> VI- PÉDAGOGIE (Généralités, Disciplines, Actions locales) > PEDAGOGIES (LES) > Pédag. psychocognitive, Neurosciences > Pédag. psychocognitive, Neurosciences (Etudes) > Processus sociocognitifs et concepts de situation, par André Chambon (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Processus sociocognitifs et concepts de situation, par André Chambon (Bulletin OZP, n°1, avril 1992)

12 avril 1992

Bulletin de l’association OZP, n° 1, avril 1992

Processus socio-cognitifs et concepts de situation

André Chambon

Cette contribution plus théorique montre ce que les ZEP peuvent apporter à la recherche. L’approche interactiviste de la psychologie cognitive et la sociologie des processus cognitifs se rejoignent pour aider à penser de nouvelles démarches éducatives. Il s’agit de dépasser le seul concept de transmission de savoir pour tenir compte des situations et des interactions sociales.

L’état actuel des travaux (Chauveau, 1985, 1988, 1990 ; Dannequin, 1986 ; Léger et Tripier, 1986 ; Chambon et Proux, 1987, 1988, 1990 ; Henriot-Van Zanten, 1987, 1988, 1990 ; Plaisance, 1988 ; Rochex, 1988 ; Doray, 1989 ; Isambert-Jamati, 1989 ; Chambon, 1990 ; Charlot 1990) témoigne d’une avancée de la connaissance sur les zones d’éducation prioritaires qui prend appui sur un certain nombre de résultats de recherche.

A partir du titre même de la recherche menée au CRESAS/INRP de 1985 à 1988 " la dynamique de quelques ZEP "1, des analyses produites par ces travaux et par l’ensemble des autres, nous sommes amenés à essayer de poser le problème des supports théoriques utilisés et utilisables pour penser " l’effet ZEP " et les processus de transformation observés : l’outillage conceptuel est, dans l’objet qui nous occupe, à la fois largement et majoritairement fourni par la production théorique antérieure mais aussi en création permanente du fait des questionnements interactifs que nécessite la réflexion...

Une écriture généraliste - dont nous souhaitons qu’elle n’apparaisse pas comme cavalière - ne prétend ici que reprendre rapidement quelques directions essentielles des évolutions scientifiques contemporaines et voudrait se demander si le temps de convergences créatives n’est pas arrivé.
Si, en effet, l’invention scientifique surgit souvent à l’intersection de champs disciplinaires constitués (Bachelard, 1972), nous faisons l’hypothèse que trois domaines de connaissance - au moins - l’histoire et notamment l’histoire de l’Éducation, la psychologie et notamment la psychologie cognitive, la sociologie et notamment la sociologie de l’acteur et des organisations2, sont susceptibles à l’articulation de leur utilisation, de produire une conceptualisation novatrice et opératoire pour penser - en particulier à partir des transformations observées dans les zones d’éducation prioritaires - les démarches éducatives de demain...

La fin du siècle de Jules Ferry

Un regard porté sur l’histoire de l’Éducation montre tout d’abord comment l’héritage de l’école publique apparaît comme celui d’une lutte et d’une construction : lutte politique et idéologique en particulier à la fin du XIXe siècle dans le cadre de l’affirmation de la République et de ses valeurs, construction jacobine dans le contexte d’industrialisation et de développement global de la nation.
Cette période a vu la mise en place d’un puissant appareil d’État, le ministère de l’Instruction publique qui représentait à la fois une démarche conquérante - il fonctionnait comme un outil de la mise en place de la jeune République - et une attitude protectrice - contre un tel rempart viendraient se briser les forces hostiles, à savoir l’Église catholique et les notables conservateurs qui tenaient les terroirs. Cette entreprise séculaire a vu se constituer un corps enseignant et administratif, une culture et même un syndicalisme idoines.

Bref une structure forte mais fermée - système scolaire plutôt que système éducatif - préside pour l’essentiel depuis un siècle, dans une approche extraterritoriale, à l’offre de savoirs légitimement constitués en disciplines scolaires et formalisés par les manuels scolaires adéquats...

Il n’est donc guère étonnant quand on sait que le temps de l’école est un temps long, qu’un des diagnostics portés jusqu’aux actuelles décennies sur le système devenu Éducation nationale soulève, malgré le changement sémantique, la question du manque d’ouverture et du non " savoir-faire " (logiquement corrélé jusqu’à présent à un fréquent " non vouloir faire ") dans les relations à son environnement et même à ses propres usagers (parents d’élèves par exemple).

