L’innovation et les ZEP, avec Anne-Marie Vaillé (Conseil national de l’innovation) (Rencontre OZP, 2004)

septembre 2004

-----------LES RENCONTRES DE L’OZP-------

(Observatoire des zones prioritaires - www.ozp.fr)

n° 49 - septembre 2004

L’innovation et les ZEP

Compte rendu de la réunion publique du 22 septembre 2004

Anne-Marie Vaillé a été présidente du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Scolaire créé en 2000 par Jack Lang. Elle a présenté sa démission de ces fonctions lors du changement de ministre en 2002, puis définitivement quelques mois plus tard lorsqu’il s’est avéré que ce conseil, qui était directement rattaché au ministre, n’avait plus de place dans la nouvelle politique.

Le Conseil National de l’Innovation

Le ministre avait fait le choix de ne pas entreprendre une nouvelle réforme du système éducatif, mais d’impulser le changement à travers ce Conseil auquel il avait confié deux missions principales :
 faire l’inventaire des innovations réalisées sur le terrain et les diffuser,
 créer des établissements expérimentaux qui auraient le droit de tenter toutes les innovations qui leur sembleraient nécessaires.

L’inventaire des innovations

L’objectif du ministre était de repérer ce que les enseignants ont inventé d’eux-mêmes, d’évaluer ces innovations et de les diffuser en tache d’huile. Une connaissance plus fine des innovations permettrait de :
- faire connaître les méthodes qui réussissent,
- valoriser leurs inventeurs,
- mettre en évidence une diversité permettant de s’adapter à la diversité des publics,
- donner l’image d’un univers de formation en mouvement.
Un questionnaire a été diffusé par Internet à toutes les écoles et à tous les établissements du second degré. Un établissement sur cinq a répondu, tant pour les collèges que pour les lycées professionnels ou les lycées généraux et technologiques, et une école sur cent, soit au total deux mille réponses. Jacky Beillerot et Françoise Cros ont dirigé le dépouillement, dont le résultat a été publié sous le titre « Regards sur les pratiques innovantes dans le système éducatif ».

Sur les 2000 réponses, un quart concerne la mise en œuvre de dispositifs préconisés officiellement par l’institution : travaux croisés, parcours diversifiés, classes à projets artistiques, cycles à l’école, etc.
Une moitié concerne la réalisation d’un produit (un tiers des réponses) - écriture d’un roman, reportage vidéo, création d’un site Internet, construction d’une éolienne, etc. - ou la mise en place d’actions ou de lieux (un sixième des réponses) : les mercredis bleus, Balzac Café, tabaction, etc..
Le partage des rôles entre un Conseil directement rattaché au ministre et une structure administrative telle que le bureau « Innovalo » a posé problème. Le Conseil a été perçu comme un organe politique, ce qu’il était effectivement puisque directement rattaché au ministre.

D.Bargas, inspecteur général, exprime ses doutes sur la qualité de ces enquêtes : on ne peut se baser sur des déclarations pour décrire la réalité des innovations, il faut pouvoir vérifier sur le terrain, ce que fait l’inspection générale, qui constate des écarts énormes entre le déclaratif et la réalité. Ces écarts vont d’ailleurs dans les deux sens : on trouve à la fois des pratiques innovantes qui étaient passées inaperçues et des affichages sans contenu réel. Mais des doutes s’expriment aussi sur l’utilisation réelle par l’administration des descriptions d’innovations réalisées.

La réappropriation ou la généralisation des innovations

A.-M. Vaillé pense que les enseignants ne veulent pas d’innovations « clés en mains », qu’elles viennent du ministère ou qu’elles proviennent de leurs collègues. Ils veulent réinventer eux-mêmes. Un Salon des Innovations les a pour la plupart déçus : rien de ce qui était montré ne leur convenait.
La réappropriation par les enseignants des innovations de leurs collègues ou même des pratiques préconisées par l’institution est un vrai problème.

Une coordonnatrice de Nanterre évoque justement ces innovations préconisées par les institutions, comme les itinéraires de découverte au collège, les travaux croisés au lycée ou les cycles à l’école. Elles sont l’occasion d’un travail collectif et d’un investissement des enseignants. Pourquoi ne pas valoriser plus et soutenir ces « innovations verticales » ? Elles sont d’ailleurs souvent des tentatives de généralisation de dispositifs mis en place par des pionniers. On remarque que les enseignants s’autorisent dans ces dispositifs officiels une liberté qu’on ne trouve pas dans les « heures ordinaires », où ils sont bloqués par le respect des programmes. (NDLR : L’inspection générale a déjà pointé ce contraste entre ce que les enseignants sont capables de faire dans des dispositifs marginaux et ce qu’ils font dans les heures normales.)

