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Islam et école en France. une enquête de terrain, par Samia Langar, Préface de Benoît Falaize, Pul, 2 sept. 2021. Entretien du Café avec l’auteure.

3 septembre 2021

Additif du 14.09.21

Samia Langar : Islam et école en France
"Comment en sommes nous arrivés à mettre sur la même ligne un attentat terroriste et le comportement d’un enfant de 12 ans pendant une minute de silence ?" Samia Langar, , docteure en sciences de l’éducation et chargée d’enseignement et de recherche à l’université Lyon 2, consacre sa thèse à l’étude de la relation entre les jeunes musulmans français, leurs parents et l’institution scolaire. Avec un objectif : comprendre ce que veut dire le "retour à l’islam" d’une génération dont les parents demandaient une pleine citoyenneté française. Et une méthode : interroger les familles mais aussi les enseignants et chefs d’établissement dans la commune d’où était partie la Marche pour l’égalité : Vénissieux. Les entretiens avec les enseignants réévaluent la réalité de la contestation des disciplines et montrent des enseignants soucieux de la réussite des élèves mais conscients de la réalité des territoires où vivent ces jeunes et où sont implantés leurs établissements. Pour elle, ce retour est surtout un recours fruit d’un déni de reconnaissance par la société française. Relégués dans des écoles sans mixité sociale, ces jeunes se sentent ségrégués jusque dans leur orientation. Pour Samia Longar l’école peut beaucoup pour changer les choses en entrant dans une démarche de reconnaissance et de fabrique du commun. Alors que la parole raciste s’exprime de plus en plus librement dans les médias, cette réflexion est plus que jamais nécessaire.

Est-ce facile de travailler sur un sujet comme l’islam et l’école en plein débat politicien, entre attentats de 2015 et assassinat de S Paty ?

Si j’ai voulu travailler sur cette question en 2012 c’est parce que j’entendais parfois s’exprimer des revendications sur l’école, à tonalité culturelle ou religieuse. J’ai vu autour de moi monter une visibilité grandissante de l’islam avec par exemple davantage de femmes portant le foulard ou le hijab. Je voulais comprendre ce qui se passait. Pourquoi cette visibilité accrue de l’islam, et aussi pourquoi cette médiatisation et cette politisation.

Au moment de l’atroce assassinat de Samuel Paty, mon livre était terminé. Par contre j’étais en plein travail sur ma thèse en 2015. Ces attentats m’ont beaucoup découragée. Mais mon directeur de thèse m’a dit que ce travail sur islam et école était essentiel. Et cela m’a bien encouragée.

Je veux ajouter que sur le terrain je n’ai pas eu de difficultés ni avec les enseignants ni avec les familles. Pour moi il me semble important de sortir de la médiatisation négative et d’aller, sur le terrain, rencontrer et entendre celles et eux à qui ces choses arrivent.

Que sait on des attentes des jeunes musulmans et de leurs familles envers l’école ? Leur parcours scolaire répond il à ces attentes ?

Les attentes des familles envers l’école sont très grandes car elles pensent que c’est le seul ascenseur social possible. Surtout lors des entretiens les parents de ces jeunes évoquent tous leur propre orientation. Eux-mêmes se sont sentis relégués. Du coup ils sont très vigilants sur l’orientation de leurs enfants. Ils veulent qu’ils aient les mêmes chances que les autres jeunes et veulent leur éviter les “voies de garage” dans lesquelles eux-mêmes se sont trouvés. Pour les enseignants la question de l’orientation est d’abord liée à l’absence de mixité sociale dans les établissements. Il y a encore un travail immense à faire sur cette question.

Vous dites qu’il y a une contradiction entre une école émancipatrice et la réalité de la discrimination vécue. L’école finalement est discriminante ou émancipatrice ?

Sociologiquement, elle est les deux ou entre les deux. Tout dépend dans quelle école vous êtes. L’enquête TeO montre que les difficultés scolaires sont souvent en primaire. Après, à niveau social égal, les enfants issus de l’immigration réussissent comme les autres. Je crois que les enseignants eux-mêmes sont pris dans cette contradiction. En effet, la philosophie de l’école républicaine française est bien celle d’une émancipation par les savoirs, héritage des lumières. J’ ai constaté que bien des enseignants sont encore animés de cette ambition, mais qu’ils se heurtent au fonctionnement discriminatoire de la société et en partie de son école.

