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Le collège unique de la loi Haby au choc des savoirs (un dossier de Vie publique, Documentation française, février 2024)

23 février

Le collège unique : de la loi Haby au "choc des savoirs"
Société

La création du collège unique par la loi Haby avait été célébrée comme l’aboutissement d’un processus de démocratisation et d’ouverture de l’enseignement à tous les enfants d’une classe d’âge. Près de 50 ans après, les mauvais résultats de l’enquête PISA sur l’acquisition des connaissances au collège relancent le débat sur des groupes de niveau.

SOMMAIRE

Mise en place du collège unique
Des aménagements successifs à une structure unique maintenue
Renoncer au collège unique ou le conforter ?
Le "choc des savoirs" une remise en question du collège unique ?

Doter les collégiens d’un bagage scolaire identique est la raison d’être du collège unique, confirmée par des réformes ultérieures (socle commun de connaissances et compétences en 2005, dans la loi sur la refondation de l’école de 2013, réforme du collège mise en place en 2016).

Pourtant, les finalités du collège unique sont loin d’avoir été atteintes. De fortes disparités demeurent entre les collégiens dans leurs résultats scolaires, leurs relations au travail scolaire ou leurs comportements. Pour la rentrée 2024, le ministère de l’éducation nationale propose d’organiser les classes du collège en fonction des niveaux des élèves en français et en mathématiques. Ces mesures font partie d’un ensemble de textes dits du "choc des savoirs".

Mise en place du collège unique
Longtemps, l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire n’ont pas désigné des étapes successives de la scolarité des élèves mais deux types d’enseignement et d’établissement parallèles.

À la sortie de l’école élémentaire, trois filières coexistaient :

l’enseignement primaire supérieur, dispensé pendant quatre ans après le certificat d’études de la sixième à la troisième ;
l’enseignement dispensé dans les lycées de la sixième à la terminale ;
les centres d’apprentissage.
En 1959, pour faire face aux besoins économiques du pays, le ministre Berthoin fait passer la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans et réforme l’organisation du système éducatif.

Les cours complémentaires de l’enseignement primaire supérieur deviennent des collèges d’enseignement général (CEG). Les centres d’apprentissage deviennent des collèges d’enseignement technique (CET). De nombreux dédoublements de classe permettent des travaux dirigés en demi-classe dans différentes matières. Un cycle d’observation de deux ans (6e et 5e) est mis en place. En fin de cycle, les élèves sont orientés vers l’enseignement qui leur convient le mieux selon leur mérite.

La réforme Fouchet Capelle de 1963 met en place les collèges d’enseignement secondaire (CES). La loi Haby du 11 juillet 1975 supprime la distinction entre CES et CEG qui deviennent tous des collèges. Elle met fin à l’organisation de la scolarité en filières. L’hétérogénéité des classes est établie, des actions de soutien et des activités d’approfondissement sont organisées. Le brevet des collèges remplace le brevet d’études du premier cycle du second degré (BEPC). Pour ses détracteurs, le collège unique ne contribue pas à démocratiser l’enseignement mais, en supprimant les filières, il appauvrit les programmes et répond principalement à un souci de réduction des dépenses d’enseignement.

Mis en œuvre à la rentrée 1977, le collège unique est vite confronté à des difficultés persistantes : hétérogénéité des élèves (niveau scolaire et origine sociale), difficultés de gestion et d’adaptation à ces nouveaux élèves, inégalité entre les établissements, progression des incivilités dans les établissements, non-préparation des enseignants, ambiguïté des objectifs du collège unique qui accueille tous les élèves jusqu’à 16 ans et en prépare certains à des études longues. Des aménagements vont être régulièrement décidés pour tenter de corriger ces difficultés.

Des aménagements successifs à une structure unique maintenue
En décembre 1982, Louis Legrand, ancien directeur de l’Institut national de la recherche pédagogique, rédige un rapport intitulé "Pour un collège démocratique". Pour lutter contre l’échec scolaire, il propose la mise en place d’une pédagogie différenciée : tutorat pour les élèves en difficulté, autonomie des établissements pour mieux prendre en compte les situations locales, travail en équipe pédagogique.

Dans les années 80, l’objectif de mener 80% d’une classe d’âge au baccalauréat tend à allonger le temps de scolarité. Le palier d’orientation en fin de 5e vers un cycle professionnel court est officiellement supprimé par une circulaire de 1991. Les classes de 4e et 3e technologiques, créées pour diversifier les modalités d’enseignement et apporter un soutien aux élèves en difficulté, sont également supprimées en 1998 faute d’avoir atteint leur objectif : seuls 5% de leurs élèves, très majoritairement issus de familles défavorisées, parvenaient en seconde.