Ceci amène d’autres questions sur les stratégies de diffusion de l’innovation. La généralisation suppose une formalisation, une adaptation, une simplification, souvent une diminution de l’ambition. Or les « inventions » spontanées du terrain sont souvent d’une organisation trop sophistiquée ou demandent un investissement trop lourd aux enseignants.
On a remarqué que les inventions du terrain perdent leur sens lorsqu’elles sont généralisées sans précaution par l’institution ou rendues obligatoires : ainsi les « modules » en classe de seconde sont devenus de simples dédoublements de classes, à l’opposé du dispositif prévu de « groupes de besoin » destinés à faire fonctionner de véritables « secondes de détermination ». Alors que le catalogue de trente mesures ou dispositifs proposés aux collèges en 1999 a facilité un grand nombre d’innovations parce que le principe du volontariat a permis de satisfaire les préférences de chacun et de contourner l’opposition des plus conservateurs.

Qu’est-ce qu’une innovation ?

C’est la question posée par une participante. Le terme doit-il être réservé à la phase d’invention et de formalisation d’une pratique nouvelle ou d’un dispositif (ce qui semble avoir été la position du Conseil) ou englobe-t-il la phase de diffusion et d’adaptation aux besoins de la majorité des enseignants ? Par exemple, les cycles à l’école primaire, préconisés depuis 1990, résultent d’innovations initiées au début des années 1970, en particulier dans les écoles de La-Villeneuve-de- Grenoble. Aujourd’hui, on trouve moins de 40% des écoles où il y ait un début de fonctionnement en cycles et beaucoup moins où les pratiques que cette organisation permet se sont vraiment affirmées. On peut considérer que l’innovation comprend le travail d’adaptation, de mise au point qui permettra à tous les enseignants de bonne volonté (et pas seulement aux innovateurs militants) de s’approprier des pratiques différentes. D’ailleurs, dans le débat public, le terme d’innovation désigne parfois des pratiques très anciennes mais restées très minoritaires ou des pratiques préconisées officiellement mais dont la mise en œuvre reste très timide (telles que le travail en équipe).

Les établissements expérimentaux

Dès la création du Conseil, des concepteurs de projets se sont présentés avec des projets tout ficelés. Certains avaient été au départ encouragés par l’administration : ainsi le projet de « lycée élitaire pour tous » à Grenoble avait été préparé par deux enseignants déchargés par le recteur pour le concevoir ; un changement de recteur n’avait pas permis son démarrage. Le plus souvent, ces concepteurs étaient des équipes militantes.

Des mouvements pédagogiques avaient demandé une reconnaissance officielle à travers la création d’établissements expérimentaux. Ainsi l’ICEM (mouvement Freinet) avait demandé la création d’une école Freinet dans chaque département et d’un collège par académie. Les écoles Montessori et la pédagogie institutionnelle avaient présenté des demandes analogues. Accepter de telles demandes, qui impliquaient un étiquetage des écoles et un droit de regard sur les nominations, aurait donné du poids aux accusations d’introduire une école privée dans le secteur public.
Francine Best, inspectrice générale honoraire, regrette que ces demandes de mouvements pédagogiques n’aient pas été mieux accueillies. Pour elles, l’existence d’écoles cataloguées « Freinet » ne cause pas de difficultés insurmontables. Elle cite l’exemple d’une école Freinet à Hérouville-Saint-Clair qui est considérée comme une richesse par le milieu environnant.

D’une manière plus générale, A.-M. Vaillé est personnellement défavorable à la création d’espaces clos, de « bulles » extérieures au système : les expériences doivent être, à terme, transposables. En particulier, les coûts ne doivent pas être plus élevés que dans le droit commun. Elles doivent s’inscrire dans une méthodologie qui permette des évaluations, comme dans un laboratoire.
Neuf établissements expérimentaux ont pu voir le jour et fonctionnent encore.

L’innovation dans des établissements existants.

Pourquoi ne pas offrir les mêmes possibilités d’innovation à des collèges faisant face à de très grandes difficultés ? Une offre a été adressée à des collèges se signalant par la fuite des enseignants et l’évitement par les familles. Ont été retenus ceux dont le principal était volontaire et pensait disposer d’une équipe pédagogique prête à se lancer dans l’expérimentation. Ce mode de recrutement permettait de contourner les obstacles de la nomination des personnels au mouvement.