Vous avez longuement interrogé des chefs d’établissement et des enseignants de Vénissieux sur leurs élèves musulmans et leur parcours scolaire. Quelles différences voyez-vous entre ces deux groupes ?

Les enseignants et les chefs d’établissement rencontrés ont les mêmes problématiques. Ils ont conscience des mêmes difficultés sociales et familiales. Et ils se battent pour la réussite des élèves. Ensuite la question de la différence culturelle, de l’altérité, se pose en des termes différents selon les enseignants mais toujours en toute bonne foi.

Chez les enseignants je constate une réelle inquiétude devant les inégalités liées à la disparition de la mixité sociale dans les établissements, et à l’écart croissant entre le monde des élèves et celui de l’école. Ils ne sont pas dans le rejet mais bien dans l’inquiétude d’une absence de mixité sociale et d’un enfermement qui mine leur travail pédagogique.

Chez les parents c’est différent. Ils disent qu’on "ne veut pas d’eux", le "on" désignant la société française. Ils se sentent menacés comme français de confession musulmane. Et ils dénoncent la discrimination et un déni de reconnaissance.

Quelles différences voyez-vous chez les enseignants dans l’approche de ces élèves ? Par exemple comment font ils face aux contestations dans les disciplines ?

Dire qu’il n’y a pas ce genre de problèmes serait bien sûr inexact. Mais ils n’ont nullement l’ampleur qui leur est trop souvent prêtée. Il y a des enseignants qui disent qu’ils n’ont aucune contestation dans leur cours. Et d’autres qui disent que quand il y en a ça se règle par le dialogue. Par exemple une professeure de SVT me dit qu’elle a des arguments plus pertinents que les contestataires à propos du cours sur l’évolution. Du coup la contestation ne va jamais bien loin. Un autre professeur me dit qu’il a établi une relation de confiance avec les élèves et qu’il ne connait pas de contestation. Pour les enseignants que j’ai rencontrés cette contestation n’est pas le problème numéro 1. Le principal problème c’est la réussite des élèves, l’état du territoire où il exerce et leurs propres conditions d’exercice.

L’orientation semble le point noir des rapports entre ces jeunes et l’école. Comment y remédier ?

Pour les parents de ces jeunes c’est la question la plus importante. Les jeunes de leur côté tendent à développer une posture revendicative. Par exemple une élève qui n’a pas réussi à avoir une place en coiffure me dit que "de toute façon dès que tu es arabe tu te retrouves sur une voie de garage". Un autre élève me dit qu’il a été orienté en lycée professionnel parce qu’il était arabe. Les parents pensent par contre que les difficultés sont toujours existantes aujourd’hui, malgré tout de même quelques évolutions. Mais cette question de l’orientation revient régulièrement dans leurs entretiens.

Que peut-on faire ? Il faudrait dès le primaire permettre aux enfants de “s’autoriser”, les aider à formuler leurs aspirations et leur permettre de se projeter. Et la reconnaissance réciproque passe par là. Mais cette question concerne tous les milieux populaires. Pas uniquement les jeunes musulmans.

Sur la question du rapport entre l’islam et l’école le ministère s’appuie beaucoup sur le rapport Obin. Qu’en pensez vous ?

Ce rapport est en lui-même un problème, dès lors qu’il est aujourd’hui reçu comme la seule vérité. Au moins à l’époque de sa rédaction, il avait fait l’objet de discussion. On discutait sa méthodologie et sa scientificité, problématique.. Le rapport explique que ses auteurs ont été alarmés par les médias et l’opinion publique. C’est scientifiquement très discutable. Le plus inquiétant de ce rapport est qu’il repose sur une ethnicisation des questions abordées. C’est aussi un rapport très alarmiste avec des formules, qui laissent entendre qu’"on a laissé entrer l’islamisme dans l’école", qui ont malheureusement été très médiatisées. Sa conception de la laïcité n’est pas du tout inclusive. Un de ses apports, ou du moins de ses effets, c’est qu’il montre à quel point l’institution éducation nationale est comme aveugle à la problématique de la reconnaissance de ces jeunes. Si aujourd’hui le ministère s’en inspire on peut dire que cela ne va pas dans le sens de l’analyse complexe de la situation dont on a besoin pour redonner ses chances à ce que j’appelle le cercle vertueux de la reconnaissance réciproque.

