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Et vous, à quoi aurait ressemblé votre collège si on vous avait assigné dans un groupe ? (Alexis Potschke, professeur de 6e en grande banlieue au Café)

13 décembre 2023

Alexis Potschke : « J’ai lu le message du ministre et j’ai peur »

« On a tué un idéal tout à l’heure dans un message d’un ministre. » Le 5 décembre 2023, les annonces de Gabriel Attal ont suscité l’effroi d’Alexis Potschke, professeur de français dans un collège public de la grande banlieue parisienne, professeur principal en 6ème, auteur du beau récit « Rappeler les enfants ». Peur principale : les groupes de niveaux qui viendraient séparer, classer, stigmatiser, là où le groupe classe favorise des dynamiques de travail, d’entraide, de vie. « À tous ceux qui trouvent encore que j’en fais trop, demandez-vous : et vous, à quoi aurait ressemblé votre collège si l’on vous avait assigné dans un groupe ? »

[...]
Ça n’a l’air de rien, comme ça, et quiconque ne sait pas vraiment ce qu’est une classe pourrait même hausser des épaules, trouver cela normal, se dire que j’en rajoute, passer outre. Ah ! ces profs, ils se plaignent tout le temps !

C’est malgré tout la mise à mort d’une certaine vision de l’enfance. C’est la fin de l’idée des classes hétérogènes ou chacun peut apprendre à chacun et de chacun, où les élèves en réussite peuvent venir en aide aux élèves en difficulté, et où les élèves en difficulté peuvent prendre confiance en eux, s’appuyer sur leurs pairs ; se sentir un peu, de temps en temps, membre d’un groupe qui n’est ni bon ni mauvais, juste un groupe ; savourer leurs prises de parole réussies, travailler ensemble : apprendre des autres et leur apprendre des choses.

C’est la fin d’un même postulat d’éducabilité. Tous les élèves sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ! À dix ans, le rouage se met en marche : les uns à droite, les autres à gauche, le bénéfice du doute pour le ventre mou, tout ça, ça se rangera plus tard. Hop ! On classe, on trie ! Mais ce qu’il faut bien avoir à l’esprit, c’est que c’est pour le pire. Que ça ne marche pas.
maginez-vous, dix ans fraîchement révolus, faire votre entrée au collège. Le couperet est tombé quelques semaines plus tôt, vous ne le saviez peut-être même pas, mais : vous êtes un élève en difficulté. Alors voilà : vos camarades seront des élèves en difficulté. Votre enseignant vous fera des cours pour élèves en difficulté. Vous aurez un emploi du temps d’élève en difficulté. Vous avez dix ans, votre avenir a déjà un nom.

Autour de vous, aussi : essentiellement des garçons. À cet âge, les groupes de niveaux sont aussi, malheureusement, des groupes de genre.
[...]

Et moi, dans tout ça, je m’apprête à faire un petit deuil cruel : j’étais professeur principal d’une classe de sixième depuis près de dix ans ; j’avais appris à composer avec l’hétérogénéité de mes classes, à prendre en compte la diversité des niveaux, à différencier, à mettre en valeur les enfants dont j’avais saisi les points forts quand ils avaient besoin de prendre un peu la lumière. Je crois même que c’est un rôle que je faisais plutôt bien ; les gamins à la rentrée étaient plutôt contents de savoir que j’allais être leur professeur principal. Il faut dire que ça avait du sens, parce que les professeurs de français sont ceux qui voient le plus souvent les élèves dans la semaine.

Mais j’ai bien peur que ce soit fini, maintenant : le ministre a dit que l’an prochain je serai professeur des élèves en réussite, ou alors des élèves en difficulté.
[...]

Extrait de cafepedagogique.net du 12.12.23

 

Alexis Potschke sur l’OZP

Rappeler les enfants, Alexis Potschke, Seuil, 2019

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