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Journée OZP 2022. Table ronde : travail collectif, formation, inter-degrés

9 décembre 2022

Journée nationale de l’Ozp du 19 novembre 2022

Compte-rendu de la table ronde « Réseaux, travail collectif, pratiques professionnelles : quelles évolutions ? »

Intervenants :
Sophie Fournier, IA-IPR académie de Versailles ;
Stéphane Kus, directeur d’école élémentaire à Saint Priest ;
Audrey Prévost, proviseure de lycée à Clichy-la-Garenne.
Animatrice : Michèle Coulon

de gauche à droite : Michèle Coulon, Stéphane Kus, Sophie Fournier, Audrey Prévost

Note : ce compte-rendu propose une synthèse des apports des trois intervenants sur chacun des thèmes abordés. L’enregistrement de cette journée ne permettant pas de reproduire avec un degré de fiabilité suffisant les interventions de la salle, celles-ci ne sont pas reproduites ici.

INTRODUCTION
Les orientations et mesures mises en place à partir de 2014 lors de la refondation de la politique d’éducation prioritaire ont cherché à encourager et à accompagner le développement professionnel des enseignants et des équipes par le travail collectif et la formation (temps libéré pour le travail collectif et la formation, PDMQC, référentiel, constitution d’un corpus de formateurs académiques éducation prioritaire (FAEP)...). Depuis 2017, d’autres orientations ont été prises en éducation prioritaire : le dispositif PDMQC a été remplacé par le dédoublement des classes de cycle 2 et, en EP comme hors EP, la formation a été fortement orientée par les plans maths et français. Par ailleurs, la faiblesse du pilotage national sur la politique EP (évaluation et réécriture des projets de réseaux délaissées, silence sur les FAEP, sur le suivi de la pondération, mise en place des CLA (contrat locaux d’accompagnement) au détriment de l’actualisation périodique de la carte de l’EP initialement prévue par la refondation, etc.)
La table ronde se donne pour objectif de croiser les regards des trois intervenants sur l’impact de ces évolutions concernant le travail collectif, la formation et le travail en réseau (l’inter-degré). Chacun-e des intervenants apportera des éléments d’analyse à partir de la place qui est la sienne, qu’il s’agisse du pilotage académique et départemental, du pilotage du réseau avec un focus sur l’établissement ou l’école...

 

I. LE TRAVAIL COLLECTIF, temps de concertation
Tout d’abord il faut rappeler qu’avec la refondation, pour la première fois, les enseignants ont été libérés d’une partie de leur temps devant élèves, en établissement, en école, pour disposer d’un temps de travail collectif et en réseau, pour pouvoir échanger sur les problématiques liées à l’exercice de leur métier, sur les questions pédagogiques ou éducatives, et construire des solutions communes. Les assises académiques et inter-académiques de 2013 avaient largement relayé cette demande des équipes. De plus, pour engager le travail, un cadre, le référentiel, a été proposé. Une grande satisfaction donc, mais dans le même temps, pour les différents acteurs, de nouvelles problématiques de travail et de gouvernance pour que ces temps collectifs donnent naissance à des collectifs de travail, ce qui est tout l’enjeu.

Des obstacles identifiés :
• Pour les enseignants, en particulier du second degré, une difficulté à se saisir de ces temps parfois difficiles à organiser dans les Emplois Du Temps (EDT) et, en inter-degré, un manque d’habitude de formalisation car les échanges et les réflexions collectives existaient mais le plus souvent de manière informelle et selon les affinités de chacun.
• La nécessité d’articuler, de relier, de traduire les questions pédagogiques transversales développées dans ces temps de travail ou de formation d’équipes dans l’enseignement des disciplines.
• Pour le premier degré, la difficulté parfois à sortir du format « animations pédagogiques ».
• Pour les pilotes, une réflexion nécessaire sur la gouvernance de ces temps : thèmes de travail à définir, place dans l’EDT, gestion des groupes, etc.
• Une circulaire qui est restée floue et donne libre cours à des interprétations sur la manière d’investir ces temps « libérés ».

