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— -LES RENCONTRES DE L’OZP-------
n°127, mars 2016
Compte rendu de la 156ème rencontre du 22 mars 2017
L’éducation prioritaire dans la campagne des présidentielles
Comme en 2002 – 2007 et 2012, l’Observatoire des zones prioritaires a organisé une rencontre publique pour que les principaux candidats républicains à l’élection présidentielle puissent s’exprimer sur le thème précis de l’éducation prioritaire et échanger avec les personnes présentes.
Pour cette édition 2017, étaient conviés des représentants de François Fillon, Emmanuel Macron, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Contrairement aux trois éditions précédentes, le candidat de la droite n’a envoyé personne, malgré plusieurs relances. Ce sont donc trois représentants qui ont pu intervenir :
- Pour Emmanuel Macron :
Bariza Khiari, sénatrice PS de Paris, membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ancienne vice-présidente du Sénat, l’une des principales animatrices du mouvement « Rassembler à Gauche », qui fédère les fabiusiens.
- Pour Benoît Hamon :
Charlotte Brun, ancienne présidente du Mouvement des jeunes socialistes, proche de Martine Aubry, est professeure d’histoire-géographie en collège REP, après un DEA d’histoire à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.
- Pour Jean-Luc Mélenchon :
Paul Vannier, Secrétaire national à l’éducation du Parti de Gauche, par ailleurs enseignant d’histoire-géographie dans un lycée de Seine-et-Marne, militant syndical et géographe à l’Institut français de géopolitique, université Paris VIII.
Ces représentants sont accueillis par Marc Douaire, président de l’OZP, qui estime utile cette rencontre, en complément des informations apportées quotidiennement sur le site de l’OZP rapportant les déclarations de tous les candidats à propos de l’éducation prioritaire, parce que celle-ci est régulièrement « sur la sellette » : on en parle de façon légère et impulsive. C’est pourquoi l’OZP a publié début 2017 un nouveau « Manifeste » pour que ses positions soient clairement énoncées durant cette période électorale.
Marc Douaire présente alors ce manifeste en insistant sur son application en accordéon durant trente ans et sur le moment présent où une nouvelle politique est lancée : il faut « sanctuariser » l’éducation prioritaire et laisser le travail en cours se poursuivre. Faire que l’éducation prioritaire soit vraiment prioritaire et sur le long terme.
Charlotte BRUN se dit d’abord contente d’être là ce soir. Etant professeur d’histoire-géographie dans un collège REP de la région lilloise, elle lit régulièrement les publications de l’OZP. Dans sa région, l’éducation prioritaire est importante, jusqu’au centre même de la ville de Lille qui a su conserver les catégories les plus populaires. Elle ajoute l’importance de l’évitement vers l’enseignement privé dans cette région, ce qui est un sujet de préoccupation des élus, de l’Education nationale et, en premier lieu, des enseignants.
L’équipe autour de Benoît Hamon est assez en phase avec ce que dit l’OZP, selon elle, et approuve l’idée de sanctuarisation car il faut du temps pour qu’une réforme puisse commencer à porter ses fruits et puisse être évaluée : la refondation a besoin de temps. Par ces temps de présidentielles, elle se méfie des analyses idéologiques autour de l’école, comme elle le constate chez d’autres candidats, et préfère les évaluations scientifiques une fois qu’il est possible de les mener.
Les premiers propos de Benoît Hamon sont nets sur ce besoin de temps. Pour produire de l’excellence, l’école n’a pas besoin de l’échec de certains : il n’y a pas compétition entre zones favorisées, REP et REP+ : chaque strate se bonifie au bénéfice des autres. Pas de fatalisme ici. L’excellence des uns peut et doit entraîner la réussite des autres.
Le bon fonctionnement des REP+, le cycle 3, la scolarisation précoce, le « Plus de maîtres que de classes », etc., toutes ces avancées ont besoin de temps. Le système scolaire s’améliore tout doucement et le nombre de sortants sans qualification diminue : c’est pour une accélération de cette tendance que ces différents dispositifs travaillent.
Pour Benoît Hamon, l’éducation prioritaire est positive et doit être consolidée. Quand on entend, dans cette campagne, parler de suppressions de postes dans la fonction publique, on se demande ce que deviendra l’éducation prioritaire !
Face au déclinisme ambiant, nous voyons, nous, les réussites. Nous connaissons les leviers pour la réussite et proposons donc l’acte 2 de l’éducation prioritaire : ajouter à l’acte 1 qui, justement, est centré sur la pédagogie, l’accompagnement des parents et des collectivités locales.
