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"Pour une école innovante". Synthèse des travaux de la "Commission nationale de l’innovation pour la réussite éducative" (CNIRE), présidée par Didier Lapeyronnie : 25 propositions et de nombreux passages faisant référence aux familles populaires

12 novembre 2014

Pour une Ecole innovante
Synthèse des travaux du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Educative
2013-2014
Didier Lapeyronnie, président du Conseil national de l’innovation pour la
réussite éducative, sociologue
Remis à madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement
supérieur et de la recherche le 10 novembre 2014. (52 p.)

Résumé des propositions et recommandations [p. 50-52]
Proposition 1 : Installer la bienveillance, demander aux équipes une réflexion sur la façon de la rendre explicite et de l’inscrire dans les projets. Sensibiliser à la mise en pratique des principes de la bienveillance et développer les formations en ce sens.

Proposition 2. Faire de la sanction un acte éducatif positif, expliciter les sanctions et utiliser les médiations. En cas de nécessité d’une sanction, développer les modalités concertées de prise en charge de l’élève en incluant la définition des tâches à accomplir et la participation de ceux qui ont demandé la sanction.

Proposition 3. Donner du temps pour la concertation, prévoir des temps de concertation dans les emplois du temps et les missions. Utiliser les instances existantes pour promouvoir les temps de concertation et d’échanges avec les élèves.

Proposition 4. Réorganiser la semaine type de travail des enseignants et les acteurs de l’éducation afin de créer de la souplesse, de favoriser le travail collectif et de permettre les rencontres avec les parents.

Proposition 5. Reconnaître l’engagement des personnels dans les projets par le biais des rémunérations, des décharges, de l’accès aux formations ou par la progression de l’avancement.

Proposition 6. Créer les espaces physiques et numériques d’échanges et de communications, développer la coopération avec toutes les parties-prenantes, créer des lieux pour les rencontres et la concertation, diffuser et utiliser les moyens numériques dans un objectif de coopération.

Proposition 7. Renforcer le rôle du conseil pédagogique en tant qu’instance de concertation et de régulation.

Proposition 8. Impliquer les chefs d’établissement et les conseillers pédagogiques dans les actions éducatives en présence des élèves.

Proposition 9. Reconfigurer la mission des Inspecteurs vers le soutien aux équipes et la construction de compétences pédagogiques ainsi que vers l’évaluation des unités éducatives.

Proposition 10. Favoriser la construction d’un praticien réflexif, développer les modalités de formation en ce sens. Inscrire l’initiation aux démarches de projet et le travail coopératif en équipe dans les formations et les concours de recrutement.

Proposition 11. Renforcer les capacités des parents, favoriser et soutenir les dispositifs qui contribuent à la construction des compétences des parents.

Proposition 12. Renforcer les aptitudes des personnels en matière de dialogue et de communication avec les parents par les biais des formations et des projets.

Proposition 13. Instaurer une communication institutionnelle compréhensible par tous et expliciter les pratiques et les contenus, notamment dans les domaines de l’orientation et des apprentissages.

Proposition 14. Associer les parents à l’élaboration des règles du vivre ensemble de manière directe et explicite.

Proposition 15. Renforcer la place des parents dans les conseils de classe.

Proposition 16. Le chef d’établissement n’est plus le président du conseil
d’administration mais est élu parmi les partenaires ou les personnalités extérieures.

Proposition 17. Favoriser l’implication des tiers dans les processus de médiation et créer une fonction de médiateur école-familles attachée à un établissement ou un réseau d’établissements.

Proposition 18. Mettre en place des formes explicites d’évaluation positive, développer une réflexion sur le sujet de l’évaluation, en rendre explicite les critères et les finalités et l’inscrire dans les projets d’établissement.

Proposition 19. Former à l’évaluation positive en instaurant des modules ou un cycle de développement professionnel consacrés à l’étude et l’expérimentation des pratiques d’évaluation dès la formation initiale.

Proposition 20. Former des accompagnateurs d’équipes innovantes en plus grand nombre, renforcer les compétences des intervenants et formateurs afin de mieux accompagner les équipes. Solliciter les chercheurs pour la formation et l’accompagnement des équipes

Proposition 21. Attribuer prioritairement les moyens de formation aux équipes en réflexion professionnelle, réorganiser le service de formation académique et promouvoir un service à l’établissement afin de renforcer le soutien aux équipes.

