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Question à T. PIKETTY et à ceux qui reprennent ses conclusions sans se poser de questions : Affecter 8000 postes de professeurs pour ramener de 22 à 17 le nombre d’élèves par classe dans les écoles de ZEP serait-il le meilleur usage que l’on pourrait faire d’une ressource aussi importante ?
« Le Monde » du 21.2.06 consacre deux pages à une seconde présentation des conclusions d’une étude, non encore publiée, de Thomas Piketty, préconisant une diminution de 5 élèves par classe dans les écoles élémentaires de ZEP. Dans ce travail de statisticien, un nombre manque : celui du nombre d’emplois supplémentaires qu’il faudrait affecter dans ces écoles, qu’on peut estimer grossièrement à 8000 (sans compter les écoles maternelles dont on dit par ailleurs que c’est là que les inégalités se fabriquent). Naturellement la question n’est pas posée du meilleur emploi possible d’une telle ressource.
Cette question n’a pas été posée, car elle oblige à se demander comment et à quelles conditions une diminution du nombre d’élèves par classe se traduit en amélioration des performances des élèves. Mais poser la question des pratiques pédagogiques efficaces n’est pas dans l’air du temps. Elle ouvrirait un débat difficile (mais peut-être fécond ?) qui diviserait les enseignants et leurs organisations. La fausse évidence de la diminution continue des effectifs par classe est plus facilement comprise de l’opinion publique.
Au moment où le Ministre se déchaîne contre le « pédagogisme », Thomas Piketty en rajoute : il ironise contre « les fins penseurs du social » ; et, pour le changement des pratiques, au lieu de l’accompagnement des enseignants, de la réflexion pédagogique et du travail en équipe, il imagine « des brigades d’inspecteurs d’académie qui viennent donner des instructions pédagogiques » !
Les réflexions des enseignants, des praticiens de terrain, comme les recherches en sciences de l’éducation sont récusées par une idéologie statisticienne, pour laquelle les chiffres parlent tout seuls.
La diminution importante du nombre d’élèves par classe depuis 30 ans ou les résultats décevants de l’expérience récente des Cours Préparatoires à 10 ou 12 élèves (sans qu’aucun effort de transformation des pratiques n’ait été mené) devraient pourtant interroger.
Quelle est la réalité de l’amélioration des performances que T.Piketty dit avoir constaté dans ses analyses ? (Les conclusions de l’étude ont été diffusées depuis longtemps et massivement et sont reçues comme des vérités scientifiques, mais l’étude n’étant pas encore publiée, il n’est pas possible de vérifier la solidité des extrapolations opérées à partir de corrélations entre variations d’effectifs et différences de performances aux évaluations nationales.)
L’amélioration des performances, en supposant quelle soit vérifiée, n’est pas massive du tout. T.Piketty écrit, graphique à l’appui, que ramener de 17 à 22 le nombre d’élèves par classe en ZEP diminuerait de 45% « l’inégalité des résultats » constatée aux évaluations nationales entre les performances moyennes des élèves de ZEP et celles de l’ensemble des élèves entrant en CE2. Le lecteur non statisticien comprend que l’échec scolaire reculerait massivement.
Il s’agit d’une illusion d’optique. L’écart actuel étant de 10 points sur 100, la diminution massive des effectifs par classe élèverait la moyenne des performances des élèves de ZEP de 4 points sur 100 (45% de 10%), ce qui ramènerait à 6 points sur 100 l’écart avec la moyenne de l’ensemble des élèves. Ce qui importe ce n’est pas la différence entre les moyennes des deux populations, mais l’écart entre les élèves en échec grave, ceux qui suivront difficilement au collège, et les autres.
Pour mieux comprendre le problème de l’échec scolaire et des inégalités, il faudrait publier le bon graphique, celui superposant les courbes de résultats des élèves en ZEP et hors ZEP qui montre la grande dispersion des résultats. En augmentant les résultats des ZEP de 4 points sur 100, on ne réduit pas massivement l’inégalité. Pour les 16 ou 17% d’élèves en échec grave l’objectif n’est pas de progresser de 4 points sur 100 mais de 15 à 20 points !
Voilà donc une « réforme » coûteuse pour un progrès bien mince !
Par contre, sur le terrain, on trouve, et ce ne sont pas des exceptions, des ZEP qui réussissent et qui parviennent à réduire massivement l’échec grave. Les déterminants de ces réussites ont été analysés en 1997 dans le rapport de Catherine Moisan et de Jacky Simon, il serait temps de s’en inspirer et de comprendre que si l’éducation prioritaire demande des moyens, ce n’est pas principalement pour diminuer le nombre d’élèves par classe, mais pour instituer un accompagnement dense des enseignants, leur donner du temps pour travailler en équipe, assurer un suivi individualisé des élèves etc.
L’OZP essaye de faire passer l’idée que la ressource rare ce sont "les équipes capables de réussir dans un contexte difficile". C’est parce les décisions récentes du Ministre annoncent l’instauration d’un véritable pilotage et amorcer une nouvelle politique de gestion des ressources humaines, qui ne sont possibles que dans un nombre limité de territoires, que l’OZP a approuvé la plupart de ces annonces. Que les 1000 postes créés puissent servir, à temps partiel, à l’accompagnement des enseignants et à la mise en œuvre d’innovations, est très positif.
Bien sûr un effort plus important (que ces 1000 postes et que les postes d’assistants pédagogiques) serait le bienvenu, mais que des statisticiens ne les destinent pas d’avance à la diminution des effectifs !
François-Régis Guillaume
membre du bureau de l’OZP