> III- INEGALITES : Mixité sociale, Pauvreté, Ethnicité, Laïcité... > Mixité sociale, Carte scolaire/Sectorisation (hors EP) > Mixité soc., Carte/Sectorisation (Positions de chercheurs) > Carte scolaire : l’analyse de Nathalie Mons (Université Grenoble II)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Carte scolaire : l’analyse de Nathalie Mons (Université Grenoble II)

4 avril 2007

Extrait de « Libération », le 03.04.07 : « Il existe plusieurs façons de réformer la carte scolaire »

Inégalitaire, le système français de sectorisation exige une adaptation. Nathalie Mons analyse les divers modèles dans le monde.

Spécialisée dans la comparaison internationale des politiques éducatives, Nathalie Mons est maître de conférences à l’université de Grenoble II. Elle explique qu’il existe plusieurs doctrines en matière d’« affectation des élèves ».

La carte scolaire est-elle une « exception française » ?

Non. Historiquement, la carte scolaire est, au contraire, l’organisation dominante dans les pays de l’OCDE. Dans les années 50-60, les pays développés ont fait ce choix, principalement pour planifier l’explosion de l’offre scolaire. La rigidité de cet outil est toutefois remise en cause dans la majorité de ces pays depuis les années 80. Mais les politiques de libre choix de l’école ont pris des visages différents. Aujourd’hui, il n’y a pas qu’une seule façon d’envisager la levée de la carte scolaire. On ne peut pas opposer, comme on le fait trop souvent dans le débat public français, d’un côté la carte scolaire et de l’autre la désectorisation totale, la rigidité bureaucratique ou la jungle scolaire.

Quelles sont les différentes politiques menées dans les pays de l’OCDE ?

On observe quatre principales positions en matière d’affectation des élèves. Un premier groupe de pays, principalement asiatiques, est resté fidèle à une sectorisation stricte, sans aucune tolérance pour des dérogations. Cette famille ne représente pas plus de 10 % des pays de l’OCDE. Dans une seconde famille se classent les pays qui, tout en gardant le principe de la sectorisation, multiplient les exceptions à la marge pour alléger la rigidité du système. Avec près de 40 % des pays, c’est la famille la plus importante numériquement. La France, avec ses dérogations, ses expérimentations d’assouplissement, n’est donc pas une exception !

Mais d’autres pays sont allés plus loin...

Oui, suivant des philosophies différentes. Une troisième famille, donc, s’est orientée vers ce que j’ai appelé « le libre choix total » : les parents choisissent l’école en toute liberté, et les établissements choisissent leurs élèves. C’est le cas en Angleterre, en Nouvelle-Zélande ou encore, historiquement, en Belgique. Quand on pense à la désectorisation, on pense souvent à ce modèle néolibéral qualifié de « quasi-marché ». Mais il ne concerne qu’un quart des pays de l’OCDE.

De plus, ceux-ci ont pour la plupart fait machine arrière depuis les années 2000, car ces systèmes finissent par conduire davantage à un libre choix accordé aux établissements qu’à de nouvelles libertés pour les parents. A côté de ce libre choix libéral, certains pays ¬ le quatrième groupe ¬, les Scandinaves en particulier, ont adopté un modèle davantage administré que j’ai appelé « le libre choix régulé ». Les parents se prononcent sur l’école de leur choix, mais les affectations sont décidées par les autorités locales et tiennent aussi compte de considérations d’ordre général (mixité sociale, ethnique...). C’est une solution de compromis entre la liberté individuelle et la prise en compte de l’intérêt général.

En France, la carte scolaire a tendance à creuser les inégalités, entre ceux qui peuvent la contourner et ceux qui n’en ont pas les moyens. La France est-elle particulièrement inégalitaire ?

D’après les résultats de ma recherche, le modèle français de la carte scolaire à dérogations est associé à un niveau d’inégalités sociales aussi fort que le système du libre choix total. Cela s’explique parce qu’il autorise un choix par les parents les plus éclairés et que la ségrégation résidentielle recouvre la ségrégation scolaire. En fait, c’est le modèle de libre choix régulé qui est associé aux inégalités sociales les plus faibles. Ce résultat s’explique par le fait que l’ensemble des parents doit se prononcer sur le choix de l’établissement et que des considérations d’ordre général interviennent dans l’affectation des élèves.

Parmi les propositions des candidats à la présidentielle, certaines vous semblent-elles particulièrement intéressantes ?

Elles restent encore floues. Par contre, quand on analyse les propositions de l’UMP et du PS, on constate qu’elles s’adossent sur des philosophies politiques quelque peu différentes. Dans les deux cas, l’argument de la justice sociale est invoqué : rompre avec la carte scolaire doit permettre de briser les ghettos scolaires qui se sont constitués dans les quartiers difficiles.

Mais la proposition de Nicolas Sarkozy souligne également un objectif d’ « émulation » entre les établissements. On retrouve ainsi les deux logiques politiques à l’oeuvre derrière les mesures de désectorisation. Schématiquement, lorsque la désectorisation est ancrée à gauche, elle est principalement portée par un souci de déségrégation sociale.

Lorsque le libre choix s’inscrit dans une logique néolibérale, l’objectif est d’améliorer l’efficacité du système éducatif en organisant une compétition entre les établissements scolaires. Cette compétition doit créer une émulation entre les équipes pédagogiques qui, sous la pression parentale, donneraient ainsi le meilleur d’elles-mêmes. Ces philosophies différentes expliquent que les réformes de libre choix puissent être portées par des camps politiques opposés.

Croyez-vous qu’il serait plus juste que le privé soit inclus dans la sectorisation ?

Il est logique que le privé soit inclus dans une réflexion globale sur l’offre scolaire mais les résistances seront sur ce point très importantes.

Véronique Soulé

Répondre à cet article