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"Les enseignements du confinement selon la DEPP" (le blog de Marc Bablet)

25 juillet 2020

Les enseignements du confinement selon la DEPP
LE BLOG DE MARC BABLET

Il est très significatif de voir comment la note d’information de la DEPP sur les premiers enseignements de la crise met l’accent sur les satisfactions des uns et des autres. Heureusement, cet organisme ministériel publie dans le même temps un dossier qui donne accès au détail des réponses de plusieurs enquêtes. Il permet de construire d’autres images de la même réalité.

Une note d’information optimiste saisie par les infographies à la manière des communicants.

On peut d’abord discuter le titre de cette note qui sent bon l’optimisme de rigueur. Il est vrai qu’il s’agit peut-être de contre carrer le "prof bashing" qui a eu droit de cité dans la presse pendant quelques temps : « Crise sanitaire de 2020 et continuité pédagogique : les élèves ont appris de manière satisfaisante ». Ce serait une bonne intention mais est ce que la bonne intention suffit à bien informer les citoyens ?

Ce que le titre ne dit pas, c’est que la note ne dit rien des réels apprentissages des élèves tels qu’ils seraient accessibles par des évaluations avant et après (même si la DEPP met par ailleurs cette perspective en projet pour la rentrée). Ce dont elle parle c’est des opinions des parents, des élèves et des enseignants à cet égard. On sait bien qu’il y a un écart normal entre ce que l’on perçoit d’une réalité et ce qu’est cette réalité, ne serait-ce que parce que l’on est partie prenante. On peut par ailleurs penser que les enseignants connaissent bien leurs élèves et les parents leurs enfants et se dire qu’il y a une part de vérité indiscutable dans ce regard. On devrait toutefois être averti des risques que cela fait courir à l’interprétation des données qu’il s’agit de manier avec la plus grande précaution.

Au lieu de commencer par un tel appel à la prudence, la note commence par une « infographie » qui est censée résumer l’essentiel. Elle est établie à la manière dont est conçu désormais le site du ministère qui gomme systématiquement ce qui serait « secondaire » alors que l’on sait bien que ce n’est pas ce qui est le plus partagé, le plus consensuel, qui est le plus informatif sur l’état de la pensée à un moment T car celle-ci est dans le public toujours traversée de points de vue variés. En outre, cela donne une image tronquée d’une réalité complexe. C’est volontaire n’en doutons pas.

Cette manière orientée de présenter l’information en gommant l’origine du propos, en ne mettant l’accent que sur le positif et en gommant partiellement la diversité des points de vue est donc discutable. La DEPP nous a habitué au travail sérieux de la statistique publique dont elle respecte effectivement le cadre. On peut trouver un rappel détaillé de ce cadre qui favorise l’indépendance de la dite statistique publique sur le site de l’ INSEE.

Il me semble qu’il faut néanmoins désormais faire très attention à ce type de note d’information qui, du fait de sa présentation, me semble détournée de sa visée informative et marquée par la pensée ministérielle, c’est-à-dire par une pensée politique. Pour pouvoir bénéficier de la qualité du travail sous-jacent, il faut se donner pour principe plus systématique qu’avant d’aller à la source des données, auxquelles les démocraties européennes sont tenues de donner accès. Ainsi peut-on traiter différemment les résultats disponibles et en donner des lectures écartées de la pensée du pouvoir. Il faut toutefois se rappeler aussi la leçon de Bourdieu qui nous rappelle que les enquêtes fabriquent l’opinion plus qu’elles n’en rendent compte comme le rappelle un autre blogueur de mediapart.

Dans ce qui suit, on utilisera tout de même les informations proposées pour en donner une autre image que celle qui consiste à donner ce qui paraît faire consensus. C’est déjà une manière d’en relativiser la portée.

Un dossier très complet que l’on peut exploiter en vue d’en tirer d’autres informations

Dans l’introduction au dossier la DEPP rappelle le cadre de production qui garantit la solidité de l’information : L’appartenance de la DEPP au réseau de la statistique publique, son expertise dans le domaine de l’éducation et sa place au sein du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports, permettent d’assurer la qualité statistique de ce bilan et son adaptation à la réalité scolaire.

