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Journée OZP 2000. Quelle éducation prioritaire aujourd’hui et demain ? Table ronde

7 mai 2000

VEI enjeux hors-série n° 2 - décembre 2000

Actes des Journée nationales de l’OZP, 6 et 7 mai 2000

QUELLE EDUCATION PRIORITAIRE AUJOURD’HUI ET DEMAIN ?

Table ronde de clôture

 

Ont participé à la table ronde animée par Anne-Marie CHARTIER (INRP) :
 Gérard CHAUVEAU (CRESAS) ;
 Catherine MOISAN (Inspection générale) ;
 Jean-Yves ROCHEX (université Paris VIII).

Anne-Marie Chartier : « La politique des ZEP est aujourd’hui marquée par une grande continuité dans les questions, les problématiques ou les difficultés de terrain, mais en même temps par des évolutions fortes liées aux mutations sociales ainsi qu’à nos représentations.
Il y a seize ans, nous tenions à Gennevilliers un forum " école et quartier " et on pouvait alors mesurer ce qui était nouveau dans le lancement des ZEP : une réflexion sur le local, sur la relation de l’école et du petit territoire, sur la relation de l’école avec les parents, les villes et les élus. C’était une façon assez nouvelle de penser la scolarité.

« Les évolutions que connaît l’école s’alimentent à une double source :
 une réflexion de type institutionnelle, descendante. Elle est le fait d’une institution très jacobine que beaucoup de pays étrangers nous envient parce qu’elle a le mérite d’avoir un fonctionnement très clair par exemple sur les programmes ou sur les modalités de recrutement ;
 mais aussi une seconde source, plus déviante ou innovante, et qui provient de tous les mouvements pédagogiques. C’est elle qui a produit les ZEP avec leur autre mode d’articulation des apprentissages ou de la transmission des savoirs avec le territorial.

Nous devons gérer et reprendre continuellement cette tension. L’accueil des élèves exige une constante adaptation. Ici se croisent les gestions quotidiennes et les gestes ordinaires avec les phases d’innovation qui introduisent des transformations longues à s’inscrire dans la réalité, des transformations qui " prennent " ou qui échouent.
Ainsi évolue le système dans un sens parfois imprévu et qui nous impose de constituer une nouvelle culture pour intégrer en améliorant ou au moins en évitant que ce qui se transforme ne mette en cause ce qui nous apparaissait comme positif. Le système scolaire articule de façon complexe les injonctions qui descendent du ministère et les temporalités différentes qui se jouent au niveau local.

Notre table ronde se déroulera en deux temps.
 Dans le premier, nous resterons au plus près du terrain : les enfants, les classes, les enseignants, les établissements, les acteurs. Nous réfléchirons aux priorités à retenir pour orienter notre action.
 Dans le deuxième temps, nous changerons de niveau et nous nous interrogerons sur le pilotage du système : problèmes de territorialisation, d’évaluation, de mixité sociale, de choix politiques. »

 

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VEI enjeux hors-série n° 2 - décembre 2000
QUELLE ÉDUCATION PRIORITAIRE AUJOURD’HUI ET DEMAIN ?
Table ronde de clôture
Ont participé à la table ronde animée par Anne-Marie CHARTIER (INRP) :
 Gérard CHAUVEAU (CRESAS) ;
 Catherine MOISAN (Inspection générale) ;
 Jean-Yves ROCHEX (université Paris VIII).

Anne-Marie Chartier : « La politique des ZEP est aujourd’hui marquée par une grande continuité dans les questions, les problématiques ou les difficultés de terrain, mais en même temps par des évolutions fortes liées aux mutations sociales ainsi qu’à nos représentations. Il y a seize ans, nous tenions à Gennevilliers un forum " école et quartier " et on pouvait alors mesurer ce qui était nouveau dans le lancement des ZEP : une réflexion sur le local, sur la relation de l’école et du petit territoire, sur la relation de l’école avec les parents, les villes et les élus. C’était une façon assez nouvelle de penser la scolarité.