Proposition 22. Afficher le plan de développement professionnel dans le contrat d’établissement et intégrer la formation à la politique d’établissement.

Proposition 23. Sensibiliser l’encadrement à l’innovation dans les formations et veiller à ce que les futurs cadres aient une conception ouverte de leur métier et les associer prioritairement au suivi d’un projet innovant.

Proposition 24. Réécrire l’article 34 de la loi de 2005 afin d’élargir les domaines de l’expérimentation et de l’innovation.

Proposition 25. Mieux intégrer les nouveaux enseignants, mettre en place dans chaque établissement une mission répartie entre les membres de l’équipe éducative dédiée à l’accueil des nouveaux professeurs. Mettre en place une cérémonie d’accueil pour sensibiliser les nouveaux enseignants et personnels à l’éthique et les intégrer symboliquement dans la communauté éducative.

Extraits concernant les milieux populaires

[p. 6-7]
I. L’innovation comme problème
[...] L’école ne peut plus guère s’appuyer sur un projet politique et moral, sa légitimité a décru auprès des familles notamment dans les milieux populaires, augmentant encore les difficultés rencontrées par les enseignants. [...]

Des innovations illégitimes ?
Ces difficultés sont durement ressenties et vécues car l’Ecole occupe en France une place doublement centrale, elle est l’institution de la nation et un système d’affectation des individus dans la société. En France, l’emprise scolaire sur les destins sociaux des individus est bien plus forte qu’ailleurs.
Aussi, les populations, et notamment les catégories populaires, sont de plus en plus dépendantes du système scolaire, tout en perdant progressivement confiance dans la capacité de ce système de surmonter les inégalités sociales et les injustices. Du coup, la paralysie de l’école leur apparaît comme un moyen politique utilisé par les catégories moyennes et supérieures de maintenir leurs positions sociales ou leurs privilèges. Le mauvais fonctionnement du système scolaire, l’augmentation des écarts et la multiplication de l’échec, mais aussi la brutalité d’un système souvent accusé d’humilier, sont interprétés comme un avantage accordé aux catégories sociales déjà privilégiées. Dans les familles populaires en particulier, mais pas uniquement, l’orientation scolaire et sa mise en œuvre cristallisent ces sentiments et font l’objet de critiques parfois violentes. L’Ecole incarne en quelque sorte, plus que d’autres institutions, la trahison des promesses de la République. Dans les mondes populaires, elle est perçue et vécue comme une machine qui fonctionne aux dépens des plus faibles et à laquelle il est devenu impossible d’accorder confiance. Le sentiment général est qu’elle s’est non seulement éloignée de la société, mais encore refermée sur elle-même, refermée derrière des murs, matériels, symboliques, sociaux et institutionnels.

[p. 8-9 ]
Des innovations multiples et diverses
Pourtant, l’Ecole est aussi le lieu d’évolutions et d’innovations nombreuses et diverses. Les difficultés n’engendrent pas seulement des mécanismes régressifs ou de fermeture, mais aussi, inversement, des mécanismes d’innovation. Face aux problèmes rencontrés, portés par des convictions ou par souci pédagogique, de nombreux acteurs de l’institution travaillent à faire émerger de nouvelles pratiques, de nouvelles relations ou de nouvelles formes d’organisation. Là où les difficultés sont fortes, notamment dans l’éducation prioritaire, on observe d’ailleurs plus de créativité et plus d’innovations. [..]
Elles visent en général à résoudre les difficultés rencontrées par les élèves mais aussi augmenter l’intégration (mixité scolaire, continuité, ouverture à certains domaines ou à d’autres acteurs) et enfin à améliorer l’organisation scolaire. Elles sont parfois présentées comme des nécessités professionnelles par les enseignants, notamment dans les milieux populaires. Cependant, les acteurs de l’éducation s’y engagent moins en raison de contraintes ou de difficultés immédiates, qu’en fonction de convictions morales et d’engagements professionnels.

