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Sciences et ZEP avec « Paris-Montagne »

19 mai 2007

Extrait du «  Monde » du 18.05.07 : Les motivés de la Science Ac’

Ils sont une petite centaine, à Paris, samedi 12 mai, dans les locaux prestigieux de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Une centaine de lycéens franciliens. Heureux de se retrouver. Inquiets aussi. L’après-midi même, ils devront présenter à quelques pas de là, à l’Ecole supérieure de physique et chimie industrielle (ESPCI), ce qu’ils ont appris dans le labo de recherche qui les a accueillis durant les vacances de Pâques. Une présentation de dix minutes, seul ou en binôme. Le jury est composé de chercheurs, directeurs ou thésards des centres de recherche les plus prestigieux de la capitale. Les vingt lycéens les plus convaincants auront la chance de revenir dans les labos durant les vacances d’été, pour "une semaine d’immersion scientifique" à l’ENS. Quoi ? La chance ? Bosser pendant les vacances ?

"Mais non ! ce n’est pas du travail ; c’est de la découverte !", s’exclame Linda Salamé, qui a choisi de faire son exposé sur "la matière et les systèmes complexes" en anglais. Comme dans les vrais congrès scientifiques. Linda est élève en 1re S au lycée Jean-Baptiste Corot de Savigny-sur-Orge (Essonne). Son père est pâtissier. Sa mère travaille dans la restauration. Une amie lui avait parlé de la Science Ac’ (la Science Académie, pour les non-initiés), dont l’objectif est de faire connaître les sciences aux jeunes et qui a organisé ce Congrès un peu particulier.

A l’origine de cette initiative, il y a François Taddei, un directeur de recherche en biologie, polytechnicien, et Livio Riboli-Sasco, un jeune normalien, thésard en biologie. Si tous les lycéens sont les bienvenus, certains le sont plus que d’autres. Ceux que les parents ne peuvent aider. Les adultes de la Science Ac’ sont là pour pallier cette carence. Nous voulons "créer une grande famille", explique François Taddei.

Il a convaincu Linda. "Je n’étais pas sûre de vouloir faire une prépa. Ils m’ont fait changer d’avis. J’aime les sciences, autant me donner à fond", explique-t-elle. Si elle n’est pas choisie pour revenir cet été, elle passera ses vacances chez elle, à Savigny, comme d’habitude.
François Taddei a eu l’idée de cette structure en novembre 2005, alors qu’il était en Hongrie, à Budapest. "Je participais au World Science Forum, un congrès de haut niveau organisé par l’Académie des sciences hongroise, l’Unesco et l’Union européenne. J’étais là pour recevoir un prix de 1,2 million d’euros. Et les banlieues brûlaient en France. Je me suis dit que mondialisation devait aller avec solidarité."

Durant ce congrès, il rencontre les responsables de l’association hongroise Kut Diak, qui met en relation des jeunes et des scientifiques. De retour à Paris, il retrouve Livio, un de ses élèves qui avait décidé de prendre une année sabbatique. Du haut de la montagne Sainte-Geneviève, où se trouve le gratin des écoles scientifiques parisiennes, les deux se disent que si Paris-Plage est un succès, Paris-Montagne pourrait en être un autre. "Venir au coeur de Paris pour apprendre, ça peut être sympa !" Ils créent donc l’association Paris-Montagne, puis le Festival du même nom durant l’été 2006.

Plus de 2 500 jeunes y viennent une journée chacun. Parallèlement, les membres de l’association, tous bénévoles, organisent la Science Ac’ ; ils sélectionnent 20 jeunes lycéens de banlieue qu’ils accueillent, à temps plein, durant dix jours en juillet 2006 à l’ENS. Le choix ne se fait pas sur les résultats scolaires. Seule la motivation compte. La Science Ac’ ne se veut pas élitiste.

La promo 2006 est un succès. Durant l’été, ateliers et rencontres avec des académiciens se succèdent. Les organisateurs décident de poursuivre à plus grande échelle. A l’automne, des prospectus et des affiches sont envoyés dans 130 lycées pour préparer la promo 2007. Les 108 lycéens choisis sont venus en stage à Pâques. Ils ont été accueillis par 70 chercheurs impliqués dans 40 laboratoires.