« Les évolutions que connaît l’école s’alimentent à une double source :
« - une réflexion de type institutionnelle, descendante. Elle est le fait d’une institution très jacobine que beaucoup de pays étrangers nous envient parce qu’elle a le mérite d’avoir un fonctionnement très clair par exemple sur les programmes ou sur les modalités de recrutement ;
« - mais aussi une seconde source, plus déviante ou innovante, et qui provient de tous les mouvements pédagogiques. C’est elle qui a produit les ZEP avec leur autre mode d’articulation des apprentissages ou de la transmission des savoirs avec le territorial.
« Nous devons gérer et reprendre continuellement cette tension. L’accueil des élèves exige une constante adaptation. Ici se croisent les gestions quotidiennes et les gestes ordinaires avec les phases d’innovation qui introduisent des transformations longues à s’inscrire dans la réalité, des transformations qui " prennent " ou qui échouent. Ainsi évolue le système dans un sens parfois imprévu et qui nous impose de constituer une nouvelle culture pour intégrer en améliorant ou au moins en évitant que ce qui se transforme ne mette en cause ce qui nous apparaissait comme positif. Le système scolaire articule de façon complexe les injonctions qui descendent du ministère et les temporalités différentes qui se jouent au niveau local.

« Notre table ronde se déroulera en deux temps.
« - Dans le premier, nous resterons au plus près du terrain : les enfants, les classes, les enseignants, les établissements, les acteurs. Nous réfléchirons aux priorités à retenir pour orienter notre action.
« - Dans le deuxième temps, nous changerons de niveau et nous nous interrogerons sur le pilotage du système : problèmes de territorialisation, d’évaluation, de mixité sociale, de choix politiques. »

Des priorités pour orienter l’action
Gérard Chauveau : « Les ZEP sont aujourd’hui marquées par une double hétérogénéité que nous devons prendre en compte :
« - la première est plus directement scolaire. Elle concerne la différence des niveaux à l’intérieur d’une même classe. Il faut cesser de parler de nos élèves uniquement comme d’un public difficile ou en difficulté, pour aussi prendre en compte les élèves qui réussissent et considérer au contraire la diversité à l’intérieur du groupe ;
« - la seconde hétérogénéité concerne les ressources pédagogiques au sein des ZEP, dans les personnels d’enseignement, les personnels d’encadrement ou encore le pilotage. On y constate de véritables disparités.
« La question de la mixité sociale, voire ethnique, est par ailleurs tout à fait urgente. Souvent l’école ne se contente pas en effet de refléter la ségrégation qui existe autour d’elle dans le quartier où elle est implantée ; elle l’aggrave en raison des phénomènes d’évitement de certains établissements scolaires. La situation de ces établissements risque ainsi d’être rendue encore plus critique que celle des quartiers dans lesquels ils sont installés. On se trouve parfois dans une situation de véritable apartheid social, aggravé par rapport à ce qui peut être constaté dans le quartier.
« Nous devons par ailleurs réfléchir à la signification que nous donnons au recentrage de notre effort en direction des apprentissages scolaires. Cette priorité ne doit pas coïncider avec un repli de l’école sur elle-même et avec l’abandon des relations avec les partenaires. Et cela ne signifie pas non plus le recentrage sur les disciplines traditionnelles de l’école.
« L’un des intérêts de la notion de zone ou de territoire c’est que les apprentissages peuvent être l’affaire de l’école mais aussi d’autres structures ou d’autres intervenants que ceux qui œuvrent à l’intérieur de l’école. Il s’agit de développer de véritables zones d’activité intellectuelle. Ainsi la mise en œuvre des nouvelles technologies ou des nouveaux moyens de communication peut être aussi prise en charge par des structures périscolaires. Le travail autour de la langue écrite doit être mené en priorité par l’école, mais cela peut être relayé par des structures ou des équipements extra-scolaires (bibliothèques, ateliers de lecture, clubs " coup de pouce ".).
« Le recentrage sur l’école n’est donc pas sa fermeture sur elle-même ni le repli sur les matières traditionnelles. C’est au contraire l’injection des activités intellectuelles dans l’école et autour de l’école. On doit développer des partenariats bien pensés et centrés sur les activités intellectuelles.
« Il est nécessaire de réfléchir sur le contenu que nous donnons à ces apprentissages scolaires et sur le sens que nous accordons aux activités intellectuelles : une classe peut en effet pratiquer des activités intellectuelles sans que les élèves soient véritablement actifs. L’exercice de la dictée peut être pensé de façon très différente : un exercice un peu mécanique qui ne nécessite guère de réflexion, ou au contraire un moment de recherche, une situation problème.
« Se recentrer sur les apprentissages des élèves, c’est donc se centrer sur la mise en activité intellectuelle des élèves, sur leur mobilisation, sur leur mise en situation de recherche et de réflexion. Travailler sur les savoirs, cela signifie travailler aussi sur les méthodes, sur les moments réflexifs, sur la découverte de son milieu de vie et plus généralement du monde. Et il convient aussi d’être attentif à la dimension du plaisir d’apprendre et du plaisir de comprendre. Cela fait partie intégrante d’une pratique pédagogique démocratique.
« Les différents établissement ou les différentes ZEP n’ont pas la même efficacité pédagogique : on constate dans ce domaine des différences considérables d’un endroit à l’autre, même si les publics visés offrent des caractéristiques très proches. Ces différences de résultats scolaires ne peuvent s’expliquer uniquement par des phénomènes extérieurs à l’école. Pédagogie et didactiques doivent être des soucis prioritaires dans les ZEP, aussi bien au niveau local qu’au niveau national.