On va donc regarder ces données du point de vue de trois préoccupations assez largement partagées par ceux qui sont soucieux d’une école pour tous :
le pilotage du système
le décrochage des élèves
la situation du privé, de l’éducation prioritaire, du lycée professionnel et les inégalités

Le pilotage du système éducatif pendant la période du confinement

Si l’on avait besoin de confirmer que les outils mis à disposition par le ministère ne furent pas à la hauteur des besoins des enseignants et que ceux-ci se sont appuyés sur leurs propres ressources, c’est chose faite dans ce dossier page 25 où les enseignants tant du premier que du second degré disent massivement avoir en priorité utilisé des ressources propres ou celles de collègues (respectivement 93% et 88%). Les ressources institutionnelles viennent loin derrière et l’opération du CNED dont le ministre fit le fer de lance de sa communication ne recueille que 17% d’usage déclaré dans le premier degré et 26% dans le second. En outre la « ronflante » opération « nation apprenante » ne recueille que 13% et 6%. Ceci est confirmé à la page suivante par les collégiens qui n’ont pas entendu parler de la plateforme du CNED ou ne l’ont jamais ou presque jamais utilisée à 76%.

C’est surtout la partie 6 du dossier qui permet de se faire une idée des problèmes du pilotage du système dans la période.

Il apparaît tout d’abord (pages 35-36) un décalage entre les enseignants et les corps d’inspection en ce qui concerne l’objectif prioritaire de l’activité professionnelle. Tandis que les enseignants, les directeurs d’école et les personnels de direction mettent au premier plan le maintien du lien d’apprentissage, les corps d’inspection sont moins centrés sur ce point et donnent plus d’importance à la consolidation des apprentissages et au contact avec les décrocheurs. Les inspecteurs sont plus proches du discours ministériel. Ceux qui furent sans nuance sur cette position se coupent au moins partiellement de la base.

Quant aux directives reçues (page 38), elles sont jugées opérationnelles entre 61% et 77% selon les professions. Il est intéressant de voir que directeurs d’école et personnels de direction que l’on oppose souvent du fait de statuts différents mais qui sont dans des fonctions de fait comparables, ont des opinions le plus souvent partagées et sont les plus sévères au point de n’être que 49% à trouver ces directives « précises » et 55% à leur trouver une utilité pour informer sur les bonnes pratiques en matière de numérique.

Le plus préoccupant vient ensuite sur l’aide reçue par les personnels enseignants tant du premier que du second degré (page 39). S’ils ont eu le sentiment d’être aidés par les collègues ou leur encadrement de proximité, ils restent peu soutenus par les corps d’inspection (25% dans le premier degré et 29% dans le second). De la même manière s’agissant de participation à des réunions avec les inspecteurs, plus de 70% n’en ont jamais eu (page 40). S’agissant de l’accueil d’enfants de personnels indispensables à la gestion de la crise seulement 53% des directeurs et 60% des personnels de direction disent avoir disposé de moyens matériels leur permettant de le réaliser (page 42). Quasiment tout le monde (95%) déplore le manque de matériel de protection (page 43).

S’agissant du soutien obtenu de sa hiérarchie seulement 54% des personnels du premier degré en font état. Il faut dire qu’ils évoquent sans aucun doute les IEN et non les directeurs qui ne sont pas considérés comme faisant partie de la hiérarchie. Dans le second degré les enseignants parlent en revanche avec ce mot des personnels de direction qui les ont soutenus à 72%. Ceci est cohérent avec ce qui est dit plus haut. Ce sont bien les directeurs et personnels de direction qui ont soutenu les enseignants et bien peu les corps d’inspection dont on peut supposer qu’ils étaient tétanisés par l’absence de consignes claires quant à ce qu’ils avaient à faire. L’absence des services académiques du numérique est notée dans deux graphiques page 39. Il est dommage que nous n’ayons pas de moyen d’approcher les rôles joués par les recteurs et les inspecteurs d’académie.

Le résultat de ce pilotage, dont on peut dire qu’il fut calamiteux au niveau ministériel même si l’enquête n’a pas posé directement la question, est que tant les enseignants du premier degré (72%) que les directeurs d’école (83%) et les inspecteurs (79%) se sont sentis stressés par le travail dans la période (page 45). Tandis que dans le second tous se sont sentis stressés par leur travail à approximativement 64%.

Le décrochage des élèves approché par ces enquêtes n’est pas ce qu’en a dit le ministre

Une première approche est intéressante avec l’opinion des directeurs, personnels de direction et CPE concernant la facilité de la communication avec les élèves (page 9). 84 % des directeurs d’école, 78% des CPE et 90% des personnels de direction estiment la communication avec les élèves assez ou très satisfaisante pendant la mise en œuvre du dispositif de continuité pédagogique, entre mars et mai 2020. En ne nous donnant pas la différence entre assez et très satisfaisante on nous prive d’une information qui serait intéressante. Dans tous les cas, on voit que le problème de communication existe pour 10% ou plus des personnels interrogés.