Trois collèges se sont lancés : Le collège Jean Jaurès à Pantin, le collège Victor Hugo à Aulnay-sous-Bois et le collège Jean Vilar à Grigny-la-Grande-Borne. Leurs projets étaient beaucoup moins radicaux que ceux de création ex nihilo. Dès la première réunion, ils ont affirmé qu’ils ne seraient pas des cobayes, que leurs projets devraient être compris et acceptés par les familles qui auraient l’assurance que leurs enfants ne seraient pas marginalisés. Ces projets étaient à la fois très ambitieux, très globaux et très dans la ligne de ce que devraient rechercher tous les collèges en ZEP : redonner du sens à l’école pour tous les jeunes, en échec ou non, introduire l’excellence éducative dans un quartier défavorisé, réduire les phénomènes de violence.
Dans ces trois collèges, les équipes enseignantes ont d’abord été embarrassées de la liberté totale qui leur était accordée, avant de se lancer dans l’élaboration de projets qui ont été en définitive très proches. Cet embarras ne s’explique pas seulement par la nécessité de ne pas effrayer leur public et de ne pas rentrer en conflit avec une hiérarchie pas toujours favorable à l’innovation. On a aussi constaté à cette occasion qu’il était très difficile de faire vivre un noyau fortement innovant dans un établissement sans provoquer de conflit avec le reste de l’établissement. F. Dubet avait fait la même observation dans une recherche déjà ancienne, « Trois collèges en France » : il avait relevé que les changements qui fonctionnaient étaient ceux que la plupart des enseignants pouvaient s’approprier assez rapidement.

Un participant fait remarquer à ce sujet, à partir de son expérience d’instituteur, que l’innovation ne peut être acceptée par les familles les plus pauvres qu’à deux conditions : que les parents soient en confiance avec les enseignants (on ne peut pas innover tout de suite, il faut attendre un an ou deux, le temps de se connaître) et il faut donner aux élèves et à leurs familles des repères traditionnels. Ainsi l’apprentissage par cœur des tables de multiplication ou l’utilisation du livre de lecture à la maison rassurent tout le monde en faisant le lien avec l’école que les parents avaient connue.

Innovation et publics en difficulté.

Le Conseil a constaté que ce ne sont pas les lieux où sont concentrés les publics les plus en difficulté qui suscitent le plus l’innovation. La difficulté n’est pas forcément un moteur de changement, au contraire. A l’origine de la plupart des projets présentés au Conseil, on trouve le désir des enseignants de travailler autrement, d’instaurer un autre rapport aux élèves plus qu’une volonté de résoudre les problèmes des publics les plus en difficulté. Ces enseignants disent le plus souvent souhaiter « un public socialement hétérogène », mais, comme dans les faits ce sont les familles de la classe moyenne qui sont le plus disposées à prendre le risque de l’innovation à l’école, les élèves des milieux défavorisés sont plutôt sous-représentés dans beaucoup d’expériences.

Un ancien de la Direction de l’Evaluation et de la Prospective (DEP) fait référence à des études éclairantes de cette Direction sur le lien éventuel entre les difficultés rencontrées dans un endroit et l’innovation, les premières étant supposées déclencher la seconde. Deux réactions opposées ont été observées. D’un côté, il y a, en ZEP ou en lycée professionnel, plus d’enseignants et d’établissements gagnés par le découragement et ayant une vision très négative de leur élèves. Ainsi les collèges de ZEP répartissent plus souvent que les autres leurs élèves en classes homogènes, fortes ou faibles, et ces structures ségrégatives peuvent avoir des conséquences très négatives pour les élèves. Mais, à l’opposé, on trouve aussi un plus grand nombre d’enseignants disant avoir adopté des pratiques plus exigeantes telles que le travail avec les collègues ou des pédagogies différenciées par exemple, et des établissements plus nombreux ayant mis en pratique des dispositifs tels que les itinéraires de découverte ou les ateliers de lecture. Il ne s’agit pas ici nécessairement d’innovations au sens strict du terme mais de pratiques plus avancées.

Innovation pédagogique ou innovation dans les structures ?
La plupart des projets venant du terrain portaient sur les seules méthodes pédagogiques, sur l’entrée dans les apprentissages, beaucoup plus rarement et plus timidement sur l’organisation, sur les structures d’enseignement, et jamais sur une remise en cause des contenus. L’environnement de l’établissement, le partenariat jouent rarement un rôle appréciable.
L’innovation pédagogique peut s’accommoder d’une posture individuelle. Mais, estime A.-M. Vaillé, l’innovation, pour pouvoir transformer le système, doit être plus large : elle doit toucher aux structures, au mode de fonctionnement, à l’organisation de l’établissement, impliquer les personnels ATOS...

L’innovation peut elle toucher aux programmes, aux contenus ?

C’est seulement en lycée professionnel que l’on s’est autorisé à remettre en cause les contenus (NDLR : ceci confirme des études anciennes de la DEP montrant que c’est l’existence d’une finalité professionnelle qui fournit des références pouvant contrebalancer les critères de l’univers scolaire. Peut on imaginer des finalités sociales ou politiques ayant la même force ?)
Le respect scrupuleux des programmes a été une contrainte forte que se sont imposée tous les concepteurs de projets, toute remise en cause des programmes pouvant être assimilée par l’extérieur à un enseignement au rabais.