« Les enseignants qui produisent de la réussite scolaire en milieu populaire présentent quatre types de compétences :
« - éthique : ils croient qu’ils peuvent réussir et que leurs élèves sont capables d’apprendre et de réussir.
« - Didactique : ils mettent en œuvre une pédagogie très structurée, à la fois très ouverte et très rigoureuse.
« - Institutionnelle : ils sont capables d’enseigner à un groupe de 20 ou 25 élèves et de gérer des petits groupes de travail.
« - Sociale : ils savent communiquer avec des milieux sociaux que nous rencontrons en ZEP, en particulier des personnes issues de l’émigration. »

Jean-Yves Rochex : « La question de la centration de l’ensemble des communautés scolaires et de leurs partenaires sur l’activité intellectuelle des élèves est aujourd’hui prioritaire.
« Il convient à ce propos d’évoquer la difficulté que nous rencontrons à conjuguer de l’ordinaire et de l’extraordinaire. Le développement d’une culture de projets doit s’accompagner d’une réflexion sur les effets en retour des actions à caractère exceptionnel sur l’ordinaire de l’activité de classe à la fois en termes de rapport au savoir et à l’apprentissage des élèves, mais aussi en termes de transformation ou d’enrichissement de l’activité pédagogique ou didactique des enseignants. On peut trouver par exemple juxtaposés des projets extraordinaires qui visent à du ludique et à de l’attractivité sans qu’il y ait nécessairement un contenu d’apprentissage, tandis que l’ordinaire de la classe apparaîtra comme répétitif voire ennuyeux. La première fonction du projet sera alors de rendre plus facile le quotidien.
« Cette question n’est pas assez identifiée et prise en considération comme objet de travail central.
« On assiste aujourd’hui à une grande mobilisation d’enseignants ou de responsables dans des dispositifs ou des actions qui apparaissent totalement déréalisés. Ainsi certains établissements affichent une accumulation d’actions qui mobilisent beaucoup d’énergies mais sans qu’il y ait véritablement analyse de la situation et hiérarchisation des difficultés et des priorités. On a le sentiment que certains enseignants trouvent ainsi le moyen d’atténuer la difficulté de leurs conditions d’exercice en faisant au moins quelque chose de valorisant.
« Dans le même sens, on peut s’inquiéter que les actions qui apparaissent les plus pertinentes du point de vue de l’activité intellectuelle ou qui présentent un contenu culturel ambitieux soient massivement réservées aux classes les plus élitistes tandis que les autres classes seront le cadre de projets plus tournés par exemple vers la citoyenneté ou la prévention de la violence. À ce compte, le projet d’établissement risque de devenir un empêcheur de penser.
« Se centrer sur les activités intellectuelles de l’élève doit amener à passer d’un repérage des élèves en difficulté à une élucidation des difficultés des élèves.
« La situation des classes est par ailleurs en train d’évoluer. Avant on se demandait comment travailler pour tous sans oublier personne. Aujourd’hui, la difficulté s’est aggravée dans la mesure où il devient parfois difficile de travailler même avec ceux qui le souhaitent en raison de la pression du groupe. Certains élèves ont un tel rapport à l’école qu’ils considèrent les enseignants comme des ennemis et cherchent à entraîner les autres dans cette dérive. On assiste ainsi à un développement larvé de situations où la relation pédagogique est interprétée non plus comme une relation honorée avec des objectifs à partager mais comme un pur rapport de forces. Et ce phénomène peut atteindre les enseignants eux-mêmes par effet de miroir. Cette évolution est inquiétante. Ceux qui veulent travailler sont perçus comme des traîtres. Des collègues en viennent ainsi au sentiment de ne plus du tout pouvoir travailler. Nous devons donc associer apprentissage et socialisation dès le plus jeune âge. »