C’est ensuite page 12 que l’on trouve l’estimation de la part d’élève n’ayant pu être suivis : 6% dans le premier degré public mais 10% en éducation prioritaire. 10% dans le second degré mais 19% en éducation prioritaire et 18% en lycée professionnel. Quel que soit le nombre retenu c’est toujours plus que ce que le ministre a déclaré avec les 4% dont il a parlé.

Page 13, on nous précise certaines caractéristiques des collégiens concernés par cette absence de suivi évaluée par les CPE : le plus souvent ce sont des élèves en difficulté scolaire peu motivés et déjà décrocheurs. Ceci confirme ce que nous avons déjà dit : le confinement ne fait que renforcer ce qui est déjà là, c’est un miroir grossissant des faiblesses du système.

Ce n’est pas le moindre paradoxe que 99% des collégiens et lycéens qui répondent au questionnaire déclarent avoir fourni du travail scolaire depuis la fermeture de leur établissement (page 17). On peut en conséquence se demander soit si les réponses sont sincères soit si les décrocheurs n’ont pas aussi décroché de l’enquête soit les deux. Ceci est d’autant plus préoccupant que, à une autre question, les mêmes déclarent à 10% ne pas avoir transmis de travaux scolaires (page 19). Cela amène à regarder les réponses aux autres questions avec précaution. Quand le questionnaire tente de rentrer dans le détail, les élèves de ces niveaux indiquent avoir très souvent ou souvent des difficultés de motivation (37%) de connexion (25%), d’organisation de leur temps de travail (19%), de travail en autonomie (15%). Quand on interroge les parents qui répondent au questionnaire (il y a là aussi un biais social significatif, on y reviendra), ils sont 92% à dire que leurs enfants ont fait ce que demandaient les professeurs, ce qui laisse entendre qu’au moins 8% ne l’ont pas fait. Les parents confirment (page 23) que dans 29% des cas il y eut des difficultés de connexion. Ils confirment également la hiérarchie des difficultés rencontrées par leurs enfants : motivation (32%), connexion (24%), organisation du travail (22%) page 31.

Sur ce point du décrochage, il faut dire qu’il était sans doute difficile à la DEPP de pouvoir différencier les périodes du confinement car chacun a pu sur le terrain percevoir que les chiffres donnés par cette enquête concernent davantage la période avant les congés de printemps que la période après les congés de printemps où le décrochage fut beaucoup plus important.

Il est clair que l’école du confinement n’est pas favorable aux élèves les plus fragiles et qu’elle a accru le décrochage et le sentiment de manque de motivation. L’école en présentiel et la relation entre le professeur et l’élève ont cette vertu d’éviter les bugs de connexion, de favoriser la motivation et l’organisation du travail dès lors qu’on y prend garde. On voit bien qu’on est loin de l’optimisme de rigueur au ministère qui veut vendre toujours plus de numérique, de distanciel...

La situation du privé, de l’éducation prioritaire et du lycée professionnel montre une fois de plus le poids des inégalités.

Une première difficulté que l’on rencontre lorsque l’on parle de l’éducation prioritaire ou du lycée professionnel, c’est que les familles, le plus souvent de milieux populaires ne sont pas souvent enclines à répondre à des questionnaires. Aussi, quelle que soit la bonne volonté des statisticiens, ces familles sont sous représentées et celles de l’éducation prioritaire ou de lycée professionnel qui répondent sont le plus souvent les moins en difficulté des familles concernées. Cela introduit un biais pour l’interprétation des opinions des parents qu’il faudrait systématiquement rappeler. On avait déjà eu l’occasion de le dire pour une enquête de la cour des comptes sur l’éducation prioritaire.

On peut, à cet égard, regretter que dans les enquêtes qui donnent lieu à ce dossier, les situations sociales des parents n’aient pu être prises en compte. De la même manière on peut regretter que la distinction privé, public hors éducation prioritaire, public éducation prioritaire ne soit pas plus souvent mobilisée car elle recouvre largement les clivages sociaux de notre société et est très informative sur les inégalités à l’œuvre.

Disons le nettement la première page de la note d’information avec son infographie est très orientée quand on la compare aux données proposées dans le corps du document plus complet car c’est dès la première question dont il est rendu compte (page 7) que l’on voit le poids des inégalités de situation sociale qui n’est pas mentionnée dans les constats importants : La fameuse « satisfaction vis-à-vis de l’apprentissage des élèves » est en fait sérieusement clivée socialement : Si 77 % des enseignants du premier degré estiment que les élèves de leur classe de référence ont appris de manière assez ou tout à fait satisfaisante pendant la mise en œuvre du dispositif de continuité pédagogique, entre mars et mai 2020, ceux de l’éducation prioritaire ne sont plus que 64%. Et les directeurs d’école sont plus nets que les enseignants avec respectivement 74% et 55%.