L’éducation prioritaire est un élément d’un ensemble pour lequel Benoît Hamon a tracé des voies : la scolarité précoce possible à 2 ans, l’obligation scolaire à 5 ans, le plafonnement à 25 élèves des effectifs pour le cycle 2 (et 20 en éducation prioritaire). Les enseignants ont besoin de conditions de travail leur permettant de travailler, aussi faudra-t-il poursuivre les créations de postes : 20 000 sont prévus. Il leur faut aussi avoir des offres de formation, ce qui nécessitera 15 000 postes nouveaux. Dans ce cadre, une garantie du droit à l’expérimentation sera assurée, ce qui est différent de l’autonomie des établissements prônée par la droite.
Charlotte Brun poursuit sur deux thèmes : le recrutement fléché pour certains postes et la mixité dans les territoires qui, dit-elle, ne se résume pas à une question de logements et qui doit faire participer l’enseignement privé.
Enfin, la représentante de Benoît Hamon parle des rythmes scolaires qui lui semblent profiter en premier lieu aux élèves de REP et REP+, et d’orientation professionnelle où le combat à mener contre l’autocensure sociale est immense.
L’éducation prioritaire est une rupture dans la conception ancienne de l’égalité républicaine : nous l’assumons, alors que Marine Le Pen la refuse, dénonçant toute forme de discrimination positive. Benoît Hamon soutient l’éducation prioritaire.
Paul VANNIER intervient ensuite et remercie l’OZP pour cette invitation.
Il commence par se positionner comme le représentant de « la France insoumise » dont il souhaite que les engagements généraux soient connus : le #30 des livrets de la France insoumise, dont il est l’un des auteurs, aborde le thème de l’école et de l’éducation. Il invite également les participants à lire la lettre aux enseignants de Jean-Luc Mélenchon.
Il annonce d’emblée que l’éducation prioritaire s’intègre parfaitement dans la politique générale du candidat qu’il soutient et présente 3 principes :
● Premier principe : la question scolaire est imbriquée dans la question sociale ; de même l’éducation prioritaire ne peut être séparée de la question scolaire en général : elle ne peut être isolée et mise en concurrence avec le reste de l’Education nationale. La question de la mixité sociale ne peut s’analyser de façon isolée du projet éducatif global.
● Second principe : se méfier de toute proposition magique, comme celle de Macron qui veut 12 élèves par classe en REP. Il s’agit d’un marketing politique qui oublie les possibilités réelles de mise en œuvre et, dans ce cas, la nécessité d’avoir un groupe classe suffisamment large pour être enrichissant. Bien entendu, il est nécessaire d’avoir des effectifs faibles mais pas irréalistes et démagogiques.
● Troisième principe : cesser de laisser l’éducation prioritaire aux mains de tous les libéraux qui y font des expérimentations variées, comme les ECLAIR créés par la droite, absente ce soir, avec ses recrutements locaux d’enseignants, idée reprise par Macron aujourd’hui. L’éducation prioritaire a servi de laboratoire, mais quel est l’intérêt pour les élèves et les personnels d’avoir été des cobayes pour les libéraux ? Et cela continue : comment Najat Vallaud Belkacem n’a-t-elle pas supprimé le dispositif « Teach for France » implanté dans l’académie de Créteil où des fonds privés commerciaux interviennent dans l’enseignement public ? On laisse faire un endoctrinement revendiqué par les intervenants eux-mêmes : il suffit d’aller voir leur site. De même, le réseau « Espérance banlieue »
Nous voulons donc renouer avec l’émancipation des hommes et des femmes, des citoyens et des citoyennes. Comment ? 3 axes programmatiques :
● Premier axe, « répondre aux besoins éducatifs ». Il y a 270 000 élèves qui sont entrés en plus dans le système scolaire depuis 2010. C’est bien pour la démographie mais il faut en tirer les conséquences. De plus, la pauvreté a considérablement augmenté en raison des politiques conduites par Nicolas Sarkozy et François Hollande depuis dix ans. Le chômage aussi. Résultat, il y a 1,2 millions d’élèves pauvres, selon un rapport de l’Inspection générale. Les inégalités ont cru, elles aussi : les réformes Chatel et Vallaud-Belkacem les ont accentuées, c’étaient donc des contre-réformes. L’austérité : les 80 000 postes supprimés par Sarkozy n’ont pas été recréés par Hollande : il en manque 20 000 ! La logique comptable a régné en continu depuis 10 ans.
Il y avait 1 082 collèges ZEP, il y en a 1 089 : bravo à François Rebsamen qui a réussi une si grande augmentation ! Il faut une concertation pour refaire une carte qui réponde aux besoins et qui intègre les lycées. Il faut aussi plus de lisibilité dans cette politique.