Anne-Marie Chartier : « On est en effet surpris de voir que l’idée du refus de la scolarité et de l’apprentissage peut devenir une valeur consensuelle, une marque identitaire qui est jouée contre le maître. Il ne faut pas surévaluer ces phénomènes, mais il serait tout aussi absurde de les traiter par la dénégation. Les modes de relation sociale qui s’établissent entre les enseignants et le groupe classe sont déterminants et ils donnent envie d’adhérer ou au contraire de refuser. »

Jean-Yves Rochex : « Ces attitudes sont en effet toujours des produits scolaires. On ne peut en rejeter la cause uniquement sur le monde extérieur. Il s’agit en général d’occasions qui n’ont pas été saisies et qui marqueront la suite des relations qui s’établissent dans la classe. »

Catherine Moisan : « Je voudrais tout d’abord réagir à deux enjeux fondamentaux qui ont été soulignés par Gérard Chauveau.
« - Sur la question de la mixité sociale, tout d’abord. Nous n’avons guère avancé dans ce domaine hormis le fait que la question est désormais posée publiquement. On l’a vu récemment à propos de la sectorisation des lycées à Paris.
« - L’hétérogénéité des ressources humaines est par ailleurs une question essentielle. Nous éprouvons encore beaucoup de difficultés à évaluer l’efficacité et les performances des enseignants, pas seulement dans les ZEP d’ailleurs. Ce sujet reste tabou. Les corps d’inspection qui réfléchissent sur le sujet le font de façon cloisonnée.
« La question est double : comment évaluer mais aussi que faire avec les résultats de cette évaluation ? Se pose ici toute la question du pilotage des ressources humaines dans les ZEP. Et dans ce domaine, il reste encore beaucoup à faire.
« Mon travail récent sur l’enseignement professionnel, et en particulier sur le programme " Nouvelles chances " qui vise à récupérer les jeunes qui sortent sans qualification du système, m’a appris qu’il n’y a pas un modèle unique de réussite. On reste beaucoup trop marqué, dans les écoles et les collèges, par le type de savoir qui sert de modèle à l’enseignement général et, à la rigueur, technologique. Mais l’enseignement professionnel présente un type de réussite propre que nous devons absolument prendre en compte. Les épreuves de bac professionnel sont d’une grande richesse. Ce sont de vrais bacs qui manifestent un grand équilibre entre savoirs abstraits et savoirs professionnels. Ils correspondent à une réussite à l’intérieur de l’école, qui se traduit d’ailleurs par une possibilité d’intégrer le monde professionnel et d’y réussir. Cela doit nous amener à nous demander ce que c’est que réussir pour nos élèves aujourd’hui.
« Ce travail avec l’enseignement professionnel m’a permis de constater que les élèves que nous jugeons en difficulté (élèves de CAP par exemple) exercent aussi leur intellect dans des activités que nous ne percevons pas comme telles. C’est ainsi que le bricolage nécessite un réel investissement réflexif. C’est d’ailleurs de cette façon que sont nées les maths. On se trouve ici dans une situation inverse de celle qui a été évoquée par G. Chauveau d’une dictée qui en fait ne mobilise pas les élèves. Ici, les élèves sont dans une activité que nous ne percevons pas comme intellectuelle, alors qu’ils mettent réellement en œuvre leur intelligence. On se heurte dans ce domaine aux résistances des professeurs d’enseignement général qui acceptent difficilement qu’on puisse accéder à des savoirs en maths ou en français par l’intermédiaire d’une situation professionnelle. Ils manifestent la crainte d’un utilitarisme du travail qui récupérerait leurs disciplines. Nous devons accepter que l’enseignement professionnel puisse faire accéder à un savoir différent du savoir universitaire qui est la marque des filières générales.
« Le programme " Nouvelles chances " m’a fait découvrir par ailleurs que les élèves pouvaient se remobiliser après avoir échoué. Rien n’est jamais perdu. Certains élèves qui ont subi de très longs échecs sont capables de se remettre à apprendre. Il faudrait réfléchir sur le déclic qui fait que le jeune adopte cette nouvelle attitude. Il se passe la même chose dans le domaine de la socialisation. Par exemple, la signature d’un contrat d’apprentissage peut conduire un jeune à réintégrer un certain nombre de règles de base de la vie sociale. Le rôle du partenaire extérieur est important. L’école peut y trouver un relais qui lui permet de dépasser les limites qu’elle rencontre quand elle n’arrive plus à faire passer son message parce qu’elle est trop répétitive ou qu’elle se heurte à un échec trop profond.
« Comme les ZEP qui réussissent, les expériences d’apprentissage professionnel ne marchent que s’il y a de l’exigence et de l’ambition. Les équipes éducatives doivent avoir une exigence éthique, c’est-à-dire croire que ces jeunes peuvent recommencer à réussir. »

