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Anne-Marie Chartier aux enseignants de ZEP pour l’apprentissage de la lecture

1er mai 2006

Extrait du site des « ZEP de l’Yonne », le 29.04.06 : Outils et manuels, indispensables ou inutiles ?

Anne Marie Chartier à Paron

Manuels et outils, perspective historique

précision : ce sont des notes de conférences

200 enseignants ont participé à la conférence d’Anne-Marie Chartier, chercheur à l’INRP, spécialiste de l’histoire des méthodes d’enseignement. La salle de Paron (merci à la mairie pour son accueil) avait fait le plein et la matinée s’est même déroulée sans la pause réglementaire... C’est dire si l’attention des auditeurs a été vigilante...

Notes de conférences de Patrick Picard, non relues par l’auteur.
Vous pouvez retrouver un texte d’Anne-Marie Chartier sur la question de l’histoire de l’enseignement de la lecture dans la revue Le Débat n°135
Les enfants ne sont pas équipés intellectuellement pour apprendre seuls à lire. Il y a toujours un outillage, un médiateur qui dispose d’une technologie. L’écriture en est une.

Dès qu’on dit « outils », on parle d’ouvriers plus ou moins habiles pour les utiliser, selon qu’ils sont néophytes ou experts, et on parle d’apprentissage. Les outils sont donc indispensables. Ce qui vient en premier, dans la logique historique, c’est l’écriture. On apprend à lire en même temps qu’on apprend à écrire, et inversement.
Il y a des outils très simples, et des appareils sophistiqués. Et il y a aussi le « livre du maître » qui est un étage d’explication des théories sous-tendues par l’outil. Dernier avatar, aujourd’hui, le « cahier de l’élève » par fichier pré-imprimé dans lequel les enfants mettent leur criture, qui est une aide gigantesque, mais procure une marge d’initiative réduite.

Du coup, on sait qu’il peut y avoir l’utilisation en parallèle de plusieurs outils : le manuel, mais aussi d’autres supports textuels, voire d’autres livres... Et on peut se demander légitimement si cela fabrique, dans la tête de l’élève, une cohérence ou une divergence...
Nos prédecesseurs ont été aussi intelligents que nous, Il y avait un éventail d’écarts.

Depuis 1980 il n’y a pas eu de nouveauté dans les méthodes. L’apprentissage de la lecture est long. Les enfants ne devaient pas savoir tout lire. Un enfant qui sait lire doit être capable de lire des textes appartenant à ses savoirs (lecture silencieuse). Ca dure 3 ans, sur tout le cycle II. C’est pourquoi je suis si surprise, dans l’image qu’on donne aujourd’hui publiquement aux parents, selon laquelle cette lecture courante devait être acquise à la fin du couprs préparatoire. Mais ce n’est pas possible ! Même les outils disponibles sur le marché ne le posent pas. Comment, à chaque époque, les outils donnent une idée du savoir-lire ?

Dès la maternelle, les comptines sont un matériau linguistique énorme capitalisé à l’école de manière plus ou moins formalisée, qui seront des ressources possibles pour le travail de construction orthographique ou grammatical. La liste des étiquettes des noms des enfants en maternelle est un outil, même s’il n’est pas commercial ni exclusivement consacré à l’apprentissage de la lecture-écriture.

Le démarrage de l’alphabétisation de masse (16e-17e)
On veut alors que les enfants apprennent à lire pour lire les prières du culte (c’est la Réforme, et plusieurs cultes coexistent) sans se tromper. On ne parle pas d’écriture. C’est le démarrage de l’idée de scolarisation obligatoire. Les manuels de lecture de cette époque sont les manuels de prière. On utilise le latin, on apprend par cœur avant d’apprendre à lire : le P-A-PA est celui de Pater Noster. (J’apprends le solfège en ayant par cœur la mélodie de « A la claire fontaine »...). Et en latin, la correspondance lettres/sons est transparente : la découverte du principe alphabétique est régulière. Avec la régularisation de l’orthographe française, on arrive progressivement à l’idée de pouvoir apprendre directement en français. On apprend donc des textes qu’on connaît par cœur, sans que la compréhension ne se pose réellement : « Notre Père qui êtes au cieux... », ça ne se comprend pas réellement...