Des éléments de contexte qui ont perturbé l’appropriation de ces temps :
• La mise en œuvre du travail collectif des enseignants a été percutée par celle de la réforme du collège qui a accaparé, du fait de son ampleur, les chefs d’établissement et les équipes. Très vite la réforme du collège a poussé les principaux à récupérer les heures de concertation pour la mettre en œuvre.
• De la même manière les plans maths et français ont, dans le premier degré, accaparé ces temps collectifs.
• La crise sanitaire a compliqué les choses : les réunions n’étaient plus possibles, il a été compliqué de véritablement fonctionner en visioconférence. Les équipes se sont épuisées et un repli sur la classe et la pratique de chacun a été observé. Il faut maintenant réintroduire la collaboration. L’inter-degré en particulier a été mis particulièrement à mal par la pandémie.
Les dispositions prises par la refondation pour favoriser le travail collectif n’étaient pas encore stabilisées quand elles ont été bousculées par ces éléments de contexte.

Ces temps nouveaux interrogent le pilotage. Des freins et des leviers sont identifiés par les intervenants de la table ronde :
• Il est facile pour un principal d’aménager l’emploi du temps mais l’animation de ces temps est une tâche plus difficile : ni rigidifier, en donnant trop de cadres et de consignes descendantes, ni laisser aller, sans véritablement programmer, piloter.
• Pour que cela fonctionne, un équilibre doit être trouvé dans le degré de cadrage, dans la manière de co-construire en fonction des besoins des équipes. Une analyse de besoins est indispensable, mais complexe à mener, pour transformer les besoins en "objets de travail" efficients… Sur ce point les FAEP ont été et restent très utiles.
• Une plage d’1heure 30 pour le travail d’équipe par semaine, c’est beaucoup, mais la mettre en place est compliqué pour les formateurs. C’est un format difficile à s’approprier mais on y parvient.
• Il est utile de penser la « pluri-annualité » de ces temps, c’est nécessaire pour créer une culture d’établissement (malgré le turnover qui peut être de 20 à 30% pour les titulaires, sans parler de celui des contractuels).
• En REP, pas de temps de concertation tels qu’en REP+ mais on peut avancer quand même à condition d’identifier des objets précis de travail liés aux difficultés centrales des élèves. Se pose la question de la formation des directeurs pour ce pilotage pédagogique, et plus largement de l’articulation avec le pilotage de l’école, du réseau, de la circonscription.
• Dans le premier degré, l’habitude du travail collectif était déjà bien installée. Le temps libéré remplacé est pour le directeur d’école parfois difficile à assumer car il doit s’occuper des remplaçants pendant les temps de concertation des titulaires, ce qui ne lui permet pas toujours d’y participer autant qu’il le souhaiterait.
• Les classes dédoublées ont fait grossir les équipes. Plus elles sont nombreuses, plus le travail d’équipe et sa régulation sont complexes. Les classes à effectifs réduits ont également créé des tensions : les enseignants chevronnés ont souvent basculé sur les CP / CE1 quand les plus jeunes prenaient en charge des classes de cycle 3 plus chargées. Cette situation crée un sentiment d’iniquité qu’il faut gérer. Il est nécessaire de trouver des leviers pour que tous les enseignants se sentent appartenir à une même équipe, avec une charge de travail équivalente. On peut s’inspirer de ce qu’avait permis le dispositif « Plus de maîtres que de classes » et utiliser de manière collective une partie des moyens humains accordée aux dédoublements. Mais les prescriptions transmises aux CP et CE1 ne vont pas dans ce sens ! C’est pourtant un élément qui sert la cohésion d’équipe…

Des leviers, des ressources :
 Quand on a pu éviter de se disperser, en se concentrant sur des objets de travail clairement identifiés, précis et suivis.
 Quand les équipes ont été associées à l’émergence des thèmes de travail.
 Quand les pilotes, en particulier les chefs d’établissement, ne se sont pas centrés sur l’organisation de ces temps collectifs mais bien sur la construction du sens à leur donner et plus généralement sur le sens de la réforme.
 En ne pensant pas ces temps « isolement » mais en les reliant aux instances existantes comme un système cohérent à construire.
 Quand les Faep (formateurs académiques éducation prioritaire) ont été sollicités pour accompagner.

