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Conférence de François Dubet : Ecole et familles (Educavox)

14 octobre

François Dubet : Ecole et familles

C’est le thème de la conférence donnée par François Dubet* à l’invitation des Délégués Départementaux de l’Education Nationale au centre culturel du Passage d’Agen en Lot-et-Garonne. « L’école est chargée de trop d’ambitions pour ne pas décevoir » et plus explicitement : « Toute école remplit trois fonctions essentielles : distribution des compétences, intégration sociale et éducation ».

L’école répartit les élèves dans le marché des qualifications, elle doit être juste.

Elle intègre les enfants dans une culture commune, elle doit être une.

Elle participe de la formation de la personnalité des élèves, elle doit être compréhensive et diverse, dans la mesure où tous les élèves sont différents.

On comprend bien que tous ces objectifs ne sont que faiblement compatibles… »

« Si la guerre n’est pas ouverte entre l’école et les parents, règne parfois la paix armée à la frontière des compétences attendues des uns et des autres »

Ces quelques constats extraits des publications du sociologue vont être explicités et expliqués après avoir regretté en introduction la pauvreté du débat politique sur l’éducation, débat prisonnier d’idéologies et résumé par : « à droite il faut revenir à l’école d’avant, à gauche il faut continuer pareil mais avec plus de moyens ».

Pour mieux comprendre les enjeux actuels François Dubet fait l’histoire des évolutions de l’école et de son rapport à la société.

Le sanctuaire : entre Jules Ferry et les années 60
C’est l’école qui fait rêver mais le rêve se brise si l’on se rappelle que, dans cette école là, seul un quart des élèves va en 6ème les trois autres quarts vont présenter le certificat d’étude et un tiers d’entre eux ne l’obtient pas…

C’est le temps de la séparation entre école et familles : Le philosophe Alain théorise cette séparation : l’élève est être de raison, l’enfant être de passion. Ainsi, les parents s’occupent des enfants et l’école de l’instruction des élèves…et l’enfant reste à la porte de l’école.

La croyance paradoxale qui prévaut est que la soumission de l’enfant à la grande culture, la science et la raison… va le rendre libre et autonome. L’autorité du maître lui vient de la nation et de la République : respecte ce que je représente !!! Par ailleurs on est dans un univers de proximité puisque le maître a un rôle social dans la cité via l’éducation populaire, l’amicale laïque, le secrétariat de mairie…cela enchante quelque peu la relation école famille. Ce schéma ne vaut pas pour le lycée mais celui-ci ne scolarise alors que 10 à 15% d’une classe d’âge.

Dans ce contexte ce n’est pas l’école qui définit ce que l’on va faire dans la vie mais la classe et le genre : les garçons seront paysans ou ouvriers et les filles seront les femmes de ces derniers. Les bourgeois vont directement au « petit lycée » puis au lycée où ils côtoient seulement quelques exceptions à la règle, gamins particulièrement doués souvent poussés par leurs maîtres et boursiers…le monde est ainsi assez bien régulé.

Le tri scolaire : à partir des années 60
On vit là un changement de paradigme : le tri scolaire devient décisif…même si à la fin ce sont toujours les mêmes qui gagnent et les mêmes qui perdent mais tout le monde est censé jouer le match : c’est la massification de l’enseignement.

La conséquence est double : conscients de ce rôle nouveau de l’école, les parents s’intéressent de plus en plus aux résultats scolaires et l’enfant qui n’était pas à l’école y rentre dans le sillage des principes éducatifs de l’époque (cf Françoise Dolto) …et donc les parents y rentrent aussi. C’est bien évidemment un progrès mais une classe des années 70 n’a plus rien à voir avec une classe des années 60.

Au collège la mixité fait entrer l’adolescence et les hormones qui vont avec et c’est un changement considérable pour les enseignants qui n’est pas sans conséquences pédagogiques. C’était plus simple lorsque l’adolescence se déployait hors l’école.

