> V- ACTEURS (la plupart en EP) > Enseignants : Identité > Enseignants : Identité (Etudes) > Ces profs de ZEP issus de ZEP et de l’immigration (étude)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Ces profs de ZEP issus de ZEP et de l’immigration (étude)

12 décembre 2006

Extrait du site « Altérités », le 12.12.06 : Les enseignants issus des immigrations

« Les enseignants issus des immigrations »

une étude de Frédéric Charles et Florence Legendre

Une première étude sur un phénomène émergent dans l’éducation nationale

Prof. de maths et de physique le jour dans un établissement classé ZEP à Roubaix, Marzouk Benayyad monte sur scène le soir pour donner un spectacle où il se moque de lui-même, des profs et des élèves. Mais qu’on ne s’y trompe pas : comme il l’a dit face à Nicolas Sarkozy le 30 novembre 2006 sur France 2, il prend très au sérieux son rôle d’enseignant et il défend l’école comme “un lieu sacré” où le respect est dû, notamment à l’égard des professeurs qui se retrouvent souvent en situation “d’amortisseurs de la société”. Pour assurer sa mission, il demande plus de moyens, et des “moyens humains”. Ses élèves, entraperçus dans un reportage, l’apprécient : “Ses cours sont plus animés. Il nous donne plus envie de travailler que les autres profs”, affirment-ils.

13,1 % des nouveaux professeurs issus de l’IUFM de Créteil en 2006

A sa manière, l’engagement de Marzouk Benayyad rejoint celui de trois enseignants fille et fils d’immigrés du sud de la France dont le portrait est brossé dans le documentaire Les Nouveaux hussards de la République, de Marguerite Cros et Benoît Califan, diffusé le 10 octobre sur France 5. Dans ce film, les sociologues Frédéric Charles et Florence Legendre aident à comprendre comment ces enseignants envisagent leur métier pour faire face aux nouveaux défis de l’école, et notamment s’ils se sentent investis d’une mission particulière en tant qu’enfants d’immigrés. Les deux sociologues viennent de publier une étude sur ces questions, soutenue par le syndicat Unsa-éducation.
C’est l’une des toutes premières du genre en France. Jusqu’ici, on ne disposait guère que des chiffres fournis par Jean-Louis Auduc, directeur-adjoint de l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de l’académie de Créteil. D’après lui, on assiste depuis 2003 à une augmentation constante du nombre de stagiaires issus de l’immigration - ou supposés tels - reçus aux concours de recrutement des enseignants du primaire (Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Seine-et-Marne) : 153 en 2003, ils seraient 239 en 2006, soit 13,1 % des nouveaux effectifs. A partir d’un échantillon d’un millier de futurs enseignants de l’IUFM de Créteil, Frédéric Charles et Florence Legendre tracent une perspective comparative avec leurs collègues “d’origine française”.

Tout d’abord, ils rappellent que l’accès au professorat dans le primaire et plus encore dans le secondaire profite toujours davantage aux milieux sociaux aisés. Or, les enseignants issus de l’immigration, bien qu’ils ne constituent pas un groupe homogène, sont majoritairement originaires de milieux populaires ayant peu accès au groupe professionnel de l’éducation nationale. Cependant, ils ont bénéficié d’une implication forte des parents dans leur scolarité, la réussite étant synonyme d’ascension sociale, et d’activités socio-éducatives (animateur de centre aéré, d’association sportive ou culturelle, surveillant ou aide-éducateur) qui les ont mis au contact du milieu enseignant, suscitant leur nouvelle vocation professionnelle. Cette évolution est particulièrement sensible chez les femmes, qui constituent plus de 80% des futurs enseignants.

Entre “conformisme enseignant” et plus grande sensibilité aux discriminations à l’école

Les auteurs de l’étude s’intéressent aussi à la perception qu’ont les enseignants issus des immigrations du modèle de l’école républicaine. Il en ressort un “conformisme enseignant” et une adhésion aux valeurs universalistes d’égalité “abstraite” plus marquée encore : ils récusent les exceptions au règlement scolaire, entendent maintenir la religion hors de l’école, et surtout déclarent ne pas porter d’attention spécifique aux élèves selon les origines.
En revanche, ils manifestent une plus grande sensibilité à la question des discriminations à l’école et se prononcent pour une meilleure représentation de la diversité culturelle dans l’institution scolaire. Ils se montrent en particulier plus conscients des inégalités dans le secondaire où les conditions d’exercice du métier demeurent davantage soumises à la concurrence avec le reste du corps enseignant. Après avoir relevé que les enseignants issus des immigrations souhaitent en grande majorité exercer leur métier en ZEP ou dans des quartiers “moyens”, les auteurs s’interrogent dans leur conclusion sur le risque d’enfermement dans des espaces professionnels réservés, voire socialement ségrégués.

Ainsi, il y aurait déjà surreprésentation en Seine-Saint-Denis. Or, selon les principes de l’égalité républicaine, les nouveaux enseignants devraient pouvoir enseigner partout sur le territoire national, y compris donc dans les écoles des beaux quartiers. Ils n’y semblent pas prêts, et doutent que le corps enseignant et les parents le soient. Beaucoup témoignent d’expériences concrètes confirmant la prégnance des préjugés, notamment à l’égard de professeurs issus de l’immigration qui enseignent des matières comme l’histoire, la géographie ou le français. Et ils assument leur implication volontariste auprès des milieux populaires dont ils sont proches, un peu à l’instar des hussards noirs de la République, ces enfants de paysans devenus instituteurs qui partirent alphabétiser les campagnes au XIXème siècle.

Mogniss H. Abdallah, Agence Im’media

[11/12/2006]

Les enseignants issus des immigrations, modalités d’accès au groupe professionnel, représentations du métier et de l’école », Frédéric Charles et Florence Legendre, édition Sudel/Unsa-éducation, 2006

 »Les nouveaux hussards de la République », documentaire 52mn - 2006, de Marguerite Cros et Benoît Califano. Production : France 5 et Productions Point Doc.

Répondre à cet article