On peut noter cependant que dès l’origine, prenant conscience de cet état de fait, les mouvements dits " complémentaires à l’école publique " - Ligue de l’enseignement, CEMEA puis Francas - préoccupés de l’absence d’articulation entre l’école et les terrains, s’étaient efforcés de remplir un espace inoccupé : l’espace de la socialisation laïque...

Dans l’autre camp, et pour des raisons symétriquement inverses, l’école privée, majoritairement catholique, donnait une autre place au dialogue avec les familles et le milieu local dans son ensemble ; il n’y avait là aucune recherche de rupture idéologique mais au contraire volonté de continuité : les valeurs proposées à l’école rencontraient les valeurs du peuple catholique, et particulièrement celles de la famille, qui devait rester protégée de " la morale sans Dieu " véhiculée dans l’école laïque.

De nos jours, l’apaisement - relatif - du conflit scolaire, les relations instaurées progressivement avec l’environnement (celui de l’entreprise, celui des collectivités territoriales), les chantiers partenariaux que représentent les ZEP créent, peu à peu, un état de fait différent et amènent à poser le problème de la fin du siècle de Jules Ferry.

Même si la complexification de l’offre d’éducation (AFPA, ADEP) était commencée bien avant, c’est aux alentours de 1960 qu’Antoine Prost situe " la mort de l’école de Jules Ferry " (Prost, 1963) : en tout état de cause les lois de décentralisation, à partir de 1986 pour l’Éducation nationale proprement dite, entraînent une mutation fondamentale avec l’affirmation de divers niveaux d’intervention éducative et l’émergence de " territoires éducatifs " en construction.

Dans ce contexte, l’espace éducatif local - tel que quelques ZEP l’ont mis en forme d’une manière prospective - acquiert peu à peu une légitimité inconnue jusqu’à présent dans l’héritage éducatif public ; celui-ci semble avancer en direction des pratiques des LEA - Local Educational Authorithy - (Brunschwig, Derouet, 1985) perspective qui ouvre, certes, une zone d’incertitude mais qui représente aussi un prélude à un ajustement dans le cadre de la mise en œuvre d’approches éducatives européennes communes.

La psychologie cognitive : de l’approche individuelle à l’approche interactionniste et socio-cognitive

L’évolution dans le domaine de la psy
chologie et en particulier de la psychologie des apprentissages témoigne d’un changement tout aussi important. Dans l’ensemble, on peut dire que si la psychologie cognitive n’a pas jusqu’à tout récemment l’impact que ses premières avancées laissaient espérer, c’est qu’elle a mis beaucoup de temps à s’articuler à la dimension sociologique des problèmes ; dans la période de l’entre-deux guerres par exemple, l’intérêt s’était d’abord porté sur le développement individuel : psychologie des attitudes, psychologie du développement cognitif de l’enfant - ce dernier en tant qu’entité abstraite -...

On peut pointer les apports successifs et quelquefois contradictoires de Piéron (1929, 1949), de Wallon (1941, 1942, 1954, 1956), de Piaget (1949, 1961, 1969). Le cheminement du questionnement s’élabore tout d’abord en rupture avec les connaissances qui prévalait lors de la promulgation des grandes lois fondatrices de l’école, c’est-à-dire la simple transmission des savoirs ; peu à peu il découvre, affine, met au clair une approche constructiviste : l’appropriation de connaissances implique l’existence d’une situation où la motivation facilitée du sujet lui permet d’élaborer son propre itinéraire d’appréhension.
Complémentairement, l’apport constructiviste s’est enrichi des propositions des théories interactionnistes : les travaux de K. Lewin (1952, 1955) font écho aux apports et aux réflexions de Vitgotsky et de Bruner (1981, 1987) comme à ceux de Moreno (1954, 1960) sur la psychologie des groupes restreints.

Peu à peu s’affermit l’hypothèse que les apprentissages sont facilités quand les interactions entre pairs sont riches et fréquentes. Cette direction empruntée par les chercheurs du CRESAS autour de M. Stambak (CRESAS, 1978, 1981) paraît aujourd’hui renforcée par les perspectives ouvertes par l’école postpiagétienne de Genève : les observations d’A.-N. Perret-Clermont (1988) confirment l’affirmation de la priorité des interactions sociales dans la construction des savoirs.
Dans ce sens, l’ouvrage La Construction de l’intelligence dans les interactions sociales étend cette approche au développement de l’intelligence qui est donc désormais pensée en devenir et en dynamique...