À partir de 1981, une politique d’éducation prioritaire est mise en place pour corriger les inégalités sociales. Elle se concrétise dans des dispositifs très variés (moyens supplémentaires pour les établissements, classes dédoublées...).

En 1994, François Bayrou, ministre de l’éducation nationale, propose un "nouveau contrat pour l’école". Celui-ci affirme que le collège doit rester unique mais pas uniforme. Le collège est réorganisé en trois cycles : le cycle d’observation en 6e, le cycle central 5e/4e et le cycle d’orientation en 3e. Des parcours diversifiés sont mis en place pour les élèves en difficulté. La réforme prévoit également des études dirigées en 6e et 5e, des emplois du temps modulés sur la semaine et des enseignements en effectifs allégés.

En mai 1999, une nouvelle réforme des collèges est lancée par Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l’enseignement scolaire. Elle s’appuie sur les conclusions du rapport du sociologue François Dubet "Le Collège de l’An 2000." Le rapport est favorable au maintien du "collège pour tous", réaffirme son rôle intégrateur et refuse une orientation précoce. Il propose notamment de remettre à niveau des élèves arrivant en 6e avec des lacunes importantes, de favoriser une plus grande cohérence des enseignements et des équipes pédagogiques, de diversifier les méthodes d’apprentissage, de promouvoir la culture technique, de réformer le pilotage des collèges afin de lutter contre l’accroissement des écarts entre les établissements, d’améliorer la vie au collège en y associant davantage les parents et les élèves.

Les principales mesures mises en place par la ministre sont les suivantes :

articulation entre primaire et secondaire ;
aide aux élèves en difficulté (heures de soutien) ;
renforcement des études dirigées en 6e et 5e, tutorat ;
encouragement à la pluridisciplinarité en créant des travaux croisés en 4e, instauration d’une "heure de vie de classe" tous les quinze jours ;
élaboration d’une charte des droits et devoirs du collégien.
Le rapport Joutard, remis à Jack Lang, ministre de l’éducation nationale, le 7 mars 2001 défend le maintien de l’architecture du collège. Il cherche à répondre à trois questions : comment diminuer l’hétérogénéité extrême qui rend le collège unique ingérable, comment ne plus faire du collège un petit lycée, comment donner aux collégiens les compétences nécessaires pour la société du XXIe siècle. La réforme présentée par Jack Lang vise à changer les approches pédagogiques pour mieux prendre en compte la diversité des élèves et lutter contre l’échec scolaire. Une période d’intégration est prévue pour les élèves qui entrent en 6e. Des itinéraires de découverte sont mis en place en 5e et 4e, des cours optionnels sont proposés en 3e. L’idée est de favoriser la diversité des activités pour mieux motiver les élèves.

En 2005, la loi d’orientation pour l’avenir de l’école, présentée par le ministre de l’éducation nationale François Fillon, définit un socle commun de connaissances et de compétences que chaque élève doit maîtriser au terme de la scolarité obligatoire, c’est-à-dire à la fin du collège. Le collège a pour mission de donner à tous les élèves les connaissances et les compétences indispensables à la poursuite des études, à l’exercice de la citoyenneté et à leur future insertion professionnelle.

Une réforme du collège, préparée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem, entre en vigueur à la rentrée 2016. La mission assignée au collège est double : renforcer l’acquisition des savoirs fondamentaux dans tous les enseignements et développer les compétences indispensables au futur parcours de formation des collégiens.

L’organisation des enseignements disciplinaires est redéfinie en associant les enseignements communs, les enseignements d’accompagnement personnalisé et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). L’accompagnement personnalisé est quant à lui rendu obligatoire pour tous les élèves à hauteur de 3 heures par semaine en 6e et d’une heure par semaine de la 5e à la 3e. Mis en place dans une logique de pédagogie différenciée, il doit prioritairement favoriser l’autonomie, l’acquisition de méthodes de travail et renforcer la culture générale de chaque élève.

Un arrêté publié en juin 2017 revient sur cette réforme. Il réduit le volume horaire des EPI et rétablit les classes bilangues dès la classe de 6e dans tous les collèges qui le souhaitent.

Renoncer au collège unique ou le conforter ?
Le collège unique a-t-il vraiment existé ? Au début des années 2000, certains prévoyaient sa disparition quand d’autres estimaient qu’il n’avait jamais eu d’unique que le nom. Dans le rapport de la commission culturelle de l’Assemblée nationale sur le projet de loi sur la refondation de l’école, le député Yves Durand écrit "le collège unique est une fiction ou, tout au plus, une appellation qui ne répond à rien".

