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Le rapport du Sénat (14) : la réponse du recteur de Versailles

23 février 2007

Extraits du site du Sénat, le 05.02.07 : La rapport sur le nouveau pacte de solidarité pour les quartiers

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M. Alex TÜRK, président.- Je vous propose que vous preniez maintenant le temps de répondre à ces nombreuses questions en reprenant le même ordre d’interventions.

M. Alain BOISSINOT.- Je ne m’engage pas à répondre à toutes les questions qui ont été posées. Je voudrais simplement évoquer librement trois principes de méthode qu’appelle notre échange.

La première remarque, mesdames et messieurs les sénateurs, c’est qu’il me semble que notre échange illustre admirablement une chose qui est bien connue et que révèlent toutes les enquêtes qui sont faites sur l’image qu’ont les Français de l’éducation nationale. Depuis un bon nombre d’années, on obtient le même résultat : lorsqu’on interroge nos compatriotes sur l’éducation nationale en général, l’image est absolument calamiteuse et les jugements sont d’une sévérité qui fait tout à fait écho à vos propos, ce qui est normal puisque vous êtes des élus du peuple, mais lorsqu’on les interroge ― c’est un peu plus rassurant ― sur l’école de leur secteur, sur le collège de leur quartier ou sur le chef d’établissement qui s’occupe de leurs enfants, le jugement devient, heureusement, nettement plus positif.

A l’issue de notre échange, je serais tenté de rejoindre mon rectorat avec le moral passablement dégradé. D’un autre côté, je me souviens que, ce matin, j’étais avec l’une de vos collègues dans un lycée professionnel du Val-d’Oise où, ensemble, nous avons ouvert une journée consacrée à l’illustration des métiers du bâtiment, ce qui rejoint tout à fait vos préoccupations, et où il s’agissait justement de montrer que, pour nos jeunes élèves, y compris pour les jeunes filles, ces métiers offrent de nombreuses perspectives d’avenir. Nous sommes là au coeur de la problématique profonde, que vous avez évoquée, que représente la nécessité de faire évoluer notre offre de formation et il faut vraiment que nous y travaillions ensemble.

Votre collègue me disait sa reconnaissance à l’égard d’un chef d’établissement assez dynamique et extraordinaire, qui, en quelques années, a remonté et restauré l’image de son établissement. C’est ainsi que, d’un lycée professionnel dans lequel personne ne voulait aller, qui perdait des élèves et dont on fermait des sections, on est passé à un lycée qui, au contraire, a une vraie attractivité et dans lequel on peut rouvrir des baccalauréats professionnels, avec un véritable essor de ces formations.

Le constat que j’en tire et que corrobore mon expérience quotidienne, c’est qu’au niveau des politiques nationales en matière éducative, il est difficile de ne pas être très pessimiste. Pour parler diplomatiquement, j’ai eu le privilège d’accompagner d’assez près un certain nombre de ministres, y compris de majorités politiques différentes et je les ai vus les uns après les autres aboutir à des échecs sur des projets de réforme nationale. Il est donc difficile de ne pas avoir le sentiment que ce sont tous les éléments de blocage et toutes les craintes de notre société qui remontent au niveau national, mais, heureusement, au niveau déconcentré et dans les établissements, je pense que l’on arrive davantage à travailler. C’est là qu’il faut chercher des marges d’action et de souplesse.

J’aurai tendance à en tirer un principe de méthode : la réforme des réformes serait peut-être celle qui mettrait suffisamment de souplesse dans nos modes de fonctionnement pour que les réponses qui paraissent inaccessibles et qui ne peuvent pas s’établir de façon consensuelle au niveau national puissent plus empiriquement, dans l’état actuel de notre société, s’expérimenter et se mettre au point au niveau local.

