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Denis Meuret au Café pédagogique : le modèle français d’éducation est plus inégalitaire que celui du Québec, faute d’un projet de changement porté par les intellectuels et l’élite

6 janvier 2014

Qu’est ce qui explique le déclin de l’Ecole française tel qu’il est mesuré par Pisa ? Pour Denis Meuret, professeur de sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, ce n’est pas à cause de l’idéologie soixante-huitarde. C’est bien au contraire l’échec des réformes imaginées en 1968 qui amène l’Ecole là où elle en est. Dans un nouvel ouvrage, "Pour une école qui aime le monde", il explique que c’est le logiciel même de l’Ecole française, son Modèle Politique d’Education, qu’il faut changer. Et il répond aux questions du Café.

"Si tout porte à croire que le système scolaire québécois est meilleur que le notre, c’est parce que... on l’a mieux gouverné dans la période récente et parce qu’on a réussi à y formuler... un récit sur l’école qui en permet ce bon gouvernement". Ce ne sont pas tant les politiques qui sont fautifs que les intellectuels qui ont été incapables de faire évoluer le projet éducatif français.

[...] S’agissant des dispositifs scolaires en œuvre, la différence la plus significative m’a paru être ce qui est fait pour les élèves en difficulté, avec là bas une plus grande capacité à penser que tout le monde peut apprendre et aussi qu’on peut apprendre hors de la classe d’où résulte, m’a-t-il semblé, une collaboration plus affirmée, une plus grande confiance entre les enseignants et les personnels qui prennent en charge les élèves en difficulté.

Quel modèle permettrait de mieux lutter contre la croissance des inégalités scolaires ?
Les inégalités scolaires sont loin d’augmenter dans tous les pays. De 2003 à 2012 en maths, par exemple, l’influence de l’origine sociale sur le score PISA est stable en moyenne dans les pays de l’OCDE (PISA 2012 results, vol2) alors qu’elle a augmenté fortement en France. Si je puis tourner la question en « lequel des deux modèles, français ou québécois, est le plus capable de lutter contre les inégalités scolaires ? », et utiliser PISA pour vous répondre, la réponse est clairement : le modèle québécois. [...]

[...] En fait, de la société [française], émergent des messages favorables à une école qui aime davantage le monde. J’inclus parmi eux les multiples initiatives locales prises par des enseignants, des directeurs d’école ou des chefs d’établissement en faveur d’un enseignement qui s’adresse davantage à tous, mais ces initiatives ne sont pas organisées, fédérées par un nouveau modèle. L’élite française est plus fautive que la société.

L’Ecole française est elle réformable ? Pourquoi ? Qui pourrait le faire ?
Première réponse : L’école française a évolué, elle a bougé, elle n’est pas immobile. Deuxième réponse : elle l’a souvent fait à reculons, en ayant le sentiment qu’elle perdait son âme à des évolutions pourtant bénéfiques, non seulement pour l’économie, mais aussi pour la cohésion et la culture de la société (l’ouverture du second degré, par exemple). Selon moi, c’est parce qu’aucun récit n’a été capable de lui montrer la cohérence et le caractère bénéfique de ces changements, justifiés trop souvent seulement par les « besoins » de la société et de l’économie et pas assez par la mission même de l’école : faire grandir, permettre aux élèves de développer leur personnalité propre et d’agir mieux sur le monde.

Extrait de cafepedagogique.net du : Denis Meuret : Pour une école qui aime le monde

 

Pour une école qui aime le monde. Les leçons d’une comparaison France-Québec (1960-2012), Denis Meuret,
Presses universitaires de Rennes (avec le soutien de l’IREDU de l’université de Bourgogne ),
Collection : Paideia
Nombre de pages : 208 p.
ISBN : 978-2-7535-2857-4
Prix : 16,00 €

Dans un ouvrage sous-titré "les leçons d’une comparaison France-Québec (1960-2012)", Denis Meuret, professeur des sciences de l’éducation à l’université de Bourgogne, invite à considérer les deux "Modèles politiques d’éducation (MPE)" avec côté Québec un récit global et positif sur l’école et son rôle dans la société moderne, initié par le rapport Parent de 1963 et côté France, avec le colloque d’Amiens de 1968 "un récit moins ample et beaucoup plus ambivalent, même si dans les deux cas, on réclamait une école moins rigide et plus ouverte".