A ce stade, il nous semble que les acquis produits dans la connaissance scientifique sur les apprentissages peuvent permettre d’entériner un saut théorique... utilisable dans la pratique : sans négliger les progrès faits et à faire dans la didactique des disciplines scolaires, il apparaît souhaitable de penser et de mettre en œuvre des situations pédagogiques complexes, riches d’interactions créatives permanentes - situations glissant du registre scolaire habituel à un registre éducatif plus large - et qui tiennent donc mal dans le cadre étroit de la classe et de l’établissement scolaire de l’Éducation nationale...
Ces avancées ne manquent pas d’interroger l’école à la fois sur son fonctionnement interne et sur son rôle social (témoin sa production encore trop importante d’échec scolaire) ainsi que dans son rapport à l’extérieur. Notons que cette posture théorique était déjà induite par la pratique et la réflexion de ceux qui se réclamaient de l’Education nouvelle, particulièrement de ceux qui dès longtemps appelaient de leurs vœux l’ouverture de l’école...

Aujourd’hui pour demain, on se reportera aux expériences analysées dans le livre Ecoles et quartiers et à la réflexion de fond qu’elles suscitent autour d’une approche socio-cognitive des apprentissages.. (Chauveau/Duro-Courdesses, 1990). Si nous en jugeons en effet à la direction des travaux pionniers menés ces dernières années (Chauveau, 1988, 1990 ; Meirieu, 1987 ; CRESAS 1987, 1989 ou encore le rapport Migeon, 1989) nous constatons qu’ils vont tous dans le même sens : il paraît difficile de s’en tenir longtemps aux conceptions de ce qu’on peut appeler " l’individualisme constructiviste ".

Ainsi sera-t-il possible désormais de penser les apprentissages de l’enfant autrement qu’à partir de complémentarités inventées, de situations cognitives proposées par plusieurs catégories d’éducateurs, parmi lesquels ceux de l’Education nationale peuvent trouver une légitimité nouvelle, en communication avec celle d’autres collègues.

Des situations d’apprentissage, complexes, interactives, observées à l’occasion de démarches mises en œuvre à propos de la lecture dans quelques terrains d’expérimentation ZEP concernaient l’enfant apprenant, à la fois dans et hors le système scolaire ; dans, à travers une recherche de stratégies de réussite parfois menées en commun entre les enseignants de maternelle et ceux du primaire(ceci avant l’instauration des cycles d’apprentissage) ; hors : la progression pédagogique interne à l’école était travaillée en relation avec telle ou telle instance d’aide se préoccupant du fait Lecture, avec une démarche de la bibliothèque municipale et/ou des responsables et des acteurs de l’opération de Développement Social Urbain...
Les parent associés à ces initiatives pouvaient alors être perçus comme des partenaires de connaissance (CRESAS, 1988) et parfois une démarche d’amont pouvait être tentée dans leur direction (Chauveau, 1984). Dans ces cas, la stratégie de construction des apprentissages repose sur l’action de plusieurs partenaires, vise à supprimer au maximum les ruptures - ici entre lecture scolaire et lecture sociale - bref, construit de fait une situation cognitive interactive. Les résultats signalés dans ce - rare - type de cas par les responsables ZEP soucieux d’évaluation sont probants.

Vers une sociologie des processus cognitifs ?

Le troisième champ est celui de la sociologie et en son sein celui de la sociologie de l’Education : une vue panoramique nous fait découvrir ici aussi plusieurs étapes.

Les contemporains de J. Ferry affirment les valeurs de " l’école libératrice " : discours émancipateur inscrit dans une pratique, il est véhiculé par tous les architectes de l’école publique et fortement corrélé aux options fondatrices de la République ; depuis, intégré, assimilé par ceux qui se veulent les héritiers des combats de la laïcité, l’expression devient naturellement le titre de la revue du Syndicat national des instituteurs et ce depuis plus de soixante ans.

Ce discours historiquement construit a justifié des luttes et des acquis fondamentaux mais gérait de concert les contradictions inhérentes à la division sociale du travail que véhiculait aussi l’organisation sociétale proposée par la République ; une approche idéologique simple qu’on a pu schématiquement résumer dans la dualité " doué " ou " non doué " (et qui explosera plus tard) permettait de justifier les destins scolaires et donc sociaux inégaux.

Cette représentation reste dominante pour l’essentiel jusqu’à la fin des années 1960 : la crise idéologique de 1968, le renouveau de la pensée marxiste, la montée des pratiques innovantes au cours des années 1990 (autour par exemple du SGEN-CFDT) ou leur visibilité nouvelle (réaffirmation des mouvements pédagogiques) l’ont fortement ébranlée ; les sociologues de la reproduction lui ont donné, au plan théorique, le coup de grâce ; étayant les critiques montantes à propos de la production d’échec par le système Education nationale ?