Les difficultés rapportées depuis son institution montrent que le collège unique n’a pas permis d’effacer les effets des inégalités sociales sur la réussite scolaire. Les pratiques internes des collèges dans la gestion de l’hétérogénéité des publics sont parfois contraires aux principes du collège unique. Des élèves sont exclus des enseignements communs pour être orientés, précocement, dès la quatrième, vers des filières spécialisées ou des dispositifs extrascolaires (4e d’aide et de soutien, 3e d’insertion, 4e et 3e technologiques, module de découverte professionnelle de six heures en 3e, dispositifs de préapprentissage, dispositif d’initiation aux métiers en alternance, etc.).

Les stratégies de contournement de certains établissements par les familles les mieux informées ont pu aussi freiner le brassage des élèves, tandis que le système d’affectation des enseignants (les plus jeunes et les moins expérimentés dans les zones défavorisées) n’est pas vraiment adapté. Les pouvoirs publics ont aussi parfois semblé renoncer au collège unique : encouragement du recours à l’alternance et mise en place de "l’apprentissage junior" pour les élèves considérés comme les plus faibles en 2006 (cet apprentissage a été rapidement supprimé en 2007).

Les difficultés des collèges sont réelles. Les comparaisons internationales montrent que tous les pays font face à une hétérogénéité des acquis de leurs élèves. Beaucoup ont opté pour une école unique avec des résultats inégaux. Une école avec un tronc commun unique d’enseignements n’est pas la panacée, selon la sociologue Marie Duru-Bellat, c’est la question des élèves faibles qui doit être l‘objet de toutes les attentions.

Cependant, renoncer au collège unique signerait l’abandon d’une vraie démocratisation du système scolaire. Avec l’inscription dans la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 du "socle commun de connaissances et de compétences" qui doit être acquis nécessairement en fin de cursus scolaire obligatoire, l’objectif initial du collège, à savoir donner une bagage scolaire identique à tous les élèves au cours du cursus obligatoire, est réaffirmé. La loi pour la refondation de l’école de 2013 plaide clairement pour un collège unique consolidé, dont l’organisation se fait autour d’un tronc commun, autorisant des pratiques pédagogiques différenciées, à la fois "élément clé de l’acquisition par tous, du socle commun et creuset du vivre ensemble".

Le "choc des savoirs" une remise en question du collège unique ?
L’étude PISA 2022 montre une baisse des résultats en français et en mathématiques des élèves français. De même, les évaluations nationales 2023 font apparaître des différences importantes de niveau pour les élèves de 6e dans le secteur de l’éducation prioritaire. Les résultats des élèves ont tendance à se dégrader après leur scolarité au collège.

Dans un avis du 30 janvier 2024, le Conseil supérieur des programmes juge indispensable de réformer le collège pour lutter "contre la dégradation des résultats des élèves et corriger le creusement des inégalités". Dans les établissements volontaires, le conseil propose de mettre en place des groupes de niveau homogène et une pédagogie adaptée en français et en mathématiques. Deux parcours seraient proposés aux élèves : un parcours des fondamentaux pour les élèves en difficulté et le parcours des approfondissements pour les autres élèves.

En parallèle, un ensemble de textes intitulé "choc des savoirs" a été préparé par le ministère de l’éducation nationale. Les mesures ont été présentées par le ministre de l’éducation nationale le 5 décembre 2023. Dans cet ensemble, un projet d’arrêté concerne le collège et réorganise ses enseignements.

À partir de la rentrée scolaire 2024, le projet d’arrêté prévoit l’organisation des cours de mathématiques et de français en groupes de niveau de la 6e à la 3e. Les élèves les plus en difficulté dans ces matières seraient regroupés dans des classes de moindre effectif (15 élèves). La constitution des groupes de niveau s’appuiera sur les résultats des élèves à des tests de positionnement et aux besoins identifiés par les professeurs. Certains voient dans ce projet de réforme une remise en question du collège unique.

Les textes du "choc des savoirs" ont été soumis au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) le 8 février 2024. Le CSE est une instance consultative composée des représentants des différents membres de la communauté éducative (enseignants, personnels de direction, parents d’élèves...). Le projet d’arrêté sur les enseignements du collège a été rejeté par 67 voix contre, 1 abstention et aucune voix pour. Les syndicats dénoncent notamment dans la constitution des groupes de niveau un "tri social des élèves" et le renoncement "à une même école pour toutes et tous".

La ministre de l’éducation nationale nouvellement nommée, Nicole Belloubet, a confirmé, le 18 février 2024, la constitution de groupes flexibles, au sein des classes, pour l’enseignement du français et des mathématiques
Extrait de vie-publique.fr du 20.02.24

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