Anne-Marie Chartier : « Chaque enseignant est travaillé par un véritable inconscient scolaire issu de la pratique qu’il a eu au cours de sa propre scolarité. Ainsi, en se recentrant sur les apprentissages, l’enseignant risque de prendre à revers les enfants qu’il a en face de lui dans la mesure où ils ont une autre relation au savoir, plus concrète.
« Toute la recherche en didactique aujourd’hui se centre sur des objets très pointus, en grammaire, en orthographe, dans l’apprentissage de la lecture ou dans la production de l’écrit. Ces recherches suivent des voies distinctes. Elles se réfèrent à des modèles d’analyses scientifiques qui éclatent l’objet. Un des enjeux des années à venir sera de tenir compte de la recherche en didactique, sans vouloir en appliquer les conclusions de façon servile qui conduirait à une déréalisation et à une abstraction d’autant plus grande des objets de savoir. »

Catherine Moisan : « Quand on parle d’orientation professionnelle, il importe de bien distinguer ce qui relève de l’orientation vers un métier, qui achemine vers un choix définitif contraignant, et ce qui relève d’un mode d’apprentissage particulier. On confond souvent les deux.
« Il est vrai qu’on enferme les jeunes quand on les pousse à des choix trop précoces, si on oblige par exemple un jeune de 5eà s’orienter définitivement vers la maçonnerie. Ce serait une atteinte aux progrès de la démocratisation qu’on a réalisés dans le collège unique. Mais, par contre, on peut installer une situation de maçonnerie pour faire accéder à certains savoirs mathématiques. La perspective est tout à fait différente.
« On ne peut nier l’importance du diplôme par rapport à la situation sociale future. C’est la raison première pour laquelle les parents poussent leurs enfants vers des études les plus longues possible. Il s’est toutefois produit un changement dans le fait que désormais un diplôme supérieur à celui de ses parents n’assure plus nécessairement une situation sociale supérieure.
« L’écart se creuse aujourd’hui, non entre les différents diplômes, mais entre les jeunes qui n’ont rien obtenu et tous les autres. Les classes de 4e et 3etechnologiques n’étaient ni pertinentes ni utiles quand elles étaient utilisées pour imposer des choix professionnels précoces, et c’est probablement la raison qui a légitimement amené à les supprimer. Mais on les a bradées trop rapidement. Il faut continuer des expériences de classes technologiques qui permettent d’autres modes d’accès au savoir pour des jeunes en grande difficulté.
« Concernant les apprentissages, on ne peut opposer l’abstraction et l’intelligence pratique. Nous devons nous interroger pour savoir comment un jeune est en mesure d’apprendre à partir d’une situation concrète, par exemple apprendre la trigonométrie en partant d’une situation de maçonnerie. Et la question essentielle est alors de savoir si le jeune est capable de modifier la recette qu’il avait mise en œuvre jusque-là lorsque la situation change, s’il est capable de s’adapter.
« On peut par ailleurs se demander s’il est nécessaire à un moment ou à un autre de passer par un modèle trigonométrique. Ce choix ne relève pas de décisions locales mais d’un choix à l’échelle du pays.
« On doit enfin se poser la question de savoir ce qui doit venir en premier : la situation pratique ou l’abstraction, le mur ou la trigonométrie ? Nous rencontrons une très grande difficulté à ne pas commencer par le concept. »