Sont évoquées :
• Des ressources : très rapidement une réflexion a été menée par l’Ifé et le centre Alain Savary, des ressources ont été construites et les apports de la recherche mis à disposition… (Voir les travaux de Françoise Lantheaume, par exemple)
• De belles réussites : un réseau de la maternelle à la 3ème travaillant autour d’ateliers de haut niveau sur la compréhension, qui ont permis un travail sur les gestes professionnels des enseignants

Une question :
Les directeurs d’école, comme les chefs d’établissement sont-ils outillés, armés, dans leur formation pour ce pilotage pédagogique et cette posture d’accompagnement des équipes ?

 

II. LA FORMATION, où en est-on ?

Quelques remarques…
 Le temps court de la refondation de l’éducation prioritaire a fait apparaitre les difficultés auxquelles s’est heurtée sa mise en place (évoquées plus haut) mais le temps long montre l’influence de ses avancées sur l’ensemble du système éducatif.
 On voit en effet comment l’esprit de la refondation de l’éducation prioritaire concernant la manière de penser la formation a influencé les évolutions actuelles : dans la création des Ecoles Académiques Formation Continue (EAFC) avec le concept de parcours et la notion de collectif de travail qui peut en émerger, avec la meilleure prise en compte des besoins des enseignants. La formation s’inscrit ainsi dans la durée pour abandonner le « one shot »… Plus récemment, les plans math et français dans le premier degré ont été déclinés en tenant compte des travaux de recherche que l’EP avait diffusés.
 Dans l’académie de Versailles, le recteur avait créé 12 « territoires apprenants » sur le modèle des travaux de Luc Ria et sur des modalités de travail très inspirées de celles des réseaux. Les notions de « collectif de travail », d’« organisation apprenante », de « formation dans la durée », d’« accompagnement d’équipes », d’« inter-catégorialité » sont mieux intégrées. L’EP a accéléré cette évolution.
 Peut-être ne s’est-on pas suffisamment saisi de la notion de projet (ici entendu dans le sens de projet pédagogique réunissant quelques enseignants comme pouvaient en porter les EPI - enseignements pratiques interdisciplinaires - lors de la réforme du collège), qui avaient été « plus ou moins proscrits » au moment de la refondation. La pédagogie de projet avait en effet pu se traduire par un empilement d’actions pas toujours suffisamment en lien avec les apprentissages et la réussite des élèves… Peut-être aurait-on pu davantage s’appuyer sur cette habitude de travail pour faire en sorte que les équipes fonctionnent en « mode projet » mais en se focalisant davantage sur des objets plus délimités abordant des thématiques du référentiel... Une gymnastique que l’on a pas su mettre en pratique ?
 Les formateurs EP ont permis l’analyse des besoins précis, ont créé des identités d’établissement en s’appuyant sur les besoins locaux des équipes et en les traduisant en objets de travail, un atout dans la réussite des formations. Ce sont des facilitateurs et non des prescripteurs, en ingénierie de formation, en conseils donnés aux pilotes.
 Il n’est pas facile de garder une logique de formation « in situ » quand celle-ci est percutée par celle des PAF et PDF (plan académique de formation et plan départemental de formation) définis des mois à l’avance. L’EP a un modèle à défendre où la main est davantage laissée aux équipes pour définir ce sur quoi elles vont travailler.
 On a pu se saisir dans le premier degré du travail en constellations (1) pour, à partir des thèmes disciplinaires, décliner des thématiques de travail très en lien avec les besoins des élèves de l’EP et fonctionner en collectif, en reprenant le modèle des co-observations par exemple : favoriser l’observation de ce qui se passe en classe par les enseignants eux-mêmes, partir des situations réelles de travail, utiliser les conseils de cycle... Les formateurs sont indispensables et « prendre » ponctuellement la classe des collègues pour les libérer et leur permettre d’observer est une modalité porteuse. Cette organisation redonne également du pouvoir pédagogique d’agir aux directeurs.
 Dans le second degré, la dimension disciplinaire prend le dessus sur des questions pédagogiques transversales. Les temps de formation doivent articuler le pédagogique et le didactique et travailler le transfert de l’un à l’autre. Ce travail reste insuffisamment pris en compte et reste un point d’achoppement. Faut-il envisager des binômes de formateurs ? Par exemple, sur le travail personnel des élèves, il est nécessaire de traiter sa spécificité selon les différentes disciplines si on veut "accrocher" les enseignants et creuser les problématiques didactiques.
 La formation doit « marcher sur ses deux pieds » en prenant en compte deux dimensions : les obstacles rencontrés par les élèves pour apprendre et par les enseignants pour enseigner.

