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Attal ou la diversion de l’autoritarisme (entretien du Café avec Sébastien Roché)

22 avril

Attal ou la diversion de l’autoritarisme

Lors de son discours à Viry-Châtillon, où le jeune Shamseddine a été battu à mort, Gabriel Attal a fait le choix de l’autorité, selon lui. Travaux d’intérêt général si les jeunes contestent l’autorité, collège de 8 heures à 18 heures dans les quartiers populaires, contrat d’engagement entre l’établissement, les parents et l’élève (qui n’est pas sans rappeler le règlement intérieur signé par ces mêmes personnes en début d’année), la levée de l’excuse de minorité… Un peu comme à son habitude, le Premier ministre fait le choix de s’attaquer aux conséquences des politiques publiques désastreuses en matière d’éducation plutôt qu’aux causes. Pour Sebastian Roché, politiste et auteur de « La nation inachevée. La jeunesse face à l’école et la police » (Grasset), le Premier ministre est dans une posture de coercition et non d’autorité, et il se défausse de la responsabilité du Président Macron en rejetant la faute sur les parents et les jeunes eux-mêmes. Il rappelle aussi que contrairement aux discours politiques, « nous ne sommes pas face à une recrudescence de la violence au sein de notre société ».

Le discours de Gabriel Attal montre une volonté d’autorité. Est-ce la bonne réponse à la violence d’une partie de notre jeunesse ?

Gabriel Attal montre une volonté de contrainte et non une volonté d’autorité, c’est fort différent. La volonté d’autorité serait que l’État regagne le crédit moral, le prestige qui fait que ses injonctions sont écoutées, précisément sans contrainte. C’est la différence classique entre le consentement et la coercition. Hannah Arendt, par exemple, dit que celui qui a de l’autorité est celui qui est « auteur de la règle », au sens où on reconnaît un droit moral à celui qui émet cette règle. Ce que fait Gabriel Attal, c’est tout le contraire. Il remplace l’autorité par la coercition, et cela à tous les niveaux. Il a le projet d’imposer des sanctions à tous. Aux parents. À l’école en imposant de nouvelles règles dans son fonctionnement – se lever quand un professeur entre, apposer des mentions dans le dossier scolaire des élèves qui auraient perturbé la classe… Et pour finir, avec un durcissement de la réponse pénale, et donc une augmentation de la sévérité des peines, ce qui signifie incarcérer plus longtemps une partie plus importante de la jeunesse.

On est donc face à un programme de coercition, un durcissement dont le Premier ministre ne se cache pas vraiment. Son programme de coercition est enveloppé dans les mots Nation, République et « culture civique » – une notion qu’il emploie d’ailleurs de façon erronée.

D’ailleurs cette jeunesse est-elle plus violente qu’il y a 20 ans ?

Il existe des faits de violence très graves qui se produisent, mais les tendances dans la société française, en général et pour les mineurs en particulier, ne sont pas à l’aggravation.

Par rapport à 2016, il y a à peu près 10% d’homicides en plus. Ces homicides se produisent à partir du niveau le plus bas que nous ayons enregistré depuis cinq siècles. Nous sommes sur des planchers historiquement bas de la violence homicide. Des planchers sur lesquels il y a un rebond – ce n’est pas une inversion de tendance, et il est lié non pas aux jeunes, mais à des organisations criminelles qui ont développé le trafic de la cocaïne avec 47 morts à Marseille l’année passée, par exemple, liés à ce trafic.

Nous ne sommes donc pas face à une recrudescence de la violence au sein de la société en général, le phénomène est très circonscrit à de petits segments qui utilisent la violence à des fins instrumentales. Il ne s’agit pas d’une perte de valeurs, mais d’une utilisation de la violence pour arriver à ses fins : éliminer la concurrence, protéger le commerce. Ce n’est pas un problème moral, mais un problème d’économie et de régulation d’un marché.

Dans les enquêtes que nous faisons auprès des jeunes pour évaluer la gravité perçue des faits, nous constatons qu’ils ont une évaluation calquée sur celle du système pénal. La violence avec homicide, la violence avec armes sont tout autant condamnées chez les jeunes que chez le reste des Français… Notre jeunesse a donc la même grille d’évaluation de la gravité que la population générale.