La première école du peuple : le XVIIIème

La construction progressive du système d’école « pour le peuple » par Jean-Baptiste de la Salle induit la structuration de la semaine scolaire, avec l’accueil des externes de jeudi, la messe le dimanche, l’apprentissage de textes par cœur. C’est le temps des premiers débats avec Rousseau qui refuse cet apprentissage précoce pour son Emile. C’est au temps des Lumières que se pose l’idée de construire un outil d’apprentissage « pour tous », pour lire des textes « tout de suite » date de cette époque. On invente des jeux de dés, pour leur apprendre à travailler sur des syllabes ou des lettres, sans référence à des textes ou des mots « déjà connus dans sa tête ».
On fait des listes de syllabes, toutes les syllabes poossibles, qu’on applique ensuite à des mots à deux, trois, quatre syllabes... puis on apprend systématiquement les liaisons, et ensuite on lit des textes... volumineux, dans lequels on sépare les syllabes par un petit trait, on met en italique les lettres muettes : la typographie est un outil pour le maître... C’est aussi le temps ou prolifèrent les textes sur l’horreur d’apprendre à lire...
L’émergence du manuel moderne (1850)

On mélange sur la page la leçon (le son sur lequel on travaille) et un petit texte à lire, illustré de quelques vignettes. On donne la typographie de la lettre sous toutes ses déclinaisons (majuscules, minuscules...). Dans le même temps, le prix du papier est divisé par dix, les plumes métalliques arrivent dans les classes : on peut imaginer de monter de front écriture et lecture, quand c’était matériellement impossible avant. On ne connaît pas encore le crayon de papier qui introduira l’existence du « cahier de brouillon », mais on va caler la progression de l’écriture et celle de la lecture : le i d’abord, puis le u, le n, le m... le o avant le a, et le e (difficile à graphier) bien plus tard...

L’orthographe devenant « l’inconscient sacré des primaires » avec la dictée éliminatoire à l’entrée à l’Ecole Normale, les maîtres auront du mal à défaire ce qui vient d’être automatisé : les simplifications orthographiques vont devenir impossibles, et la France ne ourra faire ce que fait l’Espagne avec filosofia pour philosophie. Vu la charge supplémentaire que ça demande aux élèves, j’évalue à au moins 18 mois de temps d’apprentissage supplémentaire pour obtenir les mêmes résultats que les autres. C’est grâce à la maternelle que nous parvenons, bon an mal an, à avoir des résulats connvenables dans les évaluations internationales. N’oublions pas qu’apprendre le Finnois est beaucoup plus facile qu’apprendre le Français.

En 1870, la méthode syllabique est la première à supprimer l’épellation, à lier lecture et écriture. A cette époque, c’est révolutionnaire. C’est parce que l’écriture est le lieu sur lequel les enfants s’entraînent qu’ils voit apprendre à lire « ce » correctement. C’est pourquoi l’école de Jules Ferry triomphe, laisse croire dans les IO de 1923 qu’en trois mois un enfant peut apprendre à lire avec les rayures Seyes et le crayon de papier.

Dans les années 1930, on est tenté d’apprendre directement aux enfants à écrire en script, pour limiter les confusions entre les deux écritures scriptes et cursives. Cette introduction de l’écriture scripte en maternelle est combattue par Freinet, qui souhaite pourtant que les élèves produisent des textes tôt : il souhaite que cette écriture soit réservée aux caractères d’imprimerie, et revendique que la cursive permet aux enfants de fixer mieux les unités mots, aide à la relecture et à la constitution des unités sémantiques. Freinet ne sait rien de ce qu’on sait aujourd’hui des stockages mentaux, mais a l’intuition de cette double procédure du décodage et du rappel en mémoire de la figure orthographique du mot. Si on vise une « écriture rapide et autonome », il faut mettre en palce les habitudes qui permettent d’écrire vite. Ce débat est toujours présent aujourd’hui : les montages culturels et contre-intuitifs de la manière de graphier « o » ou de faire une barre de haut en bas est un véritable objet de débat professionnel... C’est de la responsabilité du maître que de monter des gestes graphiques précis, dans un contexte social ou même les élèves qui arivent à l’école ont déjà tenu leur crayon comme une pioche... « Tu fais ce que tu veux chez toi, mais ici on fait autrement... »

Du coup, on va se demander, puisqu’on a supprimé l’épellation, si on peut supprimer la syllabation. Historiquement, la méthode globale de Decroly, avec sa variante de la méthode naturelle, veut partir d’un texte énoncé oralement par les enfants en classe, transformé par le maître en quelque chose qu’on peut écrire, à voix haute, sous leurs yeux, et sur lequel on va faire des remarques. Le texte est déjà connu, il faut trouver comment est monté le système pour arriver aux décompositions successives. L’enfant va être appelé à écrire, et donc à construire ainsi l’automatisation du lien grapho-phonétique.