Dans le même temps on assiste à un déclin culturel de l’école qui perd de fait son monopole : l’enfant a maintenant mille façons de s’informer et la culture scolaire est perçue comme de plus en plus scolaire. Un fossé se creuse entre deux cultures.

On assiste au triomphe de l’enfance et de la jeunesse, les parents suivent et l’école est envahie…mais l’école est aussi en train d’envahir les familles : toute l’éducation familiale vise la réussite scolaire et s’apparente carrément à du coatching. En effet avec la massification de l’enseignement, la concurrence s’est renforcée et les normes scolaires ont envahi la sphère familiale. L’école est devenue un monde cruel : un gamin a environ 115 notes dans l’année « le carnet scolaire devient un carnet judiciaire »…à l’arrivée ce sont encore les mêmes qui gagnent mais pour ceux qui perdent c’est de leur faute.

L’obsession générale est de ne pas faire partie des vaincus avec le risque de déclassement que cela comporte. Cela commence de plus en plus tôt : l’école maternelle devient la propédeutique du CP et le parcours scolaire s’est joué à trois ans. L’école attend des familles des comportements auxquels ne satisfont que les familles de classes moyenne diplômées de l’enseignement supérieur.

Cela a des conséquences sociétales : les perdants de ce système inégalitaire ont basculé du vote de gauche à celui d’extrême droite.

Cela a des conséquences sur le métier d’enseignant. Il ne dispose plus de l’autorité conférée par l’institution et doit fabriquer lui même sa propre autorité. Il est soumis à des contraintes contradictoires et, ayant intégré l’égalité des chances, il souffre de voir se creuser les inégalités.

On attend tout de l’école
« Comme ce n’est plus l’Eglise, c’est l’Ecole qui doit sauver le monde » et l’on attend tout de l’école d’où la pression des parents et la crispation des enseignants. L’école multiplie en vain les dispositifs pour résoudre les problèmes sociaux et ne peut plus s’appuyer sur les mouvements d’éducation populaire qui se sont effondrés : les enseignants se replient sur eux-mêmes.

Les parents attendent tout de l’école et l’école attend tout des parents. Le tout alors que le temps scolaire se réduit scandaleusement : un enfant de 2024 passe presque un an de moins à l’école qu’un enfant de 1960.

Le sentiment qui domine l’ensemble est celui d’être méprisé : les parents par l’école, les enseignants par l’institution scolaire. Qui plus est, dans une population de plus en plus diplômée, les diplômes de l’enseignant n’en imposent plus.

Les enjeux
La formation des maîtres : l’enseignement est un métier difficile, cela s’apprend. « Si les médecins et les pilotes étaient formés comme les enseignants on n’irait plus à l’hôpital et l’on ne prendrait plus l’avion »

L’affectation des enseignants : on ne peut pas fabriquer des établissements éducatifs en nommant les personnels par voie ministérielle sur un barème essentiellement lié à l’ancienneté.

L’école doit être ouverte à la société. Il est scandaleux que les établissements payés par les collectivités territoriales soient fermés le vendredi à 16heures et durant toutes les vacances …il n’y a pas que l’école qui puisse éduquer et les locaux doivent pouvoir accueillir d’autres acteurs éducatifs complémentaires de l’école.

Lutter contre le monopole scolaire de définition du mérite. L’école doit apporter une culture commune jusqu’à 16 ans, c’est entendu, mais il faut, ensuite, multiplier les offres de formation. C’est le moyen de sortir de la pression.

En conclusion
Une école dont on n’attendrait pas tout mais exigerait ce qu’on attend serait meilleure qu’une école dont on attend tout mais n’exige rien.

*François Dubet est professeur émérite de sociologie à l’université de Bordeaux et ancien directeur d’études à l’EHESS. Il est l’auteur de nombreuses publications dont Les places et les chances (2010), la préférence pour l’inégalité(2014), le temps des passions tristes (2019), Le Ghetto scolaire coécrit avec Najat Vallaud Belcacem.

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Extrait de educavox.fr du 06.10.24

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