Dans le second degré la différence est encore plus marquée : 68 % des enseignants du second degré estiment que les élèves de leur classe de référence ont appris de manière assez ou tout à fait satisfaisante mais c’est 85% dans le privé et seulement 49% en éducation prioritaire et 58% en lycée professionnel (page 8).

On trouve de la même manière (page 12), les différences de niveau de suivi des élèves. Si en moyenne dans le second degré les enseignants estiment à 10 % la part d’élèves, dans leur classe de référence, n’ayant pas pu être suivis, ils sont seulement 4% dans le privé et en revanche 19% dans le public en éducation prioritaire et 18% en lycée professionnel.

Il est malheureusement clair que c’est en lycée professionnel que le temps de travail fut le plus limité (page 30). Si seulement 3 % de parents de lycées généraux et technologiques estiment que leur enfant a consacré moins de 30 minutes par jour aux activités scolaires pendant la période de confinement, ce sont 7% de parents de lycée professionnel. Si l’on regroupe les tranches de moins de 30 minutes à moins de deux heures, ce sont 32% des lycéens généraux et technologiques et 55% des lycéens professionnels.

Il est bien clair que les enfants des milieux populaires sont ceux qui ont le plus besoin de l’école pour mener à bien les apprentissages scolaires. De ceci le ministre ne tire pas de conséquences sérieuses puisqu’il se donne pour principal objectif de développer l’appel au numérique. Il ne fait, par ailleurs, que répéter ses dispositifs clés en main dont l’enquête nous montre les limites s’agissant du numérique. Mais d’autres rapports ont pu dire la même chose de « devoirs faits » ou d’autres dispositifs au nom bien établi pour communiquer au grand public mais pas bien conçus pour produire un effet significatif pour ceux qui en ont besoin.

Pour un pilotage éclairé du système éducatif

On a pu voir l’absence d’un pilotage maîtrisé du système éducatif pendant la période qui a précédé le confinement et pendant celui-ci, période où le ministère de l’éducation nationale a été sous tutelle de celui de la santé en ne publiant que des protocoles sanitaires aux innombrables pages sans réflexion de fond sur les questions pédagogiques de la continuité qui fut brandie comme un simple mot d’ordre.

La direction de la DEPP rappelle dans l’introduction du dossier : Fidèle à sa mission d’éclairage du débat public et d’aide au pilotage du système éducatif, la DEPP contribue et contribuera ainsi à une connaissance fine et objectivée de cette période particulière de l’histoire de notre système éducatif. Souhaitons que cette recherche d’objectivité permette, en effet, d’aller plus loin dans la connaissance de ce qui fut vécu dans cette période particulière.

Il faudra pour cela veiller à la parfaite indépendance des services de la statistique publique.

Quant au pilotage du système, il aura grand bénéfice à s’appuyer davantage sur des éléments objectivés que sur les discours sans fondements scientifiques de déclarations politiques très orientées comme on les a subies tout au long de la période avec bien sûr l’optimisme de rigueur et les fables de La Fontaine pour les CM2 comme Claude Lelièvre aime toujours à le rappeler ...

Extrait de mediaart.fr/marc-bablet du 24.07.20

 

Voir la sous-rubrique Devoirs à la maison, Enseignement à distance, Covid

 

Confinement scolaire : un bilan officiel plutôt positif sauf en éducation prioritaire
Sept enseignants sur dix et huit parents sur dix se disent globalement satisfaits, selon un sondage du ministère, contredisant d’autres enquêtes nettement plus critiques.

[...] Enseignant en éco-gestion et formateur académique Lille, Séphane Slama a critiqué sur les réseaux sociaux l’autosatisfecit émanant de cette étude ministérielle : « ces chiffres reposent sur du déclaratif. Les élèves mentent sur leur implication et les professeurs mentent sur l’assiduité de leurs élèves. » Si dans son lycée professionnel, 50% des élèves étaient impliqués au départ, seuls 5 % travaillaient encore à la fin du confinement, observe-t-il. C’est un autre phénomène sur lequel l’étude ne se penche pas : le décrochage progressif de nombreux élèves au fur et à mesure que le confinement se prolongeait.

Extrait de lefigaro.fr du 24.07.20

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