Les moyens, c’est bien le nombre d’élèves par classe : 20 à l’école et au collège et 25 dans les lycées.
● Le second axe est « partir de l’élève qui n’a que l’école pour apprendre ». Il faut tout lui apporter : savoir, culture et conditions matérielles.
- Pour le savoir, il faut revenir sur les réformes Châtel du lycée et Vallaud-Belkacem du collège qui ont supprimé des heures dans des disciplines enseignées. Nous voulons du soutien scolaire à tous les niveaux, un droit à la scolarité à 2 ans, une scolarité obligatoire de 3 à 18 ans et un allongement de la scolarité à 4 années de lycée pour les bac-pro.
- Pour la culture, il y a un enjeu décisif pour les élèves de l’éducation prioritaire. Nous voulons, pour tout le pays, créer des associations culturelles, sur le modèle des associations sportives, gérées par des enseignants. Dans le premier degré, nous abrogerons les décrets Peillon sur les rythmes scolaires et proposerons que tous les élèves accèdent à des enseignements de qualité comme dans la ville de Paris. Pour l’éducation prioritaire, nous voulons étendre le corps des professeurs d’éducation socioculturelle qui existe dans les lycées agricoles et y amener un dispositif qui existe hors Education nationale, les résidences d’artistes.
- Pour les conditions matérielles, nous proposons un plan de gratuité intégrale de l’école : fournitures mais aussi cantine scolaire, sorties scolaires, transports. Il faut rénover les locaux scolaires et allonger l’amplitude des horaires des CDI, renforcer la vie scolaire avec la création de postes de CPE et d’AED.
A ce propos, Paul Vannier observe que les événements du lycée Suger à Saint-Denis auraient été évités si on avait écouté les enseignants qui, justement, avaient fait une grève en septembre pour alerter l’administration de la situation locale.
● Troisième axe : soutenir les enseignants, pas seulement par les indemnités, avec des plans de formation spéciaux pour ceux de REP où interviendraient les mouvements pédagogiques. Ces derniers doivent avoir de véritables moyens. Enfin, il faut que le temps libéré dans les REP+ soit autogéré par les équipes éducatives.
Bariza KHIARI remercie l’OZP pour l’invitation et déclare d’emblée qu’elle n’est pas spécialiste des questions d’éducation mais qu’elle présentera les idées générales d’Emmanuel Macron dans ce domaine.
Elle estime que dans tous les programmes politiques se trouvent de bonnes choses : elle se situe donc dans la bienveillance et ne critiquera pas les autres candidats.
La priorité affirmée par le candidat qu’elle soutient et son mouvement « En marche » est le retour aux fondamentaux en maternelle et en primaire. Les enseignants qui travaillent à la réussite de leurs élèves doivent être assurés de la confiance à leur égard. Le système éducatif n’est pas isolé dans la nation et les associations de parents d’élèves doivent être soutenues.
Les écoles, collèges et lycées doivent s’organiser autour de trois grands principes : bienveillance, liberté et responsabilité.
Les objectifs se déclinent d’abord par le développement des crèches car elles sont un instrument de lutte contre les inégalités. Puis par l’insistance sur le lire-écrire-compter en maternelle et en primaire. Enfin, les dispositifs d’orientation au collège et en lycée qui seront améliorés.
D’une façon générale, la sénatrice de Paris insiste sur l’apprentissage du français, à tous les niveaux à partir de la crèche, reprenant la formule « donner des mots pour le dire » car ceux qui n’ont pas ces bases auront des difficultés scolaires. Etant d’origine étrangère, elle sait que ne posséder que 300 mots est handicapant. Elle note que les communes auront à dire publiquement sur quels critères elles attribuent les places de crèches : les subventions seront accordées au regard du poids des critères sociaux.
En ce qui concerne l’éducation prioritaire, Emmanuel Macron a annoncé qu’il visait des effectifs de 12 élèves par classe en REP et REP+. Ce chiffre de 12 n’est pas lancé au hasard, il s’appuie sur des recherches internationales. Cela entraînera la création de 12 000 postes, compris dans les 60 000 nouvellement créés. Dans le dispositif prioritaire, il y aura des bilans personnalisés annuels pour chaque élève, le développement des supports numériques et des stages de remises à niveau en fin d’été, avant la rentrée scolaire, assurés par des enseignants volontaires rémunérés. Les classes de CP seront impérativement dédoublées.