Un principal de collège doute de la possibilité d’étendre l’innovation aux contenus sans marginaliser l’établissement.
A.-M. Vaillé répond qu’il faudrait raisonner en termes de compétences : quelles compétences acquérir en se fondant sur quels contenus ? Il ne sert à rien de s’accrocher aux contenus quand on constate que trop d’élèves perdent très vite tout souvenir de ce qu’on a voulu leur faire absorber.
Un autre participant appuie ce point de vue en prenant l’exemple des lycées professionnels, où l’enseignement par unités capitalisables, fondé sur la pédagogie par objectifs, permet de mesurer le développement de compétences plutôt que l’accumulation de savoirs. Il regrette au passage que les acquis des ENNA (Ecoles Normales Nationales d’Apprentissage) n’aient pas été repris par les IUFM. Ces écoles étaient des foyers d’innovation. Le but de l’innovation est de permettre aux élèves de donner du sens à leurs apprentissages, ce que les contenus, à eux seuls, ne suffisent pas à faire. Les itinéraires de découverte au collège où les travaux croisés au lycée sont des dispositifs facilitant la recherche du sens. Malheureusement, dès qu’un établissement doit faire des économies, le plus souvent il sacrifie les dispositifs innovants.

Les moteurs de l’innovation.

L’appui de l’institution est indispensable et passe par une gestion « transversale » reliant les initiatives. A.-M Vaillé cite plusieurs occasions manquées. La création des PEP IV (postes à exigences particulières ouverts aux professeurs sortant d’IUFM Les Rencontres de l’OZP, n° 36, déc. 2002 aurait pu se jumeler avec la création de foyers d’innovation. Il n’en a rien été. Ou encore l’exemple d’un groupe de quinze professeurs de Garges qui avaient préparé un projet pour un collège devant ouvrir en ZEP et qui avaient demandé à y être affectés collectivement. Le rectorat a refusé de prendre en compte leur demande. De manière générale, l’institution ne se préoccupe guère d’assurer la pérennité d’équipes qui ont entrepris un travail innovant.
Le travail en équipe est pourtant le principal moteur de l’innovation, à condition que l’on puisse assurer la pérennité des équipes.
La recherche d’un cadre institutionnel favorable à l’innovation est sans doute plus important que l’approfondissement des méthodes pédagogiques, lequel accapare pourtant toute l’attention lorsqu’on parle d’innovation (d’ailleurs on parle toujours d’ »innovation pédagogique »).

A.-M. Vaillé cite plusieurs chantiers que le Conseil a ouverts ou aurait voulu ouvrir, et qui portaient sur :
 ce qu’elle appelle l’ergonomie scolaire. L’architecture et le mobilier scolaire : faciliter les déplacements, l’accès aux ressources communes, CDI et salles informatiques ; permettre aux enseignants de travailler sur place et de se rencontrer, diminuer le bruit, créer un cadre agréable,
 les horaires, les rythmes scolaires, l’organisation de la journée,
 l’implication des personnels ATOS et le respect de ces personnels,
 le rôle des gestionnaires dans la meilleure utilisation des moyens disponibles,
 le développement des aptitudes de l’encadrement à l’innovation,
 l’étude de ce que le partenariat avec l’environnement peut apporter.

Innovation et gestion des ressources humaines

C’est l’inexistence d’une véritable gestion des ressources humaines qui constitue le principal obstacle institutionnel à l’innovation, mais sans doute aussi à une véritable mobilisation autour de l’éducation prioritaire. La constitution de véritables équipes de direction relève des hasards du mouvement.
Instituer une véritable fonction d’accompagnement des personnels est une nécessité, pas seulement dans les cas de difficultés exceptionnelles.

Un responsable syndical SGEN-CFDT cite les éléments d’une politique d’innovation :
 l’innovation doit être développée là où les élèves en ont le plus besoin,.
 la pérennisation des équipes doit être assurée,
 le temps de service doit être redéfini,
 l’accompagnement des équipes doit être organisé systématiquement.
Sur ce dernier point, A.-M. Vaillé fait remarquer qu’il n’est pas facile de trouver des experts pour évaluer les personnes et les projets.

En conclusion, A.-M. Vaillé nous invite à réclamer un véritable droit à l’innovation. L’innovation se fait pratique trop souvent en catimini. « Osez innover ! »

Compte rendu rédigé par François-Régis Guillaume

Ci-dessous une version en PDF, à la mise en page conforme à celle de la version papier de la collection "Les Rencontres de l’OZP"

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