Cela rejoint le problème de prise en compte des zones en difficulté et de l’éducation prioritaire. Par rapport aux réformes en cours ― excusez-moi : je croyais que c’était le sujet ― j’ai indiqué ma manière de voir l’évolution des choses, mais, pour pousser plus loin la réflexion, j’irai volontiers jusqu’à dire que la politique de l’éducation prioritaire a été imaginée ― c’était sans doute une chose nécessaire et bonne ― au début des années 1980 à un moment où, en matière de gestion du système éducatif, on savait fonctionner qu’à partir d’une logique binaire pour la répartition des moyens : soit on est en ZEP et on a droit à tant de moyens, soit on ne l’est pas et on est traité autrement. Depuis, nous avons fait des progrès de gestion et d’accompagnement des établissements considérables et nous sommes parfaitement en mesure de déplacer les curseurs de façon beaucoup plus souple. Par conséquent, la logique binaire qui consiste à se demander si on est en ZEP ou non n’est plus la question. On peut désormais avoir une logique d’accompagnement fin de chaque établissement en fonction d’une identification des situations locales et on peut parfaitement ― ou plutôt ou devrait le faire ― y travailler en partenariat.

D’une certaine manière, je pense que l’établissement de critères nationaux et de listes nationales est peut-être un état dépassé de la réflexion et qu’il faudrait peut-être penser à une pratique beaucoup plus déconcentrée et souple qui nous permet, au lieu de nous focaliser sur les étiquettes avec les débats passionnés que cela suscite, y compris chez les étudiants, de déplacer très souplement nos modes d’utilisation des moyens en même temps que nos pratiques pédagogiques.

Cela suppose un certain nombre de principes de méthode. Cela suppose par exemple ― nous avons tous une part de responsabilité à ce sujet ― que l’on réfléchisse aux conséquences que cela peut avoir sur le statut des enseignants et sur les indemnités accordées aux personnes. Vous connaissez l’importance de ce facteur de rigidité dans le système des aides. Pour ma part, je proposerais que les moyens que l’on consacre actuellement à assurer une rémunération supplémentaire sous forme d’indemnités aux enseignants parce qu’ils sont en ZEP de même que les moyens que l’on consacre de façon uniforme à faire des abattements du nombre d’élèves par classe en ZEP, sujet dont M. Renard [NDLR : président de l’OZP] a parlé tout à l’heure, soient mis beaucoup plus souplement à la disposition de l’établissement de façon globale et que ce soit à lui, en fonction de son projet, de décider de leur utilisation.

Plutôt que d’accorder systématiquement une prime ou une indemnité pour chaque enseignant simplement parce que le hasard des mutations l’a amené dans un établissement en ZEP (avec tous les effets pervers que cela peut avoir dans une logique de mercenariat : le plus souvent, il ne songe qu’à accumuler les points d’ancienneté pour en partir le plus vite possible), je propose que l’on mette ces moyens à la disposition de l’établissement pour permettre à celui-ci d’améliorer son mode de fonctionnement et, par là même, d’attirer les enseignants au lieu de les rémunérer pendant quelque temps pour les faire fuir ensuite.

Ce sont des choses sur lesquelles il me semble que l’on pourrait travailler et qui ont pour point commun de reposer sur une logique qui consisterait à renvoyer à un niveau beaucoup plus déconcentré le traitement de ce genre de problème, en gardant au niveau national une définition des grands objectifs et un certain nombre d’outils de régulation et d’évaluation. Il me semble qu’il faudrait réfléchir sur des éléments comme ceux-là.

J’en viens à ma deuxième remarque de méthode. Dans notre échange, ce qui apparaît clairement ― plusieurs d’entre vous l’ont dit et nous en sommes parfaitement conscients ―, c’est que l’on fait porter sur l’éducation nationale des responsabilités énormes et très au-delà, soyons francs, de celles qu’elle est en mesure d’assumer. Il me semble donc qu’il est nécessaire, dans la situation complexe de notre société et dans cette atmosphère de scepticisme à l’égard de l’éducation nationale, de recentrer son action sur un certain nombre d’objectifs essentiels.