[p. 33-36]
La construction d’une communauté éducative passe nécessairement par l’intégration des familles et des parents et plus que par la tolérance de leur présence, par leur implication égale dans le processus éducatif. Mais il reste, comme l’ont montré les discussions, témoignages et auditions du groupe, que l’immense majorité des parents demeure en dehors et ne participe pas ou peu et de moins en moins au fur et à mesure que la scolarité de leurs enfants progresse. Très souvent aussi, dans les milieux populaires plus particulièrement, les familles ne se sentent guère bienvenues et se sentent parfois infériorisées ou peu légitimes à participer. Parfois, même, elles ont éprouvé un sentiment d’humiliation (qui peut être un souvenir de leur propre scolarité) et préfèrent se tenir à l’écart. Finalement, seuls quelques parents, guère représentatifs, investissent les instances prévues, les autres se tenant à l’écart.
Malgré tout, les familles gardent une confiance globale très élevée dans l’Ecole et ont des attentes fortes à son égard. Tout ceci engendre une tension et une sorte de malentendu permanent, notamment avec les enseignants, malentendu fait d’un mélange d’exigences fortes et de défiance. [...]

Dans le meilleur des cas, ses représentants considèrent que c’est aux familles de s’adapter à ses règles et non à l’école de s’adapter à la réalité des familles et des élèves. Il en résulte souvent une absence de « communication », l’école n’explique pas ce qu’elle fait, et plus encore ne voit pas pourquoi elle devrait le faire, et le sentiment d’une illégitimité de la présence ou de l’intervention des familles. Les enseignants craignent de voir leur statut et leur légitimité pédagogique remise en cause et inversement, pour les parents, l’école peut apparaître comme un monde opaque et peu compréhensible. Les polémiques récentes sur les ABC de l’égalité ont abondamment montré l’exacerbation de ces tensions même si elles sont restées limitées. De façon plus générale, comme les discussions croisées sur l’autorité l’ont aussi montré, elles illustrent les écarts existants entre modèles pédagogiques, celui des familles populaires et celui du monde scolaire, et les incompréhensions que cela suscite, chaque camp rendant l’autre responsable des échecs.

A partir des auditions et des visites d’expériences et de pratiques innovantes, l’idée de co-éducation a été reprise par le groupe et a guidé ses réflexions et l’élaboration de ses propositions. La co-éducation vise la réussite éducative ! Elle ne signifie pas une confusion des rôles, mais la prise de conscience réciproque et la mise en pratique de la nécessaire complémentarité de l’action de chacun, enseignants et parents, écoles et familles, tant sur le plan strict des apprentissages scolaires que du point de vue plus général de l’éducation de la personne. Réussite scolaire et réussite éducative nécessitent la participation de chacun. [...]
La co-éducation a été inscrite dans la loi du 8 juillet 2013 où il est précisé que l’école « se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative. »

L’éducation prioritaire insiste particulièrement sur cette dimension et l’a déclinée par un ensemble de décisions, notamment la création d’espaces ou de journées dédiées aux parents. Il existe ainsi de nombreuses actions et pratiques innovantes qui visent à faire tomber les murs séparant école et parents et à fabriquer de la co-éducation. A partir des auditions, visites et discussions, le groupe s’est plutôt interrogé sur les conditions de la mise en oeuvre de la co-éducation et en a tiré ses propositions d’actions. Elles consistent pour l’essentiel à renforcer les capacités des acteurs de s’engager dans la co-éducation, en définir les thématiques appropriées et enfin à l’organiser. En d’autres termes, elles consistent à développer des « capabilités » combinées, c’est-à-dire à augmenter les capacités des acteurs en lien avec la création des conditions qui leur permettent de les mettre en œuvre.

Construire les compétences
Du côté des familles, il conviendrait de construire les compétences des parents pour leur permettre de participer réellement et activement aux instances qui leur sont ouvertes et accompagner la vie scolaire et les études de leurs enfants. Pour ce faire, des dispositifs existent déjà qui pourraient être renforcés. Certaines fédérations de parents d’élèves proposent des formations pour la participation aux conseils d’administration des établissements.

