> VI- PÉDAGOGIE (Généralités, Disciplines, Actions locales) > DISCIPLINES (Généralités) > Langue écrite et Lettres (Généralités) > Langue écrite et Lettres (Positions) > Interviewée par "Fenêtre sur cours", Anne Armand analyse les difficultés (...)

Voir à gauche les mots-clés liés à cet article

Interviewée par "Fenêtre sur cours", Anne Armand analyse les difficultés langagières de l’élève de ZEP et le moyen de les atténuer

11 décembre 2012

"Fenêtres sur cours"  : l’hebdomadaire du SNUIPP revient sur son université d’automne

L’université d’automne du SNUIPP est "une de ces trop rares passerelles entre chercheurs specialistes et enseignants qui oeuvrent au jour le jour dans leur classe." rappelle l’édito du numéro de "Fenêtres sur cours" consacré à l’université d’automne du syndicat FSU des enseignants du 1er degré.

Pour rendre compte de l’ampleur, et de l’intérêt, des travaux consacrés à l’école primaire, le magazine consacre une double page à chacun des thèmes abordés par un chercheur, du handicap au plurilinguisme en passant par l’enseignement de l’histoire.

La maison du geste et de l’image à Paris propose aux enseignants d’inscrire leurs projets dans une démarche artistique. Elle peut par exemple fournir du matériel visuel sur le thème "le corps et la ville". Dans une interview, François Jolly, directeur adjoint de la MGI, parle des activités et des partenariats possibles avec les écoles d’Ile-de-France.

 Pour Anne Armand, IGEN, le langage spécifique de l’école peut être un frein à la réussite scolaire, notamment pour les enfants des ZEP. Professeur de français pour des élèves qui rencontrent des difficultés langagières, elle raconte comment elle leur fait faire un compte rendu de leur cours précédent et les aide à s’imprégner du vocabulaire de l’institution.

Lever les malentendus

Anne Armand reprend l’exemple de Stéphane Bonnéry, dans son livre « Comprendre
l’échec scolaire, élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques » (La Dispute, 2007) . Il s’agit d’une réflexion sur ces « malentendus » qui peuvent amener les élèves à renoncer progressivement aux apprentissages scolaires, mais en construisant des mécanismes de protection de leur estime d’eux-même qui les mettent progressivement en révolte contre une institution qui leur semble jouer double jeu.
La classe de Mohamed apprend avec le maître à colorier une carte de géographie pour différencier par des couleurs les différentes altitudes. Mohamed est sérieux, il s’applique. Le maître propose un exercice d’évaluation quelques jours plus tard, puis rend les devoirs. Mohamed a une mauvaise note, il est furieux. Stéphane Bonnéry le fait parler de ce devoir. Mohamed est persuadé que ceux qui ont eu une bonne note ont triché, ils avaient connaissance de la carte à colorier. Stéphane Bonnéry mesure peu à peu ce que Mohamed n’a pas compris dans le travail réalisé : il ne s’était pas demandé ce que serait l’exercice d’évaluation. Ou le maître n’a pas suffisamment « expliqué » ce qu’il attendait de l’évaluation... Et Mohamed, confronté à une nouvelle carte, n’a pas été capable de faire le travail demandé. D’où son idée que ceux qui ont réussi avaient connaissance du devoir, d’où sa vision d’une école injuste, d’où le risque au fil des mois, de construire la certitude qu’il ne réussira de toute façon pas à l’école puisqu’il ne fait pas partie des initiés.

« Le langage des opérations mentales de l’école pour tous ! »

Qu’est-ce que la langue de l’école ! ?
A. A. En juin 2010, présentant le bilan de la politique RAR, je faisais deux constats" : ! c’est par la réflexion sur la construction des apprentissages que nous répondrons ux diffcultés de compréhension des élèves. L’articulation entre premier et second degré n’est pas assez travaillée. L’école est le lieu où le langage sert à interroger un monde qui n’est pas là, où on utilise le langage de façon continuelle et essentielle comme vecteur de l’apprentissage, où le langage institue l’élève (à l’extérieur, il est un enfant, à l’école, il est un élève).

Pourquoi ce langage de l’école met-il les élèves de l’éducation prioritaire en
difficulté ?

