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Journée nationale de l’OZP du 19 novembre 2022
L’école est-elle un service public ou au service du public ?
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A quelles conditions l’éducation prioritaire peut-elle contribuer à la lutte contre les inégalités scolaires ?
Marc BABLET,
membre du bureau et du Conseil scientifique de l’OZP
Ceux qui me connaissent savent que j’affectionne la citation du journal de prison d’Antonio Gramsci quand il vient de rentrer pour huit ans dans les geôles de Mussolini : « Il me faut avoir le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté ». Aussi j’articulerai mon propos en deux temps. D’abord l’analyse de la situation historique contextuelle dans laquelle se trouve l’éducation prioritaire, ensuite ce qui est connu pour permettre une meilleure réussite des élèves de l’éducation prioritaire et que nous devons soutenir fortement pour convaincre du bien fondé de cette politique dès lors qu’elle est complètement réalisée dans la durée.
Retour sur soixante ans des ZEP
Pour comprendre à quoi nous faisons face aujourd’hui, il nous faut faire retour sur l’histoire de ces soixante dernières années. Toute situation qui fait crise nécessite le recul de l’histoire pour comprendre vraiment les enjeux et pour ne pas se laisser emporter uniquement par les discours, les idéologies voire les émotions du moment.
C’est dans les années soixante que le créateur de notre association Alain Bourgarel a milité, avec son épouse Brigitte, en appui sur le rapport Plowden de Grande Bretagne, à partir de son expérience de directeur d’école du Port à Gennevilliers et compte tenu de son engagement à gauche. A l’époque on connaît le plein emploi et une immigration de travail importante très nécessaire au développement économique de notre pays dans le contexte de la compétition internationale de plus en plus forte. Cette immigration est une immigration intérieure au pays avec des déplacements entre les campagnes et les villes et une immigration d’étrangers qui rejoignent la France décrite alors comme la patrie des droits de l’homme. Les familles rejoignent les hommes et sont regroupées
dans des bidonvilles puis dans des quartiers d’habitat social, souvent à l’est des villes là où les vents dominants entraînent les fumées des usines.
Imaginez que les banlieues des grandes villes connaissent alors la situation que vous avez pu voir dernièrement pour le département de Mayotte pour d’autres raisons.
L’école est alors confrontée dans ces quartiers à une augmentation considérable
des effectifs et à des populations nouvelles d’enfants de milieux populaires
toujours déplacés et parfois allophones. Or le développement économique et
technique exige des formations toujours plus poussées pour une bonne
intégration dans le marché du travail. On ne peut pas en rester au système
scolaire à l’ancienne avec des études qui s’arrêtent à l’issue de l’école primaire
comme cela fut valable dans la France rurale. En 1959 l’obligation scolaire
jusqu’à 16 ans puis en 1975 une évolution importante est réalisée avec la mise
en place du collège unique pour faire face à la massification nécessitée par le
besoin de personnel plus qualifié.
Mais on voit très vite deux choses : d’une part les premiers quartiers d’habitat
social rapidement construits se dégradent et d’autre part la massification ne
permet pas de résoudre les difficultés des enfants des milieux populaires dans
l’école telle quelle est à ce moment là. On peut même dire qu’elle en révèle les
difficultés en confrontant ces élèves à d’autres plus en connivence avec l’école
telle qu’elle est. La sociologie des années soixante mettra en évidence ce qui est toujours valable aujourd’hui.
Le SGEN, le parti socialiste et le ministre de l’éducation Alain Savary en 1981
entendront le message des Bourgarel du besoin d’une politique éducative nouvelle pour ces quartiers populaires.
Ce doit être pour nous une première leçon : quand on dévoile un problème social
d’importance et que l’on propose des perspectives de travail raisonnées,
argumentées, on peut espérer être entendu à un moment donné par des politiques
dès lors que le contexte est favorable. Il faut être consistant et ne cesser de
chercher à convaincre. Il y a bien sur des moments plus encourageants que
d’autres mais il ne faut jamais se décourager.
La première circulaire du premier juillet 1981 dit nettement ce qui est attendu de
la politique d’éducation prioritaire :
« La création par le Gouvernement des 11 625 nouveaux emplois dans l’Éducation nationale, création qui représente de la part des pouvoirs publics un effort considérable dans une conjoncture difficile, n’a de sens que si elle s’inscrit dans une politique de lutte contre l’inégalité sociale. Son but prioritaire est de contribuer à corriger cette inégalité par le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et dans les milieux sociaux où le taux d’échec scolaire est le plus élevé. La politique du Gouvernement consiste en effet à subordonner l’augmentation des moyens à leur rendement escompté en termes de démocratisation de la formation scolaire. C’est cet objectif qui doit être central pour tous ceux qui sont chargés de la mettre en œuvre. »
Tout au cours du temps qui suivra on assistera à un double mouvement :
d’une part cette politique sera progressivement affinée, complétée, enrichie par des perspectives de travail de plus en plus solidement établies grâce aux travaux des inspections générales et de la recherche : 1992 rapport Best Henry, 1997 rapport Moisan Simon, 2006 rapport Armand Gille, 2014 rapport de la refondation et de nombreux travaux de recherche du CRESAS de l’INRP, de l’équipe ESCOL de Paris VIII et de l’équipe de sociologie de l’éducation de Paris V. Ce sera notamment le cas sous des gouvernements incarnant une politique sociale progressiste. Nous devons encourager toutes les équipes de chercheurs qui travaillent pour les élèves des milieux populaires. Nous devons nous appuyer sur ce qu’ils produisent et ne pas nous laisser impressionner par les généralités des neuro scientifiques qui ignorent la question sociale. Nous ne devons pas nous laisser impressionner par ceux qui se revendiquent de la science en
refusant certains résultats de la science quand ils les dérangent.
