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Un dossier le l’UNSA-Education sur les ZEP (suite) : témoignages de principal, CEP et assistante sociale

28 janvier 2006

Extrait de « L’Enseignement public » de décembre 2005 : Réussir en ZEP

1. Des témoignages du Var, des Charentes et de Marseille

Travailler en ZEP : du découragement souvent, de la fierté parfois, de l’énergie toujours...

Principale de collège, conseiller principal d’éducation, assistantes sociales : trois femmes, un homme. Tous les quatre ont accepté de parler de leur métier, de leur quotidien, de leurs moments de découragement. De leur fierté aussi de travailler en ZEP. Et donnent aussi des clés, des explications dont les responsables politiques pourraient s’inspirer avant de jeter l’anathème sur les ZEP ou de proposer de fausses solutions.

Une vigilance de tous les instants, un investissement intense de l’équipe pédagogique.

« Depuis septembre 2001, je suis Principale du Collège Henri Wallon à La Seyne sur Mer dans le Var.

Seul collège classé en ZEP et zone sensible du Var, il est également l’un des six établissements labellisés A.P.V. (affectation prioritaire valorisée) de l’Académie de Nice. Il reçoit 680 élèves qui habitent tous la cité Berthe, quartier d’immeubles HLM bénéficiant d’un programme de rénovation urbaine. Le collège est également établissement d’appui de la classe relais et de la structure pour les primo arrivants. 97% de nos élèves appartiennent à des catégories socioprofessionnelles (CSP) défavorisées et nous n’accueillons aucun enfant appartenant à une CSP favorisée. L’assistante sociale a repéré 460 enfants qui n’ont pas de conditions favorables pour réussir scolairement (situations économiques difficiles, situations matérielles inadaptées au travail scolaire).

Il est donc indispensable dans ce contexte que les élèves ressentent le travail d’équipe des adultes autour d’eux. Même si les résultats d’évaluation de 6è sont très faibles, (37% en français et 45% en maths), on peut mesurer la plus-value engendrée par un projet pédagogique particulièrement opérant en examinant les résultats du brevet qui varient de 57 à 70 % de réussite suivant les années, et bien que le taux attendu par le rectorat soit de 50%. Le travail de l’équipe pédagogique est intense. Le projet d’établissement s’intitule la "Réussite des élèves". Et nous ne sommes pas peu fiers lorsque nous constatons que le taux de redoublement de la seconde générale est inférieur au taux académique. Néanmoins, travailler au collège Henri Wallon nécessite une vigilance de tous les instants, et un investissement intense de tous les acteurs. Nous déplorons la baisse des crédits ZEP, des fonds sociaux. Nous aimerions que l’assistante sociale soit présente plus d’une journée par semaine (elle travaille actuellement sur 4 établissements). Il en est de même pour l’infirmière et le médecin scolaire car bien souvent c’est au collège que les enfants trouvent des réponses aux problèmes de santé qu’ils rencontrent. Enfin, les idées reçues sont tenaces, et la ZEP est souvent synonyme d’apocalypse pour ceux qui ne la côtoient pas de l’intérieur et oublient d’en voir les réussites. C’est, avouons-le, parfois un peu décourageant. »

Michèle Demorge, principale du collège Henri Wallon de La Seyne-sur-Mer

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Répondre à de nombreuses sollicitations avec peu de moyens : le service social sous pression.

« La demande de l’équipe de direction et de l’équipe enseignante y est plus forte d’où une présence plus affirmée du service social en faveur des élèves. Les sollicitations des familles et des élèves y sont aussi plus fréquentes. Les caractéristiques des situations se situent surtout autour d’une très grande précarité financière. Ces enfants sont plus souvent en difficulté scolaire avec des soucis de comportement, d’absentéisme, d’irrespect parfois de violence. Les familles sont en souffrance face à l’échec de leur enfant et totalement démunies, ne trouvant pas de place dans l’institution scolaire.

Le service social se situe autour d’une approche individuelle, de médiation entre la famille et l’établissement et d’une implication soutenue dans des actions collectives : réseau parentalité, collectif d’intervenants sociaux du quartier, synthèse avec les coordonnateurs ZEP et l’ensemble des partenaires associatifs et institutionnels.

La difficulté première du service social est la gestion du temps : il intervient en effet sur six établissements. Ceci implique des difficultés pour collecter l’information et participer à la vie du collège sans défavoriser les autres. L’équipe éducative reste très en demande de conseils techniques peut-être plus reconnue qu’ailleurs avec aussi une meilleure reconnaissance de la part des enfants et des familles. La mixité de populations et de cultures amène enrichissement et réflexion permanente sur nos formes d’interventions auprès des élèves et de leurs parents. Bien que les établissements ZEP soient remis en cause au vu des résultats scolaires, c’est dans ces structures que l’on ressent le mieux le sens et la valeur d’une équipe. Le manque de moyens en personnels sociaux ne permet cependant pas de répondre au mieux aux problématiques posées. »

Séverine Petithomme Lafaye, Bernadette Martin, assistantes sociales en Charente

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Une réelle satisfaction de travailler en ZEP

« Le collège Auguste Renoir, établissement classé en ZEP dans les « quartiers Nord » de Marseille se caractérise, comme les autres établissements de ce type, par une forte homogénéité sociale, une population issue essentiellement de l’immigration et un niveau scolaire très faible avec 30% d’élèves ne maîtrisant pas la lecture en 6ème. Comme ailleurs, nous subissons une baisse de moyens tant financiers que humains alors que l’environnement urbain est de plus en plus paupérisé.

