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François Bégaudeau, prof de ZEP, témoigne sur son travail

10 février 2006

Extrait de « Libération » du 09.02.06 : Interrogations écrites

François Bégaudeau, écrivain et professeur de français dans un collège en ZEP, s’est astreint au plaisir d’un récit par jour sur ses heures de cours
septembre 2003, un homme de 32 ans au visage fin et tout en feuille de nerfs, dont le profil semble découpé et suspendu dans l’air du printemps, décide de noter, à propos des classes de quatrième et de troisième auxquelles il enseigne, une anecdote par jour, dialogue ou histoire. Comme tant d’autres, mais avec une sorte d’enthousiasme muet, presque méchant, il a le sentiment d’être « ici au coeur des contradictions d’une société, au point névralgique, là où ça ne marche plus ». Il a aussi la conviction qu’il faut, sans plainte ni mélancolie, le donner à lire. Sa volonté n’est d’écrire ni un « livre de prof, en général réactionnaire et apeuré, ne décrivant que les trains sensationnels n’arrivant pas à l’heure », ni « un essai dans lequel, le plus souvent, le grand absent est la classe elle-même ».

François Bégaudeau est depuis neuf ans professeur de lettres, mais il préfère se qualifier de professeur de français : « C’est plus conforme à ma fonction. La plupart des problèmes viennent de la déception. Les nouveaux professeurs pensaient enseigner la littérature et ils se retrouvent ici pour enseigner la langue. Il y a un hiatus à la Ionesco entre la formation et l’expérience. »
Il a d’abord enseigné dans un lycée à Dreux ; il travaille aujourd’hui dans un collège parisien baptisé Mozart, toujours en ZEP. Ses grands-parents étaient paysans ; ses parents, instituteurs. Il fut bon élève. Il a aimé Sartre, Camus, et n’aime plus le second. Sa maîtrise portait sur Faulkner et Claude Simon. Agrégé, il est arrivé en classe avec Proust et Flaubert par vent arrière : il a vite réduit la voilure. Des écrivains français contemporains, il distingue Olivier Cadiot, « pour l’impureté de la langue », et Jean Echenoz, « pour sa pureté ». Plume, d’Henri Michaux, demeure l’une de ses oeuvres préférées. A Dreux, il eut une émotion particulière quand il comprit que ses élèves aimaient les aventures intérieures de l’homme qui dort.

François Bégaudeau est également (ou avant tout, comme on voudra) écrivain, critique de livres et de films (aux Cahiers du cinéma). Chez Verticales, il a publié deux romans : Jouer juste, Dans la diagonale. On y lit son amour du sport, des figures de style et de la langue ¬ un amour si pointilleux, si aiguisé, qu’il touche parfois au néant, comme si aucune phrase ne pouvait jamais correspondre au rêve qui nous a lancés dedans. Entre les murs porte l’écho sonore de cette double expérience : enseignante et littéraire. Celle-ci est au service discret de celle-là ; l’enseignant a simplifié l’écrivain.
La parole des élèves (et celle des professeurs, presque semblable, en léger contrepoint) contamine sans cesse la langue écrite, jusque dans le corps du texte : l’auteur signifie que la seconde perd du sens dans un espace où la première dissout les formes. C’est donc un témoignage sur la condition de « prof » dans un collège de ZEP, mais aussi un texte sur le langage tel qu’il se développe et dans ce qu’il révèle du collège, de ces enfants, du rapport qu’ils ont aux mots, à la société et à l’autorité. Avec De Marivaux et du loft, de Catherine Henri (POL), et le film l’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, qui a orienté Bégaudeau dans son propre travail, Entre les murs est l’oeuvre la moins moralisante et la plus apte à faire comprendre la vie et le potlatch des enfants remuant dans la voiture-balai.

(...)

Philippe Lançon

François Bégaudeau : « Entre les murs », Verticales/phase deux, 272 p., 16,90 €.

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