M. : Les résultats aux évaluations nationales à l’entrée en CE2 et en 6e montrent des écarts de performance entre ZEP et hors ZEP. On constate une baisse générale des résultats pour ce qui concerne les additions et soustractions ou les multiplications mais l’écart entre ZEP et hors ZEP est plutôt moins important sur ce champ que sur des techniques comme celle de la multiplication d’un nombre décimal par 10, 100 ou 1 000, par exemple. Les nouveaux outils de calcul comme la calculatrice conduisent à se demander : « Jusqu’où ne faut-il pas descendre dans l’acquisition de techniques opératoires ? ». Or, les activités de calcul arithmétique de l’école primaire développent l’un des aspects fondamentaux des mathématiques, l’activité algorithmique. Il faut trouver des activités pour remplacer ces techniques de calcul. Notamment, il faut travailler le calcul mental sur des nombres assez simples en insistant sur la nécessité de contrôler les résultats, qu’ils soient fournis par l’élève ou par la machine.

En ZEP/REP, les enseignants de mathématiques les plus engagés ont tendance à essayer des modes de gestion variés et à en changer assez vite parce qu’ils n’ont pas apporté tout de suite les effets escomptés. Comment les aider à s’engager dans des pratiques sur une durée suffisamment longue sans pour autant en faire « un système » ?

C.M. : Il faut rassurer les enseignants. Les engager à ne pas s’arrêter à un ou deux essais ; pour avoir un effet, certaines pratiques doivent être répétées dans la durée. Mais, là encore, il faut tenir les choses par tous les bouts et varier les situations d’apprentissage sans perdre de vue l’objectif que l’on poursuit. Par exemple, il peut être utile, voire nécessaire, de mettre en place une situation d’apprentissage qui va permettre un débat entre les élèves, les conduire à argumenter, à produire des preuves. Pour en voir le bénéfice, il faut répéter ce genre de travail. Mais proposer un travail avec un logiciel de géométrie dynamique peut servir le même objectif : passer d’un constat sur différents cas de figures à la nécessité de sortir du cas particulier et de démontrer.

On peut, à certains moments, prendre le temps nécessaire pour mettre en place de telles situations, et à d’autres moments, travailler les techniques utiles pour acquérir certains automatismes indispensables, mais pendant des périodes plus courtes.

Et l’éternelle question de la liaison CM2/6e ?

C.M. : Le lien entre les maîtres d’école primaire et les professeurs de collège est plus important en mathématiques et en ZEP qu’ailleurs. Je l’ai déjà dit, les instituteurs ne se sentent pas assurés en mathématiques ; ils ont un peu peur d’être confrontés à leurs collègues professeurs de mathématiques. Les évaluations à l’entrée en sixième sont un bon moyen d’entamer une réflexion commune, d’une part sur l’interprétation des résultats, et d’autre part sur les notions et les pratiques pédagogiques. S’il y a des continuités à assurer, les professeurs de collège doivent aussi aider les élèves à négocier certaines ruptures. Mais cela suppose une bonne connaissance mutuelle non seulement des programmes, mais aussi des manières dont les notions peuvent être introduites à l’école primaire et continuées au collège. C’est le cas, notamment, pour la géométrie où il s’agit de passer d’une géométrie de perception à une géométrie d’argumentation et de déduction. C’est le cas aussi en ce qui concerne les nombres décimaux.

Qu’est-ce qui, selon vous, fonctionne bien dans l’enseignement des mathématiques en ZEP/REP ?

C.M. : Cela fonctionne bien quand on essaie de se poser en classe une vraie question. Plutôt que de partir de faux concret, il vaut mieux partir d’une situation réelle puis la simplifier avec les élèves pour pouvoir donner des éléments de réponse. Il s’agit de les mettre en activité intellectuelle et particulièrement en situation de création. Je suis toujours heureusement surprise de voir le plaisir de certains élèves lorsqu’ils prennent conscience qu’ils peuvent toujours trouver un nombre décimal compris entre les deux qu’ils viennent d’écrire ; il y a là la sensation d’un certain vertige. Les mathématiques sont au coeur de l’activité intellectuelle, mais cette activité de création s’accompagne d’un certain désordre avant de trouver la solution ; cela n’est pas toujours facile à vivre pour les enseignants.
Cette remarque me donne l’occasion de faire part d’une inquiétude : dans le premier degré, on assiste à une individualisation inquiétante de l’enseignement. Il semble paradoxal de dire que le travail est trop individualisé ; mais l’utilisation de fichiers d’exercices où l’élève travaille à son rythme sans réflexion collective, sans résolution collective, prive les élèves du débat avec les autres, de la confrontation d’idées, de l’apport des réflexions des autres. Cela peut aussi conduire à adopter le rythme des élèves et à les priver d’une sorte d’émulation.

Par ailleurs, les mathématiques permettent une approche intéressante de la maîtrise des langages : on peut travailler sur la précision du vocabulaire, ce qui n’empêche pas une réflexion sur la polysémie des mots. Dans les exercices de lecture ou d’écriture de consignes pour reproduire une figure par exemple, si l’élève se trompe de vocabulaire, cela a une conséquence, cela change le sens, la figure reproduite par un camarade n’est pas la figure voulue.

© DESCO / SCÉRÉN - CNDP

Créé en septembre 2000. Actualisé en octobre 2005 - Tous droits réservés. Limitation à l’usage non commercial, privé ou scolaire.

Les nouveautés du mois d’avril 2006 de l’Encyclopédagogie

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