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"Plongée dans ces collèges ordinaires où tout va de travers", enquête de Benjamin Moignard (université Paris-Est Créteil) dans 4 collèges ZEP : entretien sur le blog de Luc Cédelle

22 janvier 2013

Plongée dans ces collèges ordinaires où tout va de travers
dans "Un regard sur l’Ecole, par Lux Cédelle, journaliste au Monde

Résumés et extraits significatifs.

"Benjamin Moignard, 34 ans, est maître de conférences en sociologie à l’université de Paris Est - Créteil. Il mène ses recherches au sein du laboratoire CIRCEFT-REV (1) et dirige un Observatoire universitaire international éducation et prévention (OUI-EP) récemment mis en place. Cette structure articule recherches, expertises de politiques publiques et accompagnement de dispositifs innovants, notamment sur les questions de violence à l’école et de décrochage scolaire. [...]

Ces dernières années, son champ de recherche s’est élargi à la question de la difficulté scolaire en milieu défavorisé.

Il a réalisé, de 2009 à 2012, une enquête approfondie dans quatre collèges de la région parisienne classés en éducation prioritaire. Son observation a porté sur les relations entre les enseignants et les élèves, sur la manière dont se construit le climat scolaire, sur le rapport des élèves à l’école, les interactions entre l’établissement et son environnement, et la confrontation entre normes juvéniles et normes scolaires.

L’interview qui suit a d’abord été faite en mars 2011, dans le cadre d’un projet journalistique qui n’avait pas pu aboutir. Avant de la publier ici, j’ai demandé à Benjamin Moignard d’en revoir le texte. D’un commun accord, nous n’avons pas « rénové » le propos pour en gommer l’anachronisme – d’ailleurs tout relatif s’agissant de la vie d’établissements scolaires, qui n’évolue pas au même rythme que l’actualité politique. En revanche, une question rajoutée à la fin (de la deuxième partie) permet de faire le point sur la situation présente."

L’enquête
"C’est une enquête qui porte sur quatre collèges de la petite couronne parisienne, pas tous dans la même académie mais tous classés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) quoique sous différentes appellations [certains estampillés CLAIR]. J’ai clairement choisi des établissements en butte à des difficultés sur le plan des apprentissages, avec par exemple des résultats inférieurs de 5 ou 6 points à la moyenne de leur académie. Mais bien sûr, il y a pire... Je ne souhaitais pas me fixer sur des établissements ghettoïsés, minoritaires, mais plutôt sur des collèges « en difficulté » comme il y en a beaucoup d’autres. Ce ne sont donc pas des établissements dont on dirait qu’ils sont « à la dérive » ou qui défrayent la chronique des faits divers. Ce sont juste des collèges qui se situent dans une moyenne basse en termes de réussite et où – mais cela, je ne l’ai vraiment su qu’après - le climat scolaire est assez dégradé."

Collèges dans lesquels les médias ne pénètrent pas mais qui sont représentatifs d’une masse d’établissements, environ 1/3 des établissements,
"sur l’ensemble des collèges, car si l’on croise les critères « périphérie » et « public défavorisé », alors ce serait plutôt de l’ordre de 70 % ! Il s’agit bien d’une catégorie massive."

Premier constat :
Climat délétère, absence de volontaires sur les postes à profil, désarroi profond des enseignants désabusés "sur l’avenir de l’école publique et sa capacité de résister aux réalités auxquelles ils font face tous les jours".

La situation que vous décrivez pourrait très bien justifier des choix politiques en faveur de l’abandon du principe des ZEP, l’argument étant qu’elles « ne servent à rien » et mènent, justement à cette école en échec...

"Je n’adhère pas à ce type de conclusion. Déjà, affirmer l’échec des ZEP, au sens où elles n’auraient pas d’utilité, est contestable, car leur impact n’a jamais été mesuré en tant que tel. L’argument consistant à dire que l’éducation prioritaire ne compense pas les inégalités sociales est injuste : ce qu’il faudrait compenser n’a cessé d’augmenter et les enseignants sont seuls pour appréhender et gérer des difficultés plus multiples et concentrées que jamais. Ils disent souvent qu’ils ne sont plus des enseignants de l’école publique traditionnelle et que les difficultés qu’on leur demande d’affronter ne correspondent pas à ce que devrait être une école ordinaire dans une démocratie. Et le fait est que les réalités peuvent être complètement différentes dans d’autres établissements."