Baudelot et Establet (1971, 1975), Bourdieu et Passeron (1964, 1970) démontrent la corrélation entre l’origine sociale des élèves et leur réussite - et donc le caractère socialement reproducteur de l’Ecole : la " dénonciation " de " l’école de classe " fait alors tomber quelques masques derrière lesquels se cachaient souvent un certain nombre de certitudes tranquilles voire de corporatismes bien installés... "

Le classement scolaire est un classement social euphémisé, donc naturalisé, absolutisé, un classement social qui a déjà subi une censure, donc une alchimie, une transmutation tendant à transformer les différences de classe en différence d’intelligence, de don, c’est-à-dire en différences de nature. Jamais les religions n’avaient fait mieux. Le classement scolaire est une discrimination sociale légitimée et qui reçoit la sanction de la science " écrit Bourdieu en 1981.

Le constat ainsi fait - mise au point incontestable - est appareillé par un outillage statistique rigoureux et s’appuie sur une démarche de type macro-sociologique...

C’est dans cette période qu’est forgé et largement utilisé par P. Bourdieu le concept d’habitus, celui-ci permet de prendre en compte l’objectif de la structure de la société en classes et le déterminisme social puisqu’il conceptualise ce qui est la résultante des conditions d’existence et des données culturelles qui leur sont associées : une structure structurée - les données originelles - s’avère en même temps être une structure structurante. "L’habitus fonctionne alors comme un système acquis de schèmes générateurs " (Bourdieu, 1980). Il permet donc de décrire, de clarifier, d’expliquer les mécanismes de la reproduction.

Mais les limites de la connaissance nouvelle produite ainsi sur le système de formation initiale apparaissent rapidement : ces analyses laissent démuni face à un constat accablant qui induit un fatalisme sociologique fonctionnant parfois comme un butoir voire comme une nouvelle " langue de bois " : vérité certes actualisée récemment dans des études de terrain (Léger, Tripier, 1986) mais vérité qui ne créait aucun outil pour tenter de lutter contre. " La dénonciation de la dénonciation " s’est peu à peu, à son tour, emparée du champ, et la question posée d’une façon de plus en plus précise est, par exemple, de savoir pourquoi, dans un environnement sociologique semblable, des résultats différents peuvent être obtenus par tel ou tel établissement scolaire (Derouet, 1985).

La " reproduction " examinée d’une manière microsociologique n’obéit donc pas à un automatisme absolu. Et du pourquoi on est passé à la démarche du comment : comment peut-on expliquer ce genre de différences, comment plus largement peut-on démonter les mécanismes de l’échec scolaire, et, à partir de cette clarification, comment est-il possible de mettre en œuvre des stratégies de la réussite ? Bref, par un déplacement du champ d’investigation - véritable changement de paradigme - on se rend compte que d’autres connaissances sociologiques doivent être mobilisées...

Les travaux de sociologie des organisations montrent quels peuvent être les effets sur la variable " rendement " de l’adoption par les instructions de modalités de fonctionnement plus ou moins souples. Les entreprises en recherche de " modernité " en prennent conscience, qui introduisent de plus en plus l’initiative de la personne traduite en mobilisation des ressources humaines dans un mode de fonctionnement abandonnant peu à peu le taylorisme...

Or, au sein du système scolaire français, pour des raisons tant extérieures qu’intérieures, la lutte montante contre l’échec scolaire remet précisément en question ce qu’on peut appeler le taylorisme scolaire ; et l’élaboration de problématiques et résultats de recherches nouveaux sur la classe (Sirota, 1987, 1988), l’établissement (Cros, 1989 ; Derouet, 1984, 1985, 1987 ; Perrenoud, 1984) apportent des éclairages inconnus jusque-là dans la sociologie française, sur la réalité du fonctionnement quotidien du système éducatif en introduisant la dimension quantitative dans les analyses... dimension qui accompagne désormais les nouveaux questionnements de la sociologie de l’Education, une fois acquise l’intégration des démarches ethnographiques (à partir essentiellement des apports de l’anthropologie américaine).
Bref, le changement de paradigme commence à produire d’autres savoirs qui peuvent susciter des modifications dans les regards portés sur les faits scolaires et à terme une autre approche des réalités éducatives.