Depuis 1999, j’ai répété quatre fois une enquête de délinquance auto-déclarée auprès des jeunes. En France, et dans toute l’Europe aussi, on note une diminution très importante des vols simples, moins de ports d’arme… On a des jeunes moins délinquants aujourd’hui qu’en 1999 à l’exception de phénomènes nouveaux, comme les humiliations sur internet qu’ils sont 10% à pratiquer. Ils sont aussi moins nombreux à consommer du cannabis, environ 30% de moins que dans les années 2000. Les autres délits comme le racket, sont stables.

Pour résumer, même s’il faut toujours s’inquiéter du meurtre d’un adolescent par un autre adolescent, ces événements ne sont pas plus fréquents. Des commentaires politiques veulent nous faire croire à une tendance, alors que scientifiquement, c’est faux.

Vous évoquiez, dans une interview que vous nous aviez accordée, la part de responsabilité de l’école dans « la désaffiliation nationale ». Qu’est-ce que cela signifie ?

L’école, la police sont des administrations qui ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi. C’est la manière dont le service public, ou le service de l’enseignement privé sous contrat vont être mis en œuvre qui est à penser. L’école est un des socles sur lequel les sociétés se construisent. Le niveau d’éducation détermine la performance des administrations, des entreprises, la qualité de la justice. Tout le système social, politique et économique tel que nous connaissons repose sur le fait que les individus acquièrent des compétences.

Mais, aujourd’hui, il y a une ambivalence du système scolaire. Pour une partie de la jeunesse, il renforce l’intégration politique, la préparation au fait d’être un citoyen et d’exercer ses responsabilités – par exemple en votant. Et cet apprentissage ne se fait pas dans les cours d’éducation morale et civique, mais par l’acquisition d’une compétence subjective. Les élèves se sentent alors compétents pour participer au débat public, « je peux faire entendre la voix, je suis légitime, je suis compétent ». Cette compétence est beaucoup plus importante que de connaître des dates, fussent-elles importantes, c’est elle qui permet aux citoyens de prendre part au débat public.

Pour une autre partie des jeunes, l’école leur fait ressentir qu’ils n’ont pas de place dans la petite société que représente l’établissement, et donc dans la grande société politique. J’ai montré cela à partir de plusieurs grandes enquêtes empiriques.

La formation de la culture civique est liée à l’expérience concrète de l’école : les relations avec les professeurs – qui sont d’ailleurs meilleures en France que dans plusieurs pays voisins, la réussite scolaire qui en est aussi un élément essentiel – si on est désigné comme incompétent scolairement, il est improbable que l’on se sente compétent pour participer à la chose publique, et, enfin, la ségrégation sociale et ethnique vécue dans l’école. Lorsque les adolescents constatent qu’ils sont scolarisés dans un établissement ghetto, ils comprennent qu’ils valent moins, et donc qu’ils n’ont pas de place dans la Nation, que les institutions politiques n’œuvrent pas pour eux. Ils apprennent donc, avant même d’avoir le droit de vote, que ce droit ne vaut rien.

Gabriel Attal, lorsqu’il parle de culture civique, fait référence à un conditionnement moral. La culture civique, ce sont des attitudes par rapport à l’État : le vote, la reconnaissance des représentants de l’État – comme le Président. Les jeunes forment leurs idées générales sur l’État, sur la République, sur la citoyenneté, dans les relations les plus ordinaires qu’ils ont avec leurs professeurs, avec les policiers dans la rue. Ces relations ancrent leur expérience citoyenne puisque ces administrations sont le « bras » de l’État. Les élèves sont au point de distribution du service public, et de la qualité de ces contacts provient leur culture civique.

Faut-il le rappeler, la culture civique ne se forme pas par injection d’éducation morale et civique comme le prône le Premier ministre, par plus par des cours ex-cathedra théoriques sur l’Etat idéalisé, mais dans la rencontre de toutes ces expériences sensibles et concrètes.

Est-ce qu’une plus grande autorité des professeurs, le fait de se lever quand ils entrent, de rester au collège de 8h à 18h, graver dans le marbre les « protestations et contestations de l’autorité » peuvent avoir un effet « bénéfique » sur les élèves ?

L’autorité du professeur, c’est comme l’autorité du Premier ministre. C’est un attribut qui vous est reconnu par le destinataire du message. La coercition, on la maîtrise, parce qu’on a les moyens de la mettre en œuvre, mais l’autorité, on vous la reconnaît, et cela les professeurs le savent bien.