A. A. À la maison, on ne leur explicite pas le sens global de l’école. Très souvent, le langage sert à désigner simplement le monde présent, à donner un ordre ou à contester cette injonction. Et les échanges peuvent s’arrêter là entre des parents et leurs enfants. Leur pose-t-on des questions pour leur faire dire les apprentissages comme « Qu’as-tu fait à l’école aujourd’hui ? Pourquoi as-tu eu telle note ? » À la maison, les mots servent à tisser un lien entre les différents moments du temps, entre les différents moments de l’école, entre les différents apprentissages. Alors l’élève qui est privé de ces interactions verbales avec son entourage est aussi celui qui parle uniquement aux copains de la Cité : ils connaissent les mêmes lieux, regardent les mêmes émissions, écoutent les mêmes chansons, vivent le même rejet de l’école.

Pouvez-vous donner un exemple d’un mot essentiel de l’école ?
A. A. Expliquer. Ce verbe, constant dans le langage de l’école, quel sens a-t-il ? Quand je demande d’expliquer ce qu’est une bissectrice, je demande de faire quoi ? De donner le sens du mot. De réciter exactement la définition mathématique, avec les mots de cette définition et non avec les miens. Quand je demande à un élève d’expliquer les raisons de son retard, je lui demande de faire quoi ? De trouver des causes … à ce qui n’en a peut-être pas.
Quand je lui demande d’expliquer
pourquoi il n’a pas fait son travail, je lui demande de faire quoi ? De retrouver le lien chronologique qui aurait dû exister entre le cours qui a eu lieu tel jour passé, le travail qui a été demandé à la suite de ce cours, l’organisation d’un temps de travail hors scolaire, avoir noté le travail à faire dans son agenda, avoir consulté son agenda. Quand je lui demande d’expliquer ce qu’il n’a pas compris dans la leçon, je lui demande de faire quoi ? De reprendre (de mémoire) le déroulement d’un cours (long, abstrait, varié) pour identifier un point particulier, nœud de la difficulté (c’est le
propre d’une compétence didactique et pédagogique, donc d’une compétence professionnelle de l’enseignant et non de l’élève). Il est important pour l’enseignant de réfléchir au sens précis du mot « expliquer » et d’avoir conscience à chaque fois de l’implicite de la question qu’il pose.

Quels dispositifs vous semblent opérationnels pour apprendre le langage de l’école ?
A. A. Les plus simples, comme cet "exemple" : Je suis professeur de français, j’accueille ma classe (une partie de ma classe, les élèves en difficulté langagière) qui sort du cours de SVT. C’est avec moi qu’ils vont rédiger le compte-rendu de l’observation faite en SVT. Or je n’y étais pas : voilà le plus beau dispositif, et le
moins coûteux ! Les élèves doivent me raconter, et donc d’abord organiser leur récit dans le bon ordre et réfléchir avec moi à ce que doit comporter le compte rendu.
C’est le cœur du métier d’enseignant, apprendre aux élèves comment fonctionnent les opérations de l’école et comment elles se disent dans les mots de l’école. Je peux pratiquer cet exercice de construction d’une connaissance dans un domaine que j’ignore parce que je n’ai pas peur de ne pas savoir, parce que je sais comment
savoir : demander le cahier, le livre, relire, refaire un exercice, comparer l’exercice fait en classe et celui à faire seul, demander une explication. Je dois le pratiquer avec l’élève pour qu’il apprenne lui-même à construire cette connaissance avec ses
mots (faire l’essai, questionner, demander de l’aide, reprendre, recopier) et avec les mots de la discipline. Les enseignants doivent être conscients qu’apprendre et faire apprendre, c’est créer du lien entre les différents cours, les mots de ces différents
cours, ceux du langage des opérations mentales de l’école. On peut penser qu’un élève qui a compris pourquoi on apprend à l’école, qui apprend à dire ses apprentissages avec les mots de l’école, aura les moyens d’y réussir.
Propos recueillis par Ginette Bret

 Le dossier "Maternelle" fait intervenir Viviane Bouysse, IGEN, sur les pratiques pédagogiques (voir ToutEduc ici) et d’autres chercheurs sur l’inné-acquis, le binôme enseignant-ATSEM et l’apprentissage des mathématiques.

Le n°375 de "Fenêtres sur cours" (88 pages)

Source Tout Educ : "Fenêtres sur cours" : l’hebdomadaire du SNUIPP revient sur son université d’automne

Répondre à cet article