La lecture courante, ordinaire, suffit alors pour la plupart des apprentissages faits dans les classes : histoire, géographie, science... Ce n’est que parce que l’ambition de l’école va changer avec la volonté de faire entrer les élèves dans la culture littéraire des œuvres du second degré que l’exigence va changer fortement. Il ne s’agit plus de restituer par le ton de la voix le sens d’un texte simple qui était la pratique sociale courante de la grand-mère qui demandait à l’enfant de lui lire le journal. En 1938, les IO de Jean Zay inscrivent pour la première fois l’idée que c’est la lecture silencieuse qui permet de préparer l’accès au sens, alors qu’on avait jusqu’ici dit l’inverse. Etablir le sens du texte avant de le lire, ça va être le sens de ce qu’on va voir arriver après la guerre sur la « lecture mentale » (Pauline Kergomard). On découvre que la lecture lente consomme de la ressource mentale, que la similtude entre « la porte » et « il porte », entre « le » article et « le » pronom peut mettre en difficulté le lecteur débutant.

La massification, les photocopies...

Dans le second degré, les enfants vont être jugés sur leur capacité à lire de manière autonome. On ne peut plus apprendre sans cette maîtrise silencieuse, alors que les leçons oralisée du maître de fin d’études permettaient encore d’apprendre beaucoup... Le développement des photocopies fait disparaître le temps interminable consacré à la recopie et de le réinvestir dans des opérations intellectuelles plus intéressantes. Sauf qu’on oublie en même temps que ce temps n’était pas perdu pour tout le monde, surtout ceux qui en avaient besoin pour automatiser l’écriture. Les bons élèves y gagnent, mais on élargit l’écart en ne permettant plus à ces élèves ces temps de « récupération »...

Il faut se poser la question, à chaque nouvelle technologie introduite dans la classe, de ce qu’on perd en même temps que ce qu’on gagne, et donc des vigilances à avoir pour ne pas mettre en difficulté les élèves... On a beaucoup de « contrôles de compréhension » en vrai/faux dans les outils proposés par les éditeurs : ce qui peut être intéressant en relation singluière, lorsqu’on va pouvoir demander les raisons du choix, devient peu efficace en situation collective.

Du coup, la technologie de « pédagogie différentiée » implique la protection rapprochée des élèves en difficulté. Mais elle pose un grand problème pour le mâitre : comment se font les mise en commun ? Comment se construit la culture collective de la classe ? Freinet était déjà dans ce type de gestion des contradiction, en donnant à la fois des fichiers auto-correctifs de travail individuel et des lieux de culture collective : journal de classe, correspondance collective, conseil de classe... mais il est dans un monde qui vise le certificati d’études pour tous, pas le bac poour tous... avec ce qu’il implique comme maîtrise individuelle des technologies scolaires... Les années 60 font redoubler un tiers des enfants au CP, et l’école d’aujourd’hui à l’ambition de faire réussir tous les élèves, y compris ceux qu’elle intègre alors qu’elle les marginalisait dans des structures spécialisées...

Le problème de l’enseignant : construire un enseignement collectif

Quels outils utiliser pour affronter cette diversité sans en rabattre sur ces objectifs ambitieux ? Jusqu’où peut-on exiger de l’école ce « zéro défaut » ? Comment avoir le droit de « prendre le temps » ? On voit bien que la pression des normes internationales, l’exigence de maintenir la qualité de la langue, de rajouter des enseignements, des prescriptions... Notre système a été ces dernières années dans une augmentation de la productivité à la japonaise, il faut oser le dire... Mais vous ne savez pas forcément en faire la publicité...
Trois entrées, un seul outil ?