La réponse à la question de l’islam et l’école c’est la pleine reconnaissance de ces élèves ?

Il faut bien comprendre que la reconnaissance de ces élèves dont je parle n’est pas la reconnaissance du des revendications religieuses et identitaires. Il faut revenir aux objectifs de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Elle demandait l’égalité et la reconnaissance réciproque qui donne corps à cette égalité. Mais la Marche n’a pas obtenu cette reconnaissance. Et aujourd’hui, avec la 4ème génération, on en est toujours au même point avec des français musulmans qui ne sont toujours pas considérés comme des français à part entière. Les revendications identitaires et religieuses sont en rupture avec les demandes de la Marche. Ce qu’il faut comprendre, c’est pourquoi on en est là aujourd’hui

Pour moi la théorie de la reconnaissance permet de comprendre la montée et la visibilité des revendications de l’islam. Pour ces jeunes l’islam est vécu comme une requalification parce qu’ils se sentent déqualifiés. Pour beaucoup, la requalification passe par le religieux. La reconnaissance réciproque ce serait considérer ces jeunes comme des citoyens à part entière dans la sphère sociale et sortir des représentations négatives, du racisme, et leur permettre ainsi de se sentir pleinement pris en compte dans leurs contributions à la société. La discrimination, pas forcément visible quand on n’est pas directement concerné, touche aussi bien l’emploi que le logement ou les loisirs. A coté de cette discrimination touchant les musulmans il y aussi une discrimination sociale qui est très forte. Certaines populations cumulent les deux.

Propos recueillis par François Jarraud

Samia Langar, Islam et école en France. Une enquête de terrain. Presses universitaires de Lyon. ISBN 9782729712600

 

Islam et école en France
Une enquête de terrain

Auteur : Samia Langar
Préface de Benoît Falaize

Presses universitaires de Lyon2, sept. 2021, 230 p.

Disponible au format numérique sur OpenEdition

Pourquoi et comment sommes-nous passés de la « Marche des Beurs » de 1983, revendiquant l’égalité et la pleine citoyenneté française, à un nouvel investissement de la religion musulmane qui, selon certains, frappe aux portes de l’école ? C’est ce processus complexe que Samia Langar analyse dans cet ouvrage.

Après un retour indispensable et sans concession sur le contexte historique qui a façonné cette « question de l’islam », la chercheuse donne la parole aux premiers intéressés : les personnels de l’Éducation nationale et les parents de culture musulmane. Ces enfants souvent montrés du doigt sont des élèves comme les autres et, à ce titre, enseignants comme parents pensent d’abord à leur réussite scolaire. Ces enfants sont aussi les habitants de territoires enclavés de la banlieue lyonnaise, devenus leur seul refuge. Ces enfants sont enfin des Français que l’on qualifie encore, après quatre générations nées en France, comme étant « issus de l’immigration ».

Les questions d’intégration, d’identité et de laïcité traversent les échanges, et laissent clairement transparaître un déficit de reconnaissance. Quant au retour à la religion, il apparaît davantage comme un recours face au sentiment d’exclusion, et son expression est avant tout celle d’une aspiration intérieure et non d’une revendication collective.

Samia Langar est docteure en sciences de l’éducation. Elle est chargée d’enseignement à l’Institut des sciences et des pratiques d’éducation et de formation à l’Université Lumière Lyon 2 et membre du laboratoire Éducation, Cultures, Politiques. Elle est l’auteure de plusieurs publications, notamment « L’islam en France : une problématique de la reconnaissance » (Nouvelles perspectives pour la reconnaissance : lectures et enquêtes, ENS Éditions, 2019).

Benoit Falaize est agrégé et docteur en histoire et chercheur-correspondant au Centre d’histoire de Sciences Po.

Extrait de presses.univ-lyon2.fr

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