Les ZEP, prenant appui sur la notion de communauté (Henriot-Van Zanten, 1987) posant le problème d’une mise en mouvement, à travers le partenariat, des acteurs locaux de l’éducation, interrogent notamment des institutions dans leur dynamique : le passage d’une pensée de l’institution à celle de l’organisation - au sens précisément de la sociologie des organisations - permet de décoder quelques ZEP comme des " structures en dynamique qui peuvent devenir des points de focalisation d’un certain nombre d’interactions nouvelles productrices de montages interinstitutionnels complexes " et de noter que leur " caractère novateur " les rendait " susceptibles d’enrôlement permanent " (Chambon/Proux, 1988).

Ainsi aidé du modèle stratégique développé par M. Crozier (1974), l’analyse de l’institution éternellement productrice des mêmes effets pouvait être dépassée : les structures formelles et les rapports informels interfèrent en permanence , approche complexe qui permet donc que s’affirme une manière nouvelle " de raisonner sur les problèmes de l’action collective, donc organisé, des hommes sur les conditions qui la rendent possible et les contraintes qu’elle impose " (Crozier).

Complémentairement, plusieurs travaux de Touraine débouchent sur des conclusions proches : l’observation des mouvements sociaux dans la société française contemporaine témoignent d’un " retour de l’acteur " (Touraine, 1984) dans le champ social ; et au sein du système Education nationale le rôle des acteurs, que ce soit au sein du pouvoir institué (la manière propre de piloter de chaque chef d’établissement par exemple) ou au sein du pouvoir instituant (l’émergence de minorités actives d’innovateurs) va désormais faire l’objet d’une légitime interrogation...

Le mouvement institutionnel et social est donc proposé comme créateur de changement dans les formes sociales. Touraine peut écrire en 1978 :

" La pensée sociologique vient de vivre une longue crise de décomposition des discours sur la société, que ce soit celui de la sociologie conservatrice ou de la sociologie marxiste. Le plus urgent est d’apprendre à nommer et à analyser de nouvelles pratiques sociales, de nouvelles formes d’action collective donnant forme aux sociétés d’aujourd’hui et de demain. "

A ce stade, l’outillage conceptuel fourni par quelques courants de la sociologie nous semble parfaitement opératoire pour suivre aussi bien la mise en œuvre de communications nouvelles entre acteurs innovants que les tentatives de changement organisationnel au sein des zones d’éducation prioritaires...

La résultante des diverses synergies est alors un développement de processus créatifs, qui dessinent de nouvelles " mises en forme " et de nouvelles modalités de fonctionnement du champ éducatif. On peut dire ainsi que les ZEP nous proposent de reprendre le flambeau de " l’imagination sociologique " si admirablement sollicitée voilà plus de vingt ans par Wright Mills, aux Etats-Unis (1968)...

Le système scolaire urbain participe donc à la gestion d’un ensemble de problèmes sociaux communs aux grandes métropoles : dans leurs dimensions urbanistiques, écologiques, psychologiques, cognitives (ou désormais socio-cognitives ?) et sociologiques. Plus concrètement la fonction actuelle de l’Education nationale, à savoir l’introduction aux apprentissages fondamentaux effectuée par des professionnels dûment formés peut en venir à se situer positivement et en communication au sein d’une fonction plus large, territorialisée de socialisation.

Il est donc possible d’avancer aujourd’hui après l’étape de ce que j’appellerai " le temps cour de la décennie 80) que les pratiques ZEP qui se voulaient un moyen de lutte contre l’échec scolaire ont de fait défriché des pistes nouvelles (ce ne sont certes pas les seules !) qui montrent la direction de la construction d’une scolarisation socialisation de la réussite- sous réserve que la socialisation sorte enfin de l’amateurisme - ...

Complémentairement, en prenant en compte d’autres expérimentations plus récentes comme les contrats de Ville-Enfant et comme les initiatives de certaines municipalités prises dans le cadre des lois de décentralisation, on peut affirmer que se dessine le passage d’une étape de la forme et du système éducatifs (Charlot, 1987) hérités des lois fondamentales à une autre étape plus complexe et partenariale... qui nécessite une réflexion nouvelle sur l’articulation entre les objectifs de l’État (ou des régions) et ceux des acteurs locaux de l’éducation.
Forme et système éducatifs qui en sont au stade du tâtonnement expérimental en l’absence, entre autre, pour l’instant, d’une production de jurisprudence adéquate.

Ici et maintenant, disons simplement pour finir comment, à notre avis, la synergie des acquis que nous avons essayé d’analyser appelle, dans le champ éducatif, l’écriture d’une nouvelle " esquisse d’une théorie de la pratique ". (Bourdieu, 1972)

Répondre à cet article