Anne-Marie Chartier : « Nous pouvons aller plus loin et nous demander même si certains ne sont pas capables de s’adapter à de nouvelles situations sans jamais avoir eu la capacité de la connaissance discursive. »

Jean-Yves Rochex : « La question de la valorisation ou de la dévalorisation de l’enseignement professionnel est une question pédagogique, mais tout autant sociale et institutionnelle.
« Nous devons éviter deux pièges : celui de la seule légitimation des savoirs abstraits de type universitaire, mais aussi le piège du relativisme qui amène à penser que tout se vaut, qu’expérience pourrait valoir transfert, que transfert pourrait valoir conceptualisation. Ces questions doivent être travaillées. La question qui est posée est celle de la définition du contenu de la culture commune qui ferait leur part aux différents modes d’activités sociales et à leur ressaisie par l’intelligence discursive. Quel est le noyau dur en deçà duquel aucun élève ne devrait sortir du système éducatif, en deçà duquel aucune différenciation ne devrait prendre place ? Cette question est à poser en termes de savoirs, mais aussi de rapport au savoir ou de posture par rapport à l’activité intellectuelle. Décaper l’inconscient scolaire, ce n’est pas seulement ouvrir le curriculum à d’autres modes d’activité. C’est tout autant interroger les modes d’activité existant. Le concept est toujours second par rapport à l’action. Il faut contribuer à faire dialoguer expérience et connaissance. »

Anne-Marie Chartier : « Tout ce que nous disons là pourrait aussi bien concerner la formation professionnelle des enseignants. »

Gérard Chauveau : « Il serait intéressant de pouvoir poursuivre le travail collectif sur ces thèmes, sur les rapports entre l’activité scolaire intellectuelle et l’activité productive à caractère professionnel. Je me situe ici en accord avec la thèse X du Manifeste communiste de 1848 de Marx : " Réunion de l’éducation et de la production ". Et Marx précise dans d’autres textes que cette combinaison entre les activités scolaires et scientifiques et le travail productif devrait être généralisée. Tout élève devrait aller à l’usine non pour y rester mais pour y exercer momentanément. Nous pourrions retrouver et appliquer ces principes de base qui étaient ceux du mouvement ouvrier du XIXesiècle. »

Choix politiques et problèmes de pilotage

Anne-Marie Chartier : « Comment passer de la zone au réseau ? »

Gérard Chauveau : « Le passage des ZEP aux Rep ne m’a pas mobilisé. Ce qui m’a semblé intéressant dans le lancement des ZEP et qui le reste aujourd’hui, c’est la tentative d’associer une politique scolaire impulsée par l’Éducation nationale et une politique sociale et territoriale. La notion de zone ou d’espace était donc essentielle. La notion de réseau n’a pas fait progresser dans ce domaine. »

