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Bentolila : le risque d’universités-poubelles comme il y a des écoles-poubelles

27 juin 2007

Extrait du « Monde » du 27.06.07 : Le supérieur malade de l’école

Oui, nos universités sont pour la plupart dans un état pitoyable. Oui, le recrutement des enseignants néglige les capacités d’innovation, les qualités pédagogiques et la notoriété internationale. Oui, les filières proposées sont à des années-lumière des besoins économiques et sociaux. Oui, Nos universités ronronnent et se sclérosent dans une triste collusion entre une offre médiocre et des ambitions limitées.

Il paraît donc important et urgent de tenter, à travers l’octroi d’une véritable autonomie, de les inciter à choisir avec plus de pertinence leurs orientations et à recruter avec plus de lucidité et d’objectivité leurs enseignants. Mais que vaudra cette responsabilité accrue si certains des étudiants qui entrent dans l’enseignement supérieur restent de médiocres lecteurs, de piètres scripteurs et se révèlent d’une navrante maladresse lorsqu’ils auront à expliquer et argumenter ? Or aujourd’hui, mes étudiants de licence de linguistique sont pour un tiers environ incapables de mettre en mots oraux ou écrits leur pensée au plus juste de leurs intentions.

Une université plus autonome sera plus exigeante et il faut qu’il en soit ainsi ! Mais si ce principe d’exigence n’est pas appliqué dès l’école maternelle, si la complaisance et l’aveuglement sont de règle jusqu’au baccalauréat, l’autonomie accrue des universités engendrera nécessairement une sélection féroce et d’autant plus cruelle qu’elle aura été inconsidérément différée.
C’est en effet à l’école maternelle de veiller à une réelle maîtrise du langage (et notamment du vocabulaire) ; c’est à l’école élémentaire de livrer au collège des élèves lisant et écrivant avec pertinence ; c’est au lycée de former des jeunes étudiants capables de mettre en mots leur pensée avec précision - et pourquoi pas élégance.

Excellence et justice sociale

C’est sur ces engagements affichés dans leur solidarité que pourra s’appuyer la refondation nécessaire d’une université française visant l’excellence, l’efficacité et la justice sociale. Dans le cas contraire, nous aurons à côté de quelques pôles d’excellence des universités poubelles (comme nous avons des écoles poubelles et des collèges poubelles), dans lesquelles seront maintenus artificiellement en vie universitaire des étudiants sans aucun avenir culturel ni professionnel.

Peut-on tolérer qu’un système éducatif ne fasse le constat - alors sans appel - des insuffisances fondamentales qu’au seuil de la quatrième année d’université ? Peut-on tolérer que cette complaisance, ce mensonge institutionnel transforment toute orientation en voie honteuse de relégation, rendant ainsi méprisables les filières techniques et professionnelles où échouent ceux dont l’insécurité linguistique, jamais identifiée, confine à l’illettrisme.

Il y a sans doute urgence à réformer en profondeur nos universités. Mais nous risquons de commettre une fois de plus la même erreur : imaginer que l’on peut transformer une seule des composantes du système - la plus haute - sans se préoccuper des autres qui la soutiennent et l’alimentent, c’est ignorer que nos étudiants ont été enfants de maternelle, élèves du primaire et du secondaire et que la qualité de la formation intellectuelle et linguistique qu’ils y ont acquise conditionnera la hauteur des ambitions de l’université qui les accueillera.

En bref, nous sommes placés devant un choix simple : ou bien nous nous battons pour qu’école, collège et lycée construisent un socle ambitieux et dûment vérifié de savoirs et de savoir-faire indispensables à la poursuite d’études supérieures, ou bien nous interdisons à un tiers de nos bacheliers l’entrée dans une université qu’une autonomie bien utilisée aura rendue digne du nom qu’elle porte.

Alain Bentolila est professeur de linguistique à Paris-V-Sorbonne

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La présentation de L’Expresso du 27 06 07 :

Bentolila : Le niveau baisse...

"Une université plus autonome sera plus exigeante et il faut qu’il en soit ainsi ! Mais si ce principe d’exigence n’est pas appliqué dès l’école maternelle, si la complaisance et l’aveuglement sont de règle jusqu’au baccalauréat, l’autonomie accrue des universités engendrera nécessairement une sélection féroce et d’autant plus cruelle qu’elle aura été inconsidérément différée". Dans une tribune donnée au Monde, l’ancien conseiller de Robien revient dans le débat éducatif.

La thèse est simple : il faut relever le niveau d’exigence à l’école et au collège et lutter contre la "complaisance" dont font preuve les enseignants. "C’est en effet à l’école maternelle de veiller à une réelle maîtrise du langage (et notamment du vocabulaire) ; c’est à l’école élémentaire de livrer au collège des élèves lisant et écrivant avec pertinence ; c’est au lycée de former des jeunes étudiants capables de mettre en mots leur pensée avec précision - et pourquoi pas élégance".

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