Pour l’auteur, le gouvernement de l’école prend appui sur un MPE car "malgré les apparences l’école doit être justifiée, vis-à-vis de l’Etat, des élèves et de ses personnels". Cette justification suppose "une conception de l’enfant, de son développement, des modalités de son insertion dans la société, du rôle social et politique de l’éducation, cohérentes entre elles...", ce qui renverrait "en France à l’idée rousseauiste de fonder la nation pour le gouvernement, aux Etats-Unis [entendre ici aussi Canada-Québec, ndlr] à la démocratie et l’idée lockéenne d’un gouvernement au service d’un ordre social qui lui préexiste".

Un récit québécois

Il s’ensuit au cours des chapitres qui décrivent les évolutions opérées au cours des cinquante dernières années par les deux écoles, une période "qui est au modernisme" : "le progrès implique une nouvelle forme d’école et d’éducation plus ouverte moins rigide". Le "récit" québécois a plutôt réussi, les enjeux ont été pris en compte à la fois par les gouvernements et l’opinion publique. Ce qui fait bifurquer et diverger les deux modèles aux objectifs pourtant voisins ? Un pragmatisme qui répond à chaque fois par des solutions (les programmes d’études, les services éducatifs,...) à des effervescences sociales alors que la France s’en serait tenue à des rapports et des commissions (de qualité) sans relais dans l’opinion.

Après une comparaison très détaillée des deux systèmes éducatifs contenant des témoignages et des appréciations subjectives explicites, l’auteur livre en fin d’ouvrage une sorte de bilan des deux MPE. "La comparaison avec le rapport Parent nous a aidés à comprendre les raisons de cet échec [du colloque d’Amiens, ndlr] : une conception moins unifiée du monde, moins optimiste et moins ample de ses évolutions" et subséquemment une "ambivalence vis-à-vis de l’économie", "de l’ouverture de l’école au plus grand nombre certes nécessaire mais également menaçante" et un retour sur "une argumentation qui semble s’adresser à un pouvoir politique réticent et ignorer un public plus prêt que jamais à entendre ces thèses".

Aux élèves d’inventer le monde de demain

Les interrogations sur les possibilités de réforme sont donc au cœur de ce livre. Elles portent aussi sur la possibilité d’écriture d’un récit nouveau, un nouveau MPE car l’image de la société telle qu’elle s’est construite depuis un siècle se défaisant, l’école en France conçue comme le lieu "de production de l’identité nationale (...) s’éloignerait de plus en plus du modèle, y compris d’ailleurs dans les modes d’apprentissage (...) au risque d’une catastrophe [qui] générerait un recours plus massif encore qu’aujourd’hui à l’enseignement catholique ou au soutien scolaire privé".

En conclusion, Denis Meuret pense qu’il revient désormais aux élèves de ne pas laisser à l’administration ou au politique la construction d’un nouveau MPE en droite ligne du modèle durkheimien qui sépare ceux qui font évoluer le monde et ceux à qui on demandera de ne rien faire qui puisse le détruire, avec son corollaire, "une autorité des maîtres fondée sur leur position d’intermédiaires entre la société et l’élève (...) Il y a plusieurs façons de présenter le monde aux nouveaux venus et certaines sont plus susceptibles que d’autres de leur permettre d’inventer leur propre monde. Il faut les trouver", ajoute-t-il en guise de conclusion.

Présentation éditeur et sommaire

Extrait du site ToutEduc du 06.02.2014 : Permettre aux jeunes d’inventer leur monde, l’ambition de Denis Meuret ("Pour une école qui aime le monde")

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