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Eloge du décrochage (Blog Bernard Desclaux, Educpros)

8 août 2015

Annick Soubaï, directrice de CIO dans l’académie de Versailles et pilote d’une plateforme de suivi et d’appui aux décrocheurs, propose Une réflexion décalée et un peu iconoclaste.

Eloge du décrochage

A l’heure où la France prend ses quartiers d’été et où chacun va s’étirer sur les plages, ou gambader dans les montagnes, ne rien faire ou visiter des monuments, je voudrais faire l’éloge du décrochage, car c’est bien ce que nous faisons en vacances. Nous faisons une pause, pour nous ressourcer.

L’imaginaire du décrochage tel qu’il est projeté dans la campagne ministérielle en fait un mouvement négatif. Et si, iconoclaste, on en considérait les aspects positifs, ceux qui ne sont pas administrativement corrects, pour lesquels personne ne fera un colloque pour ?

Kenza téléphone au CIO après s’être inscrite sur le site « Reviensteformer » pour manifester son souhait de reprendre le lycée qu’elle a quitté en seconde. Ce n’est pas si difficile de reprendre le cours de ce qui s’est décousu… Interrogée sur les raisons de son abandon, elle évoque son obésité qui est maintenant soignée. Rendez-vous pris, Kenza ne se présentera pas. Lors de son appel téléphonique et dans l’anonymat de la voix qui l’écoutait, Kenza a-t-elle réparé un peu de son regret ? Dans son corps plus léger, elle est passée à autre chose. Heureusement que personne ne l’a retenue sous le regard persécuteur de ses camarades de classe.

Anis et son acolyte viennent poursuivre leur année de terminale professionnelle en commerce. Ils ont été démissionnés, car trop absents. Voilà une bonne raison. Ce qui les passionne, ces deux là, c’est le commerce… Alors, dira-t-on ? Non, le vrai. Ils ont monté une entreprise de déménagement et n’arrivent plus à aller à l’école. On les comprend.

Ces deux là sont trop pressés à vouloir si vite faire les déménageurs… Ils n’ont jamais rapporté leurs bulletins scolaires du premier semestre, trop mauvais, ont-ils dit.
Il y a aussi les angoissés, les ceux qui fument, les ceux qui boivent, les ceux qui trouillent…qu’on croit trop fragiles parce qu’ils entrent de plein pied dans le grand combat de la vie. C’est ceux qu’on dit « en crise d’adolescence ». On les regarde avec compassion, alors que ce sont des guerriers, qui en ont à découdre avec les désirs impétueux. Ils s’en foutent pas mal des dissertations, de la pensée dialectique, des révisions de ceci ou cela, des chronologies ou des fresques historiques. Ils veulent tout ici et maintenant. Ils crient « Jouissance » et les pâles murs de l’école ne reflètent heureusement aucune lumière pour leur quête.

Dans la fresque des décrocheurs, des vrais, il y aussi ceux qui ne comprennent rien. Il ne faut pas les oublier, ceux-là. Ce sont peut être les mal aimés du système. Ils n’ont pas d’excuses : pas de rêve d’entreprise à monter, pas d’acné ou d’obésité à cacher, pas de désirs tumultueux à satisfaire. Ils décrochent de l’école parce qu’ils n’y ont rien à faire. Eux aussi disent « Pouce ».

Annick SOUBAI, le 24 juillet 2015

Contexte

Ces remarques sont à mettre dans la perspective de deux nouveaux droits.
Droit au retour en formation initiale pour les 16-25 ans : publication des décrets relatifs à la durée complémentaire de formation qualifiante et à la formation des sortants sans qualification professionnelle. Les deux décrets d’application de la Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, publiés le 7 décembre 2014 au Journal officiel ont encadré le travail des plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs.

Et le Ministère de l’enseignement supérieur vient de publier ce texte : Mise en œuvre d’une période de césure. Avant, on appelait cette période, l’année sabbatique. Ce sera désormais la « césure », plus sérieuse que les évocations de pratiques de sorcellerie de celui qui sort de l’institution. On trouvera cette jolie définition dans le texte du MENS : « La période dite « de césure » s’étend sur une durée maximale représentant une année universitaire pendant laquelle un étudiant, inscrit dans une formation d’enseignement supérieur, la suspend temporairement dans le but d’acquérir une expérience personnelle, soit de façon autonome, soit au sein d’un organisme d’accueil en France ou à l’étranger. Elle est effectuée sur la base d’un strict volontariat de l’étudiant qui s’y engage et ne peut être rendue nécessaire pour l’obtention du diplôme préparé avant et après cette suspension. Elle ne peut donc comporter un caractère obligatoire. »

Bernard Desclaux

C’est une évidence, le « décrochage » a plein d’aspects positifs, surtout quand c’est un acte volontaire et assumé ; C’est alors une respiration, un élan,un désir « mis en acte » réjouissant …Mais, lorsqu’il est subi et ne fait pas « sens », c’est une épreuve, dont il me parait artificiel de ne pas mesurer les conséquences vécues : Que sont les décrocheurs devenus ? Trois ans après cet épisode , il serait sans doute utile de faire un bilan , qui permettrait d’établir des repères….Intuitivement, je ferais bien l’hypothèse de l’influence de l’entourage familial dans le déclenchement et dans la résolution, positive ou négative, du décrochage.
Ne pas se préoccuper de cet aspect du phénomène , revient à considérer que tous les comportements se valent et à se « laver les mains » de leurs conséquences … C’est surtout, estimer que le système éducatif n’a pas à se réformer et que certain(es) n’ont tout simplement « rien à y faire » ….Si la réussite scolaire ne fait, heureusement pas, celle de toute une vie, elle y contribue toutefois largement et, en l’absence d’un suivi au long court des décrocheurs , je m’abstiendrai donc de faire leur éloge . Je m’interroge aussi sur le fonctionnement d’un système de transmission entre générations , qui s’accommode d’une mise à l’écart (choisie ou subie)d’une proportion significative de ses usagers , et sur les motivations de ses acteurs ….Surtout, lorsque l’organisation socio-économique du pays est à son image

Extrait de educpros.fr du : Eloge du décrochage

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