L’Université Populaire de Parents offre la possibilité aux parents de développer leurs compétences et leur implication. Dans un esprit comparable et proche aussi des méthodes d’intervention sociologique, l’association ATD quart-monde a monté des expériences fondées sur le travail de groupes de pairs qui ont renforcé les capacités d’action et l’implication des parents. L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme mène des actions éducatives familiales, qui ont un effet positif sur l’ouverture des établissements scolaires, mais dote aussi les parents les plus éloignés du monde scolaire de capacités et de connaissances. Les dispositifs de « mallettes des parents » ont montré leur efficacité en incitant les familles à accroître leur participation et leur implication. Ces dispositifs pourraient être généralisés. Les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents qui fonctionnent avec des groupes de paroles et des conférences ont aussi démontré leur pertinence et mériteraient d’être étendus. La diversité de ces dispositifs ne constitue pas une difficulté, au contraire. Dans une logique de renforcement des acteurs, il conviendrait de les pérenniser et surtout de les étendre.

[p. 38-39 du PDF]
Le vivre ensemble
Plus que la pédagogie, les règles ordinaires du « vivre ensemble » est un sujet de préoccupation pour les familles. L’école leur paraît organisée selon des principes et des règles de vie qui leur paraissent parfois un peu incompréhensibles, parfois plus ou moins dépourvus de sens. Surtout, comme ils n’ont pas participé à l’élaboration de ces principes et de ces règles, notamment dans les milieux populaires, ils peuvent leur apparaître étrangers et en grande partie illégitimes. C’est notamment le cas en matière d’autorité. Les enquêtes, mais aussi les témoignages recueillis par le CNIRE, montrent que cette incompréhension est fréquente, parfois profonde, et qu’elle engendre retrait et méfiance. Il conviendrait donc que l’école non seulement communique de manière plus directe et plus claire mais aussi, par les biais des différents dispositifs, associe les familles et les parents de manière directe et explicite à l’élaboration des règles du vivre ensemble qui peuvent par exemple faire l’objet de chartes. Cette préoccupation peut constituer la base d’actions structurantes à l’école primaire, comme par exemple les ateliers philo des Francas. [...]

Renforcer et modifier les dispositifs institutionnels existants
Mieux reconnaître et redonner du sens à la place des parents dans les conseils de classe et dans les conseils d’administration. Les parents pourraient être plus directement associés à la gestion de l’établissement, notamment du point de vue de la vie collective et de l’élaboration des règles communes. Si l’on en croit les enquêtes, c’est d’ailleurs sur ce point, plus que sur la pédagogie et les programmes, que les familles, notamment dans les milieux populaires, focalisent leur attention.

Lire le rapport

 

Note du QZ :
Rappelons que Didier Lapeyronnie est un sociologue reconnu comme un spécialiste des banlieues.
Si le résumé des recommandations garde un caractère général, le texte du rapport comporte de nombreuses références au fossé existant entre l’école et les familles populaires.
On remarquera dans le résumé des propositions la répétition, quasi obsessionnelle du terme "explicite", comme si le rapport voulait insister sur la nécessité de reconnaitre et de traiter enfin ouvertement certaines réalités et fractures sociales jusqu’ici occultées derrière un discours rassurant.

 

Présentation de toutduc.fr  :

[...] Les innovations engendrent du désordre

L’institution peut même "leur être hostile" tout comme leurs collègues : "les innovations perturbent des situations ou des fonctionnements, notamment des fonctionnements individuels au profit de collectifs (...) les innovations engendrent du désordre. Elles peuvent être alors sanctionnées par la ’communauté’, comme une déviance et provoquer une mise à l’écart."

C’est pourquoi "l’idée de la bienveillance s’est imposée" aux membres du CNIRE. Elle s’applique d’abord aux élèves dont "il faut prendre au sérieux les témoignages récurrents sur le sentiment d’avoir été à telle ou telle occasion ’humiliés’ par l’Ecole ou les enseignants". Le Conseil y voit "un facteur essentiel du décrochage" car l’humiliation "ne laisse guère d’autre possibilité que de sortir du jeu afin de maintenir un minimum d’estime de soi". Et ses premières préconisations portent sur l’inscription de la bienveillance, de l’absence d’humiliation dans les projets des équipes pédagogiques.

Innovation : sortir de la solitude (rapport du CNIRE)

 

Consulter aussi cafepedagogique.fr du 12.11.2014 : Le rapport du CNIRE demande la révision des missions d’inspection

 

Compte rendu des Cahiers pédagogiques par Yann Forestier (15..11.2014)

Généraliser la démarche innovante plus que les innovations elles-mêmes

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