Anne-Marie Chartier : « On peut se poser le problème du mode de fonctionnement collectif des équipes qui mettent en œuvre la politique d’éducation prioritaire à tous les échelons. Les ZEP risquent en effet de se transformer en une machine à multiplier des réunions qui ne font pas toujours la preuve de leur efficacité. Passé le plaisir d’aller au-delà des limites de l’établissement scolaire et de découvrir les partenaires extérieurs, très vite la question se pose de leur professionnalité à l’intérieur de ces lieux qui sont des instances de réflexion et de décision. Les enseignants ont souvent l’impression de perdre leur temps, ou au moins d’avoir une beaucoup moins grande efficacité que celle qu’ils ont en présence des enfants dans les classes. On est peu armé pour gérer les réunions de façon efficace, pour qu’elles permettent un échange d’informations et d’outils, une construction de consensus. Il existe un risque de bureaucratisation. Nous devons trouver le moyen de vivre ces réunions comme des lieux de fonctionnement démocratique où se croisent les décisions montantes et descendantes. »

Catherine Moisan : « Il existe différents types de réunions : la réunion spontanée des enseignants sur ce qui forme le cœur du métier pour se faire par exemple un outil commun à un moment donné. Ce type de réunions doit seulement être facilité. Mais on connaît aussi des réunions plus formelles qui peuvent servir à faire le bilan d’un projet. Elles dépendent de la capacité managériale des pilotes de la ZEP. Ces réunions doivent faire réfléchir et aider à gagner du temps. Enfin, à un autre niveau, celui du département ou de l’académie, se pose la question de la façon d’accompagner les équipes de ZEP. Le niveau académique est ici stratégique. Mais il est trop vaste. Il faut des ensembles plus petits pour accompagner, c’est-à-dire aller voir les équipes et être à leur disposition, leur apporter un regard extérieur. Pour que cet échelon existe, il faut lui accorder une part de la décision et de la responsabilité qui ne peut être que qualitative.
« Claude Pair a montré que la plus grande partie des décisions (90 %) se prenaient de façon automatique. C’est le cas des mutations par exemple. Ces décisions peuvent être prises au niveau de l’académie. Mais les 10 % restants qui sont de nature qualitative devraient être gérés de façon beaucoup plus proche du terrain. On reste trop dans un système descendant. »

Jean-Yves Rochex : « Se pose aussi la question de la gestion des moyens en postes ou en ressources humaines. Trop d’investissements sont traités à l’aide des heures supplémentaires, et les enseignants en ont assez. Les relations entre les différents échelons de l’établissement, du département ou de l’académie restent souvent problématiques. On le voit par exemple dans les appréciations qui peuvent être portées sur les projets d’établissement. Ici ce n’est pas la compétence managériale des différents intéressés qui est en cause mais des modalités d’un travail collectif de définition des orientations qui évite le double piège de la prescription descendante ou de la seule initiative locale. Le conseil de zone est souvent devenu une instance très formelle. Et le coordonnateur est totalement accaparé par la recherche de financements. Il faudrait parvenir à mieux articuler les réunions plus formelles de type partenarial liées au dispositif et les réunions plus informelles entre enseignants qui échangent entre eux. Ces dernières devraient mieux nourrir les premières. Les corps d’inspection devraient, par exemple, jouer un rôle beaucoup plus important. »

Gérard Chauveau : « L’efficacité pédagogique et la réussite scolaire se jouent d’abord dans la classe. On doit par ailleurs mesurer que si
l’Éducation nationale a toujours la réputation d’être très centralisée, elle laisse cependant une grande liberté dans le domaine des pratiques pédagogiques, beaucoup plus que dans d’autres pays voisins. Il existe par exemple un grand nombre de méthodes de lecture au CP alors que certains de nos voisins ne mettent en œuvre qu’une méthode officielle unique. De même le temps consacré par l’enseignant de CP à la lecture peut varier dans des proportions considérables.
« Par ailleurs, comme il vient d’être dit, les coordonnateurs passent souvent plus de temps à des fonctions administratives et à des recherches de financements qu’à un travail de nature pédagogique et didactique. On ne se centre plus directement sur les problèmes de l’école en milieu populaire et on se disperse sur des terrains annexes pour aller chercher des financeurs.
« Enfin, on a tendance à réfléchir soit en termes de moyens quantitatifs, soit en termes de structures et de dispositifs. Mais l’essentiel se joue au niveau des dynamiques, des mobilisations, des facteurs humains, des compétences ou des ressources qu’on va injecter dans ces dispositifs et ces moyens. »

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