Je ne veux pas dire par là qu’il ne faut pas que nous soyons impliqués dans la politique de la ville et qu’il ne faut pas jouer un rôle, mais n’oublions pas qu’il est primordial de faire en sorte que l’on apprenne mieux le français, le calcul et les mathématiques aux élèves, que nous avons des marges de progression dans ce domaine et qu’il faut remobiliser nos enseignants sur ces points, parce que c’est sur notre coeur de métier qu’il faut que nous améliorions nos performances avant tout le reste. C’est d’ailleurs là-dessus que l’opinion publique doit nous demander des comptes de façon très légitime.

Cela m’amène à mon troisième point en réponse à votre très belle question, monsieur le Sénateur : « quels sont vos adversaires éducatifs ? » J’ai beaucoup aimé la formule, même s’il n’est pas facile d’y répondre. Si vous me permettez de tenter une réponse très libre, je dirai que nous avons deux adversaires.

Le premier est le pessimisme social. Il est très difficile de faire fonctionner un système éducatif dans un état de notre société qui pousse le pessimisme à un tel point. Les grandes heures du système éducatif étaient à l’utopie sociale, à la confiance en l’avenir et en la capacité collective des hommes à améliorer leur sort par le savoir. C’est peu de dire que nous ne sommes pas vraiment dans ce type de mentalité dominante. Nous sommes donc en permanence interpellés et pris dans cette ère du soupçon qui caractérise notre époque et, honnêtement, il est très difficile de continuer à faire fonctionner le système éducatif dans ce contexte, si ce n’est en essayant de mettre en évidence des micro réussites, des talents individuels et des choses qui fonctionnent malgré tout pour que les gens ne baissent pas les bras. Cela demande beaucoup d’énergie et d’investissement aux individus et c’est très lourd.

En gros, on demande d’autant plus aux individus que le système et la société leur apporte moins et les aide moins. C’est très exigeant pour tous nos concitoyens et tous les personnels de l’éducation nationale, mais ce n’est pas pour rien dans le sentiment de crise qu’ils expriment souvent.

Notre adversaire n’est pas seulement le pessimisme social ; c’est aussi le pessimisme éducatif, dans lequel nous avons notre part de responsabilité. Je n’ai pas de réponse toute faite sur ce point et je ne sais pas comment il faut expliquer la révolte des banlieues. Il y a à mon avis trop de phénomènes et d’éléments, mais je suis au moins sûr d’une chose, c’est que le pessimisme éducatif génère chez les élèves un sentiment d’échec, que le sentiment d’échec génère la haine et l’agressivité et que tout cela se noue très tôt. A chaque fois que l’on dit à un gamin : « Tu n’y arriveras pas », on apporte sans doute, involontairement, une petite pierre à ce sentiment de désespérance qui, ensuite, nourrira la révolte.

Il est primordial ― nous y avons notre part de responsabilité et nous pouvons essayer d’y travailler au sein de l’éducation nationale ― de nous battre contre le pessimisme éducatif. Dans mon académie, pratiquement à tous les niveaux du système éducatif, il y a une culture du redoublement très excessive. L’académie de Versailles a des taux de redoublement supérieurs de 2 à 3 % aux taux nationaux. Avec les chefs d’établissement, nous améliorons peu à peu la situation et j’essaie de lutter contre ce pessimisme parce que je suis fondamentalement persuadé que le sentiment de réussir donne les capacités de la réussite et qu’inversement, quand on installe les gens dans une situation d’échec, on provoque tous les comportements et toutes les conduites d’échec et, ensuite, de révolte. Ce sont des choses comme cela qu’il faut essayer de faire modestement et quotidiennement. Votre compréhension et le soutien des élus n’est pas inutile dans ce travail parce que l’éducation nationale ne peut pas y arriver seule et que, si elle est en butte à la suspicion, il lui devient effectivement très difficile de réussir.

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