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III. L’INTER-DEGRE
 Le cycle 3 est un impensé. il faut comprendre pourquoi la continuité n’existe pas ou peu, malgré le cycle 3 qui enjambe école et collège. Il vient en effet percuter ces deux structures sans que leur aménagement ne soit vraiment pensé : on laisse cette tâche au local et sa mise en œuvre concrète est très variable selon les personnes en place et les possibilités du contexte.
 La continuité école /collège reste toujours un objectif à atteindre. Les ressources disponibles sont rares, comme par exemple sur la pertinence des objets de travail en ce domaine. La réflexion inter-degré doit être nourrie… (voir l’intéressant rapport de Marie Hélène Leloup IGEN et Pierre Lussiana IGAENR de juillet 2016 (2))
 La notion de réseau n’est pas suffisamment réfléchie dans une vision systémique, elle reste « à côté », sans véritablement être intégrée dans le fonctionnement ordinaire.
 Des collaborations personnelles, ponctuelles, locales ont pu être mises à mal par ce nouveau cadrage institué.
 La force de l’exemplarité des pilotes sur le travail collectif et en réseau est relevée quand IEN et chefs d’établissement travaillent en inter-degré, rendent ce fonctionnement visible et deviennent légitimes à l’incarner.
 Il est essentiel de garder la mémoire de l’histoire des réseaux, et plus encore en raison du turnover. Les pilotes sont de passage, un nouvel IEN, un nouveau chef d’établissement risquent d’engager des projets sans tenir suffisamment compte de l’antériorité, comme s’ils arrivaient sur une page blanche.

Remarque de l’OZP à ce propos :
• Le site de l’OZP sauvegarde la mémoire des réseaux avec plusieurs milliers d’articles de descriptions d’actions locales. Saisir dans la case "Rechercher" le nom d’une ville (sauf si c’est le siège d’un rectorat) permet de déboucher instantanément sur la liste chronologique, souvent longue, des actions innovantes qui y ont été menées.
• La fermeture récente du site national EP/Canopé entraîne la perte du contenu de plusieurs rubriques, par exemple la rubrique « Agir », organisée autour des items du référentiel, et la rubrique « Mutualiser », qui rendait compte d’un mode d’accompagnement d’équipes dans une collaboration originale entre la Dgesco/Canopé et les académies de Nancy Metz et Reims.
• L’OZP annonce que son site va prochainement mettre en ligne le contenu des toutes les rubriques du site national qui n’ont pas été récupérées par le nouveau site EP d’Eduscol.

En forme de conclusion :
« Il vaut mieux soutenir l’existant que de prescrire l’idéal".
Au-delà de la prescription du "travail collectif", comment soutenir et aménager les conditions de celui-ci ? (cf. l’intervention de Françoise Lantheaume lors de la formation "Le travail collectif en REP+" en octobre 2014 au centre Alain Savary

Notes
1) Constellations : une équipe organisée en constellations travaille avec un formateur pendant trente heures sur l’année, à partir d’un sujet descendant chaque équipe peut construire sa problématique adaptée à son public.
2) https://www.education.gouv.fr/expertise-sur-la-continuite-pedagogique-entre-l-ecole-et-le-college-3752

Compte rendu rédigé par Michèle Coulon

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