Est-ce que des « moyens supplémentaires » seraient à l’échelle de ces difficultés supplémentaires ?

"Les moyens affectés à l’éducation prioritaire ne sont certes pas suffisants, mais envisager la question sous le seul angle des moyens n’est pas approprié. A l’échelle de ces difficultés, largement plus importantes que ce qu’on veut bien reconnaître, les moyens, quels qu’ils soient, ne peuvent pas suffire. C’est le fonctionnement du système qui est en cause. [...]

L’environnement est en général moins délétère que l’école elle-même ! [...]

Dans les collèges que j’observe, la pédagogie comme outil de mobilisation d’un collectif est rare. Beaucoup d’enseignants sont en attente et en demande d’outils pédagogiques : leur formation et leur expérience sont d’abord disciplinaires et ne répondent pas à leurs besoins. [...]

Il y a certains investissements dans certains dispositifs [innovants], mais cela n’a aucun sens de décrire ces établissements comme s’ils étaient en quelque sorte imprégnés de pédagogie. Il existe bien dans ces collèges quelques actions innovantes, par exemple en liaison avec les services culturels de la ville ou avec les associations, quelques voyages scolaires, etc. Cela reste exceptionnel. Et on en parle comme quelque chose d’exceptionnel. [...]
Pour les [élèves de milieux défavorisés], les dispositifs pédagogiques sont indispensables à l’appropriation de la norme scolaire et à sa reconnaissance.Ce n’est pas donc pas la pédagogie contre le savoir disciplinaire. Mais la pédagogie comme condition de la transmission des savoirs disciplinaires. [...]

Extrait du blog de Luc Cédelle du 16.01.2013 : Plongée dans ces collèges ordinaires où tout va de travers (1)

 

Les constats :
Méfiance de la pédagogie, notamment en ce qui concerne le travail en équipe, sous-traitance de la discipline, désenchantement par rapport aux collèges en difficulté mais par rapport à l’école publique en général, inefficacité des dispositifs de soutien.

Les propositions :
Rétablir une action politique volontariste en faveur de la mixité sociale, ’éviter de créer, au sein des zones difficiles, des « super-établissements » qui concentrent des moyens exceptionnels, ce qui augmente le sentiment de stigmatisation et d’abandon, assurer les conditions d’un vrai travail d’équipe stable, assurer des enseignements de qualité car le premier outil de socialisation, ce sont les apprentissages eux-mêmes.

Bientôt deux ans après cette interview, qu’est-il advenu de votre enquête et, en quelques mots, que verriez-vous d’essentiel à ajouter ?

"Cette enquête s’est poursuivie sur une année. Elle n’ a pas encore fait l’objet de publication et donne aujourd’hui lieu à la préparation d’un ouvrage plus particulièrement orienté sur la question de la gestion des élèves dits « perturbateurs » dans l’école. Le travail intensif dans les quatre collèges de départ a été complété par un recueil de données plus quantitatif auprès de plus de 70 autres établissements, de manière à situer des tendances plus structurelles, que l’expérience locale permet d’interroger.

Le constat dressé il y a deux ans me semble toujours d’actualité. [...] Nous sommes face à une nouvelle problématique : réussir à recruter des enseignants ! [...] L’articulation entre savoirs disciplinaires et formation pédagogique est sans doute essentielle pour outiller les enseignants face à la diversité des élèves et des rapports à l’école qu’ils entretiennent. [...]

Sans démentir aucunement les aspects inquiétants de notre enquête, il y a aussi des établissements de banlieue qui vont bien, et même très bien. Mais ce résultat, là où il existe, est dû à la mobilisation d’une équipe, de constitution toujours fragile : le départ d’un chef d’établissement ou de quelques professeurs usés par dix ans de bons et loyaux services suffit à voir s’effondrer le précieux édifice.

Notre modèle élitiste est incompatible avec l’idée même d’école démocratique. La réussite des établissements qui accueillent des élèves plus en difficulté que d’autres ne peut pas reposer sur quelques bonnes volontés individuelles. Et le terrain, en particulier dans les espaces les plus ségrégués, là où il faut parler d’établissements ghettoïsés, est en surchauffe."

Extrait du blog de Luc Cédelle du 17.01.2013 :Plongée dans ces collèges ordinaires où tout va de travers (2 et fin)

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