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"Huit semaines pour conforter le collège unique, pas pour y renoncer" (Jean-Paul Delahaye sur son blog)

10 octobre 2023

Huit semaines pour conforter le collège unique, pas pour y renoncer
Plus forts que Jules Verne, allons-nous faire le tour du monde – scolaire – en 56 jours pour trouver des remèdes qui nous auraient malencontreusement échappé depuis 40 ans ?

[...] De plus, les élèves arrivent dans un collège qui n’est toujours pas unique. L’a-t-il d’ailleurs jamais été « unique » le collège, avec notamment un palier d’orientation maintenu jusque dans les années 1990 et faute de mixité sociale et scolaire dans l’enseignement privé mais aussi dans l’enseignement public ? Comme le CNESCO l’a montré, 12 % des élèves fréquentent un établissement qui accueille deux tiers d’élèves issus de milieux socialement très défavorisés (ouvriers, chômeurs ou inactifs) [2]. Ces jeunes vivent leur scolarité dans des établissements presque exclusivement défavorisés. Mais certains collèges ont parfois des politiques qui installent au vu et au su de tous une ségrégation sociale et scolaire entre les classes d’un même établissement. Il est en effet observé qu’en 3e de collège, grâce aux options ou aux divers parcours, 45 % des collèges pratiquent une ségrégation scolaire active et 25 % des formes de séparatisme social [3] au moyen par exemple de la mise en place de « classes de niveau » qui existent donc déjà, ce qui est parfaitement illégal et surtout totalement inefficace pour les élèves les plus fragiles, la recherche l’a amplement montré. Va-t-on améliorer cette situation en créant des « groupes de niveau » toujours présentés comme temporaires mais qui deviennent très vite définitifs ? Comment éviter que le « collège modulaire » que certains proposent ne se transforme pas en « collège à filières » comme avant 1975 ?

Dans le « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » exigible à la fin de la scolarité obligatoire, c’est le mot « commun » qui est le plus important. Pour que ce socle soit vraiment « commun », Il faudrait que tout le monde s’y retrouve. Or, il faut reconnaître qu’en 2005 comme en 2013, on a raté une occasion d’enrichir le socle commun exigible à l’issue de la scolarité obligatoire pour y intégrer, à la manière de certains pays scandinaves, un enseignement technologique davantage manuel (mécanique, travail du bois, cuisine, électricité…) qui devrait faire partie de la culture de tout citoyen. Cela existait au collège avant 1975. Mais, comme le collège unique est très vite devenu une sorte de petit lycée préparant uniquement à la voie générale du lycée, ces enseignements sont apparus inutiles pour la formation des futures « élites » et ont disparu[4]. Beaucoup de collégiens se rendent compte très vite que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour tous. Avec la suppression récente d’une heure de technologie en sixième, on a fait le contraire de ce qu’il faudrait. Comprenne qui pourra. On ne réduit pas l’importance fondamentale des contenus à enseigner, et on ne « nivelle pas par le bas » comme le craignent certains, quand on travaille à définir des savoirs pour émanciper tous les élèves et non pour servir à la sélection sociale. L’enjeu est de taille : veut-on une « école de la culture pour tous ou une école qui fracture »[5].

Comment, enfin, espérer améliorer les résultats scolaires des élèves en général, et de ceux des milieux populaires en particulier, si on ne forme pas mieux les enseignants de collège qui sont trop souvent démunis pour enseigner à des effectifs d’élèves hétérogènes, démunis pour identifier et prévenir les difficultés de leurs élèves, démunis pour traiter ces difficultés ? Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu’enseigner la spécialité « mathématiques » en terminale et enseigner les mathématiques dans une classe de 6e hétérogène, ce n’est pas exactement le même poste de travail ?

Renoncer au collège unique serait un non-sens dans une République qui se déclare fraternelle. Si on ne se paye pas de mots avec notre « vivre ensemble », alors il faut « scolariser ensemble » jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire en s’en donnant enfin les moyens. C’est pourquoi, le collège unique est une question politique avant d’être une question pédagogique.

Jean-Paul DELAHAYE

Extrait de blogs.mediapart.fr/delahaye-jp du 08.10.23

 

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