> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP) > Mixité soc., Carte/Sectorisation : Positions (et publications) militantes (...) > Ips : ne pas confondre mixité sociale et hétérogénéité (Philippe Watrelot (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Ips : ne pas confondre mixité sociale et hétérogénéité (Philippe Watrelot dans Alternatives économiques)

14 novembre 2022

OPINION
Mixité sociale et scolaire : il y a encore du boulot !
Philippe Watrelot
Ancien enseignant, auteur de "Je suis un pédagogiste" (ESF-Sciences Humaines, 2021).

[...] Notons que seuls les IPS des écoles et des collèges sont publiés. Ceux des lycées ne le sont pas encore.

Si cet indicateur n’était pas rendu public, c’est parce que le ministère craignait que sa publication permette de contourner (encore plus) la carte scolaire. Mais la situation n’est-elle pas déjà très inégalitaire ?

La part du ghetto
Car que nous disent les chiffres révélés ?

L’indice de position sociale moyen des établissements français est de 102,7. Mais il varie de un à trois, montrant l’étendue des inégalités sur le territoire français. C’est évidemment dans Paris, les Yvelines et les Hauts de Seine que se retrouvent les plus forts IPS.

A l’inverse, en France Métropolitaine, c’est la Seine-Saint-Denis qui est en bas du classement avec 61 % des écoles élémentaires et 57,6 % des collèges ayant un IPS en-deçà de 90. Elle est suivie par les départements des Hauts de France.

Ces nouvelles données permettent d’observer que le fait d’avoir un IPS inférieur à 90 ne garantit pas l’inscription dans un réseau d’éducation prioritaire. Ces « écoles orphelines » sont particulièrement présentes dans le milieu rural qui est donc encore plus défavorisé.

Une infographie réalisée par la Gazette des Communes montre très bien la complexité du séparatisme géographique. Comme l’analysait déjà Eric Maurin dans Le Ghetto français en 2004 (La République des idées, Le Seuil), la ségrégation s’opère à tous les niveaux y compris au sein d’un même département ou d’une même commune.

Chaque échelon de la société à tendance à fuir les difficultés de ceux qui se trouvent immédiatement en-dessous de nous dans la hiérarchie sociale. Et les « ghettos » les plus efficaces sont les ghettos de riches !

Dans ces conditions, la carte scolaire ne fait souvent que refléter cette géographie sociale.

Des établissements privés… de mixité !
Mais on peut aussi contourner cette carte scolaire. La recherche de l’entre-soi est renforcée par le choix du privé (le tiers des élèves à Paris). Dans les écoles comme les collèges, plus l’IPS est haut, plus la part d’écoles et collèges publics diminue.

Les établissements privés sont surreprésentés dans le groupe des IPS supérieurs à 130. Alors que l’on compte 14,1 % d’écoles privées sous contrat, elles ne constituent que 3,2 % des écoles ayant un IPS inférieur à 90 mais 60,3 % des écoles avec un IPS supérieur à 140. On retrouve la même logique pour les collèges.
Tout cela ne fait que confirmer d’autres études comme celle de la DEPP en 2021 qui montrait que le privé sous contrat accueillait deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que le secteur public (40,1 % contre 19,5 %), et deux fois moins d’élèves défavorisés (18,3 % contre 42,6 %). Le vrai « séparatisme » est là !

La mixité c’est bien, mais pour les autres…
Le débat n’est pas neuf. En 2016, Thomas Piketty s’inquiétait déjà de cette ségrégation notamment à Paris et proposait d’intégrer le privé à la carte scolaire et de réformer celle-ci en profondeur. Depuis, Affelnet, le système d’affectation parisien a été réformé en s’appuyant justement sur l’IPS des collèges. Mais rappelons nous de la vague d’articles que cela a entraîné s’indignant que les grands lycées de l’élite parisienne soient soumis à cette règle !

Cela nous montre bien qu’avec cette question nous sommes au cœur du réacteur. Il n’y aura de véritable évolution de l’école en France que si on parvient à dépasser cette inégalité et cette hypocrisie. Car, même si chacun déclare la main sur le cœur vouloir lutter contre les inégalités scolaires, les convictions sont rapidement contredites par les stratégies scolaires des familles.

Une précision s’impose. Il peut y avoir de la mixité sociale à la grille de l’établissement, mais une fois dans les salles, des classes de niveaux terriblement homogènes scolairement par le jeu des options. Il est possible de recruter des élèves de différents milieux sociaux, mais s’ils sont tous bons, fabriquer des classes sans hétérogénéité pédagogique. C’est pourquoi il faut bien faire la différence entre « mixité » et « hétérogénéité ».

Des études révèlent que les élèves des milieux populaires se montrent plus ambitieux au contact d’élèves venant de milieux favorisés. Sur le plan des apprentissages, les élèves les plus faibles gagnent évidemment à fréquenter une classe hétérogène plutôt qu’une classe de niveau homogène.
Mais la coopération et l’hétérogénéité profitent également aux meilleurs. En aidant les plus faibles, les plus forts consolident leurs compétences. La mixité des classes permet aussi d’instaurer des normes de groupes favorisant le travail scolaire.

Pour les élèves qui ont plus de difficultés, être en contact avec des enfants qui se concentrent et fournissent des efforts facilement leur permet d’appréhender et d’adopter d’autres normes de comportement, et éventuellement de modifier leurs ambitions.

Comme le rappelait Nathalie Mons, cela peut être difficile à admettre pour les familles favorisées. Mais placer son enfant dans un environnement socialement très homogène en croyant le protéger risque de limiter, à terme, sa capacité d’adaptation face aux personnes de milieux différents qu’il sera amené à croiser dans sa vie professionnelle. Les bons élèves qui ont été confrontés à l’hétérogénéité ont une longueur d’avance !

Veiller à cet équilibre est un enjeu essentiel. Si l’expression n’était pas galvaudée, on pourrait parler de construction du « vivre ensemble » ou d’altérité. Mais plus simplement, la mixité est la condition même d’une véritable École de la République.

Extrait de alternatives-economiques.fr du 10.11.22

Répondre à cet article