Les lycéens ne sont pas les seuls à être motivés. Aux côtés de François et Livio, un groupe de thésards se dépensent sans compter. Ils ont rameuté leurs collègues. "Quand Hervé (Vennin-Randos), lycéen de Courcouronnes, est arrivé dans mon labo de l’Institut Curie, j’avais mes TP à assurer, explique Laure Salas. Cinq thésards m’ont aidée en lui accordant chacun une demi-journée. Franchement, c’est faisable !" Hervé, son protégé, debout devant son poster, est intarissable. La manipulation de brins d’ADN l’a totalement passionné. Même si elle a échoué après des heures et des heures d’essais infructueux.

Cet acharnement des scientifiques a particulièrement plu à Kevin Yauy, en 1re S au lycée Galilée de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), dont le stage, à Curie, a porté sur les maladies auto-immunes. "Quand les chercheurs ratent, ils recommencent. Ils ne laissent jamais tomber. Moi non plus. Je n’aime pas rester sur un échec." Ses parents cambodgiens sont venus en France, fuyant les Khmers rouges. Kevin a aussi fait son exposé en anglais. "Mon prof de SVT (sciences et vie de la Terre) m’a aidé à le préparer", avoue-t-il. "Au lycée, les profs ne comptent pas leur temps." Il veut devenir médecin, mais ne parle pas de la Science Ac’ à ses copains. "Ils me prendraient pour un fou."

Car c’est un autre atout de cette association que de permettre aux jeunes d’en rencontrer d’autres qui partagent les mêmes centres d’intérêt. Durant toute l’année. Car, entre les deux sessions, les jeunes de la promo 2006 n’ont pas chômé. Christian Mokabidila, du lycée Alfred-Nobel de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), est allé voir le maire adjoint pour qu’il l’aide à créer un atelier scientifique. Ce qui fut fait, au lycée, avec la bénédiction du proviseur, et l’aide de l’association. Les parents de Christian sont zaïrois. Son père, ouvrier maçon ; sa mère, employée au chômage. "Je vais aller en prépa", dit-il sans hésiter.

Martin Lenz, normalien, en thèse de physique à l’Institut Curie, est certainement pour quelque chose dans ce choix. Il a organisé cette année une réunion d’information sur les classes préparatoires : "On leur a expliqué que c’était une voie sûre pour faire carrière, sortir de leur milieu social. Que 90 % des élèves rentrent dans une grande école, alors que 50 % sont en échec après un DEUG, à l’université." François Taddei est formel : "On essaie de casser le message qu’ils n’y arriveront jamais."

Objectif réussi : la moitié des science-académiciens 2006 ont déposé un dossier d’admission en classe préparatoire ; ils étaient 10 % à en avoir l’intention avant leur stage.
Jeanne Parmentier, normalienne, en master de physique à l’ENS, avait organisé une semaine de mécanique quantique pendant les vacances de février. Navichka Jungalee, de la promo 2006, y a participé. Lycéenne au lycée Louise-Michel à Bobigny (Seine-Saint-Denis), elle a goûté aux sciences dans le cadre de l’atelier créé par son prof de maths, François Gaudel. Ce polytechnicien se consacre à l’enseignement des mathématiques au lycée depuis sa sortie de l’X en 1968. Totalement passionné par son métier, il se désole aujourd’hui de voir de brillants élèves, de familles chinoises, interrompre leurs études pour travailler dans le commerce familial. Il a dû beaucoup insister pour que l’une d’entre eux l’accompagne à ce congrès de la Science Ac’. Calme et souriant, M. Gaudel semble déterminé à gagner cette nouvelle bataille.

Il n’est pas le seul. Une dizaine de professeurs de lycée avaient, eux aussi, consacré leur samedi à ce congrès de la Science Ac’. Les organisateurs comptent sur eux pour que le mouvement prenne de l’ampleur et eux sont ravis de retrouver des élèves dont l’enthousiasme rejaillit sur leurs camarades. "Nous voudrions que vos élèves science-académiciens soient les ambassadeurs de la science en banlieue et les ambassadeurs de la banlieue qui réussit", résumait brillamment Anne Le Goff, une jeune polytechnicienne, physicienne à l’ESPCI.

Annie Kahn

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