La littérature scientifique montre que tous ceux qui acceptent la discipline sont ceux qui en bénéficient le plus. Ceux qui savent que se plier à la règle, c’est en être le bénéficiaire, que le cadre leur est profitable. Max Weber le disait déjà en parlant de ceux qui tirent profit d’un cadre culturel national.

Dans son discours, Gabriel Attal vise spécifiquement les zones d’éducation prioritaire. Il souhaite que les écoles deviennent des lieux de garde 10 heures par jour. Quel projet éducatif ! Faire de l’école un lieu de rétention. On est loin de l’idée de l’émancipation par l’école.

Et puis, le Premier ministre en remet une couche sur l’enseignement moral et civique. La France est le pays d’Europe qui a le programme le plus développé, en nombre d’heures sur tout le cursus. Pourtant, les travaux académiques montrent que les effets de ces cours sur le sentiment d’appartenance nationale ou encore la culture civique n’existent pas.

La relation à l’État, à la nation, est ancrée dans des expériences affectives. Apprendre des dates ne modifie pas la façon de voir la laïcité, la démocratie ou la citoyenneté. Seule la pédagogie active peut contribuer à l’expérience de la citoyenneté.

Il est assez terrible que Gabriel Attal, et ses conseillers, fassent autant fausse route au plan conceptuel. On ne saurait traiter efficacement un problème sans avoir les bons instruments intellectuels. Ils auraient pu s’appuyer sur les travaux de la recherche, ils n’auraient pas dit tant d’énormités.

Et les parents ? Le Premier ministre semble leur renvoyer la balle, comme si finalement, la violence d’une partie de la jeunesse était seulement de leur fait. Qu’en pensez-vous ?

Il est assez troublant que le Premier ministre ne se rende pas compte que les collégiens d’aujourd’hui ont majoritairement eu Emmanuel Marcon comme président pendant leur vie d’écolier. C’est donc sa politique que le Premier ministre sanctionne. Il fait comme si tout était du fait des politiques antérieures au macronisme, et des jeunes eux-mêmes ou de leurs parents. Il oublie le peu d’appétence à la correction des inégalités et de la ségrégation ethnique qui affectent profondément l’expérience quotidienne des jeunes, et donc leur culture civique.

Gabriel Attal remplace la politique publique, l’action, par une indignation morale. C’est moins coûteux. Et, pour se disculper de toute responsabilité, le Premier ministre pointe du doigt les autres, en l’occurrence les parents. Ce n’est pas sans rappeler les émeutes de juillet dernier. Un policier tue un gamin qui ne le menace pas, et le Président explique que les émeutes sont de la responsabilité des parents.

C’est un retournement des causes et des effets. Les effets des inégalités à l’école ou devant la police, sont le socle d’une culture civique faite de distance et de suspicion vis-à-vis institutions politiques. Je concluais « La nation inachevée » avec cette phrase : « Si l’existence d’une collectivité politique dépend de son unité, le fait que chacun soit traité de manière égale en est une cause, pas une conséquence ». Elle me semble plus que jamais d’actualité.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 22.04.24

 

Shemseddine, Samara... : « Les jeunes ont un niveau de tolérance à la violence plus élevé »

Directeur de recherches émérite au CNRS, le sociologue Olivier Galland explique que rien ne prouve que les jeunes sont aujourd’hui plus violents. Mais leur niveau de tolérance à la violence a augmenté.

Le spectre de la violence chez les jeunes et dans les établissements scolaires est brutalement réapparu et il a viré au drame à Viry-Châtillon (Essonne). C’est dans cette commune du sud de la région parisienne - un secteur touché par le phénomène des rixes entre bandes rivales - que Shemseddine, 15 ans, a été tabassé jeudi par plusieurs personnes qui ont ensuite pris la fuite. Ce vendredi, en début d’après-midi, le parquet d’Évry a annoncé sa mort. Une enquête a été ouverte pour tentative d’assassinat et violences en réunion aux abords de l’établissement, situé dans un quartier populaire de la ville. C’est en effet en sortant du collège des Sablons, entre 16 h et 16 h 30, qu’il a été agressé.

Ces faits sont survenus alors que l’émotion...

Extrait de leprogres.fr du 05.04.24

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