Même si cela demande une énergie considérable du fait des sollicitations permanentes et multiples, il existe une réelle satisfaction à travailler dans ce type d’établissement. Les équipes, souvent jeunes, sont dynamiques, motivées et s’adaptent plus facilement. Il est vrai que la première année est souvent difficile pour les jeunes collègues pas assez formés à ce type de public. Les élèves sont en recherche de règles et de repères. Ils testent limites et réactions de notre part comme tout adolescent qui se construit, avec un comportement aggravé du fait de l’environnement. Ici, plus qu’ailleurs, la relation est affective et humaine, voire familiale : « on s’engueule mais on s’aime bien ». Il existe une telle détresse humaine et scolaire que nos jeunes attendent que l’on s’intéresse à eux. Ce qui ne veut pas dire s’apitoyer ou être complaisant mais plutôt être à l’écoute, être juste et être référent. Le dialogue est la clé de voûte du système.

L’expérience de 15 ans de ZEP dans une dizaine de collèges différents me donne la conviction que le bon fonctionnement d’un établissement relève plus des adultes que des élèves. D’où l’importance d’une politique éducative cohérente de l’ensemble de la communauté scolaire. L’investissement et la disponibilité sont l’une des clés de l’action en ZEP mais pourra-t-on les garantir avec la politique de restriction actuelle ? »

José Fontana, conseiller principal d’éducation au collège Auguste Renoir de Marseille

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2. Un entretien avec Eric Maurin

La ségrégation territoriale, un « mal social inassumé »

Les violences urbaines qui ont récemment secoué de nombreux « quartiers en difficultés » sont-elles la face visible d’un mal plus profond ? Pour Eric Maurin chercheur au CNRS, l’image du ghetto, inquiétante mais circonscrite à des lieux bien identifiés ne reflète pas la réalité. Dans « Le ghetto français », il analyse les « tensions séparatistes » qui traversent la société.

Quel regard portez vous sur la politique de la ville depuis sa création ?

Les efforts de la politique de la ville n’ont pas fait et ne font pas reculer la ségrégation territoriale. L’action publique ne sait agir que sur l’aspect le plus visible des problèmes, en rénovant les habitations délabrées, en détruisant et reconstruisant. C’est une action nécessaire, mais avec le recul, on voit bien que c’est totalement insuffisant. Le principe de la ségrégation, ce n’est pas la recherche des plus beaux immeubles, c’est la recherche par chacun du meilleur environnement social pour soi et ses proches. Les plus aisés ont les moyens de s’installer dans les quartiers où se concentrent les familles les plus riches, les enfants les plus protégées et ainsi de suite, les plus pauvres n’ayant pas d’autres choix que de vivre dans les quartiers que tout le monde a fui.

Les ghettos sont-ils une fatalité ?

Les ghettos sont la conséquence de l’anxiété sociale et scolaire qui traverse l’ensemble de la société. Pour désamorcer le principe intime de la ségrégation, il n’y a pas d’autres solutions que de diminuer l’enjeu, aujourd’hui démesuré, revêtu par le contexte de socialisation et de scolarisation. On ne pourra progresser dans cette direction qu’à condition de distendre les liens entre lieux d’habitation et lieux de scolarisation, en inventant une nouvelle carte scolaire par exemple, moins prévisible et contournable par les familles. Plus généralement c’est toute la philosophie de notre système éducatif et d’insertion professionnelle qu’il faut revoir et réformer. La sélection est aujourd’hui absurdement précoce et définitive, c’est une source de compétition complètement inefficace pour les meilleurs lieux de résidence.

Quel bilan faites-vousdes ZEP ?

L’échec scolaire n’est pas la conséquence de discriminations, mais de la pauvreté extraordinaire dans laquelle grandissent encore aujourd’hui plus de 20% des enfants en France. Le principe d’aider spécifiquement les familles les plus pauvres reste donc tout à fait d’actualité. Les politiques territoriales, comme les ZEP, n’ont pas un problème de principe, mais un problème de mise en oeuvre. En premier lieu, elles atteignent mal les publics réellement en difficulté. Les élèves de ZEP ne sont pas aussi représentatifs que cela des élèves réellement défavorisés. Les écoles de la ville d’Aubervilliers ont par exemple dû attendre la fin des années 1990 pour devenir zones d’éducation prioritaire. Elles ont payé l’opposition initiale du Parti communiste à cette politique. De fait, le choix des « territoires » susceptibles d’être aidés est inévitablement lié à considérations d’ordre politique, ce qui brouille considérablement leur mise en oeuvre. Par ailleurs, une fois qu’on a commencé à aider un territoire, il est difficile de mettre un terme aux transferts de moyens, quelle que soit l’évolution des choses, les aides étant très vite perçues comme des droits acquis. Les dispositifs d’aides territoriales sont ainsi condamnés à n’évoluer que par inflations successives. On aboutit à la situation actuelle où l’effort des ZEP est saupoudré sur surcroît de ressources par élève infinitésimal. Sans compter qu’aider un territoire contribue à sa stigmatisation.

On a ainsi constaté que classer une zone en ZEP contribuait à faire fuir les classes moyennes et à la détérioration de l’environnement social. Il est possible de faire mieux, en conditionnant l’aide non pas au territoire à proprement parler, mais à la composition sociale effective des écoles ou à la situation locale effective des familles. Un pays comme la Hollande cible bien mieux ses politiques éducatives prioritaires : chaque école est tenue de faire remonter chaque année le profil sociologique effectif des élèves qui la fréquentent et se voit allouer ses ressources en fonction de ce seul profil, et non pas de son lieu d’implantation. L’effort du système éducatif pour les enfants d’immigrés est là-bas deux fois plus important qu’en France.

Propos recueillis par Patrick Gonthier

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