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Mixité sociale et nomination d’enseignants inexpérimentés en EP (entretien du Café avec Marie Duru-Bellat)

2 mai

{}La deuxième fracture scolaire

On évoque beaucoup le manque de mixité sociale au sein des écoles et établissements scolaires en France. Son impact sur la performance scolaire des élèves les plus éloignés de la culture scolaire, en général de milieu populaire, n’est plus à prouver – malgré les discours de ceux qui prônent le contraire. Dans cet entretien, Marie Duru-Bellat, sociologue, met à jour une deuxième fracture scolaire, plus les professeur·es sont expérimenté·es moins ils et elles enseignent en éducation prioritaire. « Il serait bénéfique de mêler des enseignants débutants et expérimentés dans un même établissement », préconise la spécialiste. « Une forme de panachage des expériences ».

Marie Duru-Bellat : « Avec les nouvelles générations, ça devrait exploser »Des enseignants peu expérimentés majoritairement sur des postes difficiles. Un constat qui est toujours d’actualité ?

Dans Repères et références statistiques, publication annuelle du ministère de l’Éducation nationale, on peut lire qu’on compte un peu plus de 40% d’enseignants ayant douze ans ou plus d’ancienneté dans des collèges hors éducation prioritaire. Là où dans les Rep+, il y en a à peine 24%. L’écart est donc significatif. Dans les écoles, même si l’écart est un peu moins marqué, les chiffres vont dans le même sens. On compte 29% de professeurs des écoles ayant au moins 12 ans d’ancienneté hors éducation prioritaires contre 20% en Rep+. C’est un phénomène avéré au niveau national.

Malgré les différentes politiques mises en œuvre pour fidéliser les enseignants et enseignantes les plus expérimentées ?

Primes, bonus de points d’ancienneté… ne suffisent pas, en effet, à stabiliser les enseignants sur les postes considérés comme difficiles, du fait d’un public populaire. Pour autant, sans ces politiques, la situation serait peut-être plus inquiétante. Les chiffres sur la mobilité des enseignants et enseignantes montrent que plus de la moitié des personnels participant au mouvement vient de trois académies : Créteil, Versailles et Amiens.

Est-ce une spécificité française ?

Les données de l’OCDE montrent que si cette tendance est générale, elle est plus marquée en France, ce qui ne m’étonne pas. C’est à mettre en lien avec le niveau de la ségrégation sociale des publics d’élèves qui est plus accentuée en France que chez nos voisins. Plusieurs chercheurs estiment que cette ségrégation, cette concentration d’élèves en grande difficulté dans certains territoires explique pour une part le pourcentage important et stable d’élèves faibles que révèlent les enquêtes internationales comme PISA.

Si on compare la situation française à celle des États-Unis, où il existe de vrais ghettos, et où l’éducation est vraiment organisée comme un marché, on se rend compte que les chiffres sur la ségrégation sont pour autant assez équivalents. En France, nous sommes face à une double fracture scolaire, celle du public accueilli dans les établissements et celle des enseignants qui y exercent.

Quelles conséquences sur les apprentissages des élèves ?

Si la recherche en éducation n’explique pas entièrement l’effet maître, différents travaux – tels que ceux de Bressoux – montrent que les élèves, quel que soit leur niveau, progressent plus ou moins en fonction de l’enseignant. Un des facteurs explicatifs de ces différences est l’ancienneté. Ce qui est vrai dans tous les métiers, ce n’est donc pas vraiment étonnant. L’ancienneté, et donc l’expérience, bien plus que la formation, est un facteur d’efficacité.

En mettant des enseignantes et enseignants moins expérimentés, a priori moins efficaces, avec les publics les plus en difficulté, on met à mal leurs chances de réussite.

Prenons l’exemple de la gestion du temps. L’OCDE, et plusieurs travaux dont ceux de l’IREDU (Institut de recherche sur l’éducation), ont démontré que les professeurs gèrent très différemment leur gestion du temps. En particulier, le temps passé à rétablir un climat propice aux apprentissages est plus important lorsque l’enseignant a peu d’ancienneté. Sandrine Garcia a même montré que dans certains territoires difficiles, les enseignants et enseignantes allongent les temps de récréation. Sans juger ce constat, il révèle la difficulté à enseigner. « Ces temps perdus » sont des temps d’apprentissage en moins pour les élèves qui en ont le plus besoin. Car plus les élèves sont faibles, plus le temps et la qualité de l’action pédagogique vont compter. Les enseignants le savent bien.

Quelles préconisations pour inverser cette tendance ?

L’OCDE prône l’autonomie des établissements, avec des enseignants recrutés par les établissements. C’est une piste évoquée en France mais qui aurait du mal à passer.

Il existe, néanmoins, quelques pistes que nous pourrions explorer. Selon les travaux d’ économistes de l’éducation américain, il serait bénéfique de mêler des enseignants débutants et expérimentés dans un même établissement. Une forme de panachage des expériences. Cela pourrait être l’histoire de quelques années pour les plus expérimentés, qui pourraient ensuite avoir accès à des publics plus faciles s’ils le souhaitent.

On chercherait donc à « mixer » les enseignants comme on essaie de mixer les publics. Dans les enquêtes, Talis notamment, les professeurs se plaignent qu’enseigner soit une activité solitaire. Mélanger les plus expérimentés et les moins expérimentés irait de pair avec les politiques, pas très efficaces jusqu’alors, visant plus de mixité scolaire.

Car si des professeurs fuient certains établissements, c’est parce que certains publics sont étiquetés à problèmes. Si tous les collèges avaient un public comparable, il n’y aurait plus de sujet. Plus de mixité sociale du côté des publics permettrait donc d’assurer aux élèves, dans tous les établissements, des enseignants comparables, dans leur profil, ce qui serait une source et d’efficacité et d’équité.

Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda

Extrait de cafepedagogique.net du 30.04.24

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