Ecriture, multiplicité des entrées en lecture et de ses modalités d’évaluation, utilisation de la lecture pour d’autres apprentissages scolaires... Sur ces trois entrées, vous ne pouvez pas avoir les mêmes outils : on ne fait pas la même chose à l’oral avec la recherche de rythme, et en travail sur l’orthographe. Vous faites votre métier de pédagogue. Ce qu’il faut, c’est que vous puissiez expliciter à vous-même pourquoi vous faites ce choix, de la même manière que souvent vous pouvez tolérer à certains ce que vous ne tolérez pas à d’autres... Mais parfois, vous êtes plus pifométrique dans vos choix : pourquoi vous tenez à telle activité, à tel livre.

Souvent, c’est au moment où vous discutez avec un collègue de « comment tu fais » que vous explicitez ce que vous faites. Le problème n’est pas tant des outils que de la manière de les utiliser. Le cumul d’expérience ne vient pas avec les cheveux blancs, mais avec le travail, qui vous permet d’investir pour récupérer... Et on sous-estime le haut degré de technicité des maîtres : un emploi-jeune diplômé qui surveille la copie de dix enfants ne fait rien de commun avec ce que fait la maîtresse dans la même circonstance, dans la mise au travail, la transmission de la consigne, la vérification.

Outils informels de la culture orale : comptines au cycle II Les comptines apprises à la maternelle ne sont pas souvent réutilisées au CP et au CE1. Pour ceux qui ne les reprennent pas à la maison, c’est une déperdition. Pourtant, elles ont beaucoup d’intérêt :

 apprendre à segmenter oralement

 enrichir le stock de lexique, fabriquer du sens

 permettre une prise de conscience des « effacements » possibles (dans la ... un grand cerf...) d’abord des substantifs, puis des verbes : sur un texte écrit, oralisé, intériorisé, on va prendre conscience de la différence entre lire le texte en le scandant, en le lisant sur l’affiche, en prenant conscience du déroulement de la langue, de son organisation linéaire, en découvrant l’unité « mot » décrite par E. Ferreiro... Tout cet apprentissage qui exise avant la découverte du code est constitutif de la construction du rapport à la langue... Et comme souvent vous le faites sans y penser, vous ne faites pas assez penser les enfants dessus... L’exercice du « Petit Corbillon » va permettre de découvrir des règles de tri qui ne correspondent pas avec le sens habituel : on va mettre ensemble « garçon » et « ballon », mais aussi « bille » avec « fille ». Cette catégorisation decontextualisée sera d’autant plus efficace que vous allez répéter souvent la situation, la régulariser suffisamment pour que tous les élèves puissent jouer, réinvestir... en se rappelant ce qu’on a fait la veille. Il faut accepter l’idée qu’on est dans une activité qui va utiliser ce qu’on a fait ensemble la veille... Même le jeu, ça s’apprend. Quand on est trop dans la « compréhension de la règle », on oublie le rôle de la mémoire, qui est un des lieux de la construction des savoirs stockés dans le « disque dur », qu’il va falloir récupérer pour pouvoir l’activer...

Technologie d’apprentissage de l’écriture

Il y trois écritures : la capitale d’imprimerie, la scripte, la cursive... Qu’est-ce qu’il faut penser comme avantage et comme difficulté dans la coexistence des ces trois écritures ? La capitale d’imprimerie permet même aux malhabiles de mettre leurs initiales, elles fonctionnent avec leur geste spécifique. Mais dès qu’on passe au script, puis à la cursive, il faut monter le geste d’écriture dans le bon sens. Il faut que le maître soit là pour regarder le geste : la production finale ne vous dira rien sur ce qu’il a fait... La question de l’écriture en scripte vous regarde, mais la transcription en cursive de textes écrits en script est un apprentissage nécessaire, plus qu’on ne le voit... les enfants qui lèvent 5 fois la tête pour recopier « éléphant » n’apprennent pas l’écriture du mot, puisqu’ils n’écrivent que des morceaux de mots... Il faut lui en faire gagner la conscience globale, orthographique. Une des manières efficace est de les rendre conscients de leur contrôle en écrivant le texte à copier au verso, et en marquant une coche à chaque fois qu’on retourne la feuille pour vérifier... Alors, la consigne « faire sans faute pendant 10 minutes » est très efficace pour modifier la performance, introduire le doute orthographique et les procédures de contrôle...

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Cet article a été repéré par Le Café pédagogique N°72 d’où nous l’avons extrait.

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