Il ne faut plus que le collège ait à combler les manques du primaire pour l’acquisition des fondamentaux. Demain, il faudra que les collèges et les lycées offrent des parcours scolaires beaucoup plus individualisés.
Nous proposerons à tous un accompagnement scolaire après la classe afin d’empêcher le développement d’une école à deux vitesses. Nous formerons, dans la durée du quinquennat, un million de jeunes sans qualification et le financerons par le plan d’investissement qui aura été dégagé.
Le débat qui suit porte sur quelques questions sur les expérimentations, le nombre d’élèves par classe, la scolarité obligatoire à 3 ans, les fondamentaux et l’enseignement artistique.
C’est une ancienne directrice de l’INRP qui s’étonne qu’on puisse regretter les expérimentations réalisées dans les ZEP puis dans les REP. Paul Vannier lui répond que c’est l’idéologie libérale et les valeurs de l’entreprenariat qu’il faut combattre, comme le fait Teach-of-France, la réussite d’un élève n’étant pas la réussite marchande.
La même personne assure, par ailleurs, que le nombre d’élèves par classe dépend beaucoup de l’âge des élèves et de la section précise dont on parle, alors qu’on n’entend que des généralisations. A cela Charlotte Brun répond que Benoît Hamon parle de 20 élèves en REP et non pas 12, sachant qu’il faudra aider certaines communes à la construction de nouvelles classes. Elle souligne aussi qu’Emmanuel Macron ne créant pas de postes dans l’Education nationale devra donc fermer de nombreux postes pour les transférer dans les REP à 12 élèves par classe.
Interrogée sur l’obligation scolaire à 3 ans, Charlotte Brun explique qu’il s’agit de viser les 5% d’enfants qui n’arrivent à l’école qu’à 6 ans car, justement, ce sont ceux qui ont le plus besoin d’école. De plus, ajoute-t-elle, c’est un message envers les parents pour montrer que la maternelle n’est pas une simple option de garde d’enfants mais une véritable école. Cela amène un participant à estimer que le coût de l’obligation à 3 ans est important et qu’il vaudrait mieux, à son avis, utiliser ces fonds pour la prolonger au-delà de 16 ans. Bariza Khiari, pour sa part, appuie l’effort porté sur la petite enfance.
Un débat se développe ensuite sur l’application des mesures gouvernementales, l’expérience montrant qu’au-delà des décisions, leur application se dilue souvent dans la hiérarchie intermédiaire pour diverses rasions dont la méconnaissance de ce qu’est l’éducation prioritaire. Bariza Khiari estime que l’autorité du ministre doit donc être renforcée.
Interpellés sur le budget de l’Education nationale, Charlotte Brun répond qu’il faudra l’augmenter et Paul Vannier explique qu’avec Jean-Luc Mélenchon la situation budgétaire de la France sera totalement modifiée et que des possibilités financières s’ouvriront. Ainsi, donne-t-il comme exemple, le GFEN, association pédagogique bien connue, aura 100 détachés alors qu’il n’en a qu’un seul à ce jour.
Un participant estime que les efforts de formation, tout à fait nécessaires, doivent d’abord s’appuyer sur les ressources internes et s’appuyer sur les chercheurs et les associations pédagogiques, qu’il faudra augmenter les postes, mais que personne ne pourra multiplier les créations de postes pour cette formation.
Des échanges ont lieu sur l’enseignement artistique : l’existence d’un corps spécialisé à Paris et à Lille est considéré par plusieurs comme une bonne formule.
Interrogée sur les fondamentaux, Bariza Khiari répond qu’il ne faut pas déformer ses déclarations, les fondamentaux étant pour elle une question de résultats et non de pédagogie : il faut faire en sorte que les fondamentaux soient acquis à l’entrée au collège et, pour cela, les voies pédagogiques doivent être variées et adaptées aux individus.
Bariza Khiari, interrogée ensuite sur les auteurs des documents sur l’éducation d’Emmanuel Macron, répond qu’il s’agit de hauts fonctionnaires souhaitant garder l’anonymat. Questionnée aussi sur les indemnités aux enseignants, elle précise que les 3 000 € prévus s’ajoutent bien aux indemnités existantes et ne remplacent pas celles-ci. Pour les ouvertures de postes, il s’agit de réorientations internes et de créations nouvelles.
Le président de l’OZP remercie les intervenants et leur demande de transmettre à leur candidat les positions de l’association.
Compte rendu rédigé par Alain Bourgarel
Voir aussi
L’OZP remercie l’association Rollerfootball d’avoir mis en ligne sur Youtube la vidéo de l’intervention d’introduction de Marc Douaire, président de l’OZP