d’autre part, elle sera utilisée par des orientations politiques qui l’ignoreront le plus souvent même si en 2008 elle a failli disparaître suite à la demande du candidat Sarkozy de déposer son bilan. D’autres chercheront à la distraire de son objectif fondamental d’égale réussite des enfants des milieux populaires : ce fut notamment le cas en 2010 et 2011 avec le dispositif CLAIR puis ECLAIR qui en fera une politique de prévention de la violence, c’est encore le cas aujourd’hui avec la proposition de loi du rassemblement national qui prétend en faire une politique d’assimilation des étrangers. Nous devons dénoncer régulièrement les oublis ou les dévoiements.
Une politique contrariée par des évolutions sociétales, par le choix du séparatisme social et par des évolutions idéologiques en éducation.
Mais plus fondamentalement on doit dire qu’elle a été aussi contrariée par plusieurs phénomènes liés au développement du néolibéralisme comme doctrine aux conséquences sociales d’importance. La recherche du profit personnel s’est développée, accroissant le séparatisme social et une conception méritocratique ignorante des différences sociales. Je m’appuie sur l’ouvrage de Daniel Bernabé « Le piège identitaire »1 pour signaler que la lutte pour la reconnaissance de toutes les diversités a contribué à l’effacement de la question sociale au profit de conceptions qui contribuent à éliminer l’analyse en classes sociales au profit de
1 Daniel Bernabé, Le piège identitaire, l’effacement de la question sociale, L’échappée, Paris, 2022
la démultiplication des sous groupes à défendre. Loin de moi l’idée qu’il ne faut pas entendre les difficultés de groupes stigmatisés pour se faire reconnaître mais il faut veiller à ce que celles-ci ne permettent pas au néolibéralisme de prétendre qu’elles seraient de même importance que les différences de classes qui clivent économiquement et culturellement la société. De même les évolutions de l’organisation du service public en service aux publics qui valorise la diversité des individus au lieu de rechercher ce qui les rassemble et qui survalorise les intérêts particuliers aux dépends de l’universel, du collectif et de l’intérêt général. Tout cela contrarie les idéaux de l’éducation prioritaire. En réalité malgré les discours rien n’est vraiment nettement fait pour lutter contre le séparatisme social et pour développer un service public pour tous. Il nous faut retrouver les valeurs universelles et les principes de la République.
Dernièrement le gouvernement a favorisé l’enseignement privé
D’une part avec l’obligation scolaire à trois ans qui a été présentée comme une mesure symbolique alors que de fait tous les enfants de trois ans étaient déjà scolarisés et que cette mesure a eu pour conséquence l’arrêt de la progression et même une légère régression de l’accueil dès deux ans en maternelle en EP.
D’autre part avec l’idée des contrats locaux d’accompagnement auquel le privé a été associé alors que rien ne le justifie puisque le privé n’est pas tenu au respect de la carte scolaire et peut choisir ses élèves.
Le privé est, en effet, la principale source de séparatisme social dans l’école.
Selon le sociologue Pierre Merle, « la ghettoïsation par le haut des collèges privés est plus forte que la ghettoïsation par le bas des collèges publics, puisque ce sont les collèges privés qui, de 2006 à 2010, contribuent davantage à la ségrégation sociale2 ». C’est même une tendance qui s’accroît depuis les années 2000, puisqu’en vingt ans comme l’indiquent les statistiques de la DEPP, ce
2. P. MERLE, La ségrégation scolaire, Paris, éditions La Découverte, collection « Repères », 2012.
secteur, qui scolarise autant de collégiens que l’éducation prioritaire, soit un élève sur cinq, passe de 47% d’élèves issus de milieux sociaux favorisés et/ou
très favorisés à 54%. C’est une première cause importante de séparatisme social.
Les plus favorisés évitent à leurs enfants la rencontre des plus défavorisés. Aux
uns la ségrégation choisie, aux autres la ségrégation subie et ce sont ceux là que
l’on accuse de séparatisme…
Une deuxième cause massive de séparatisme social se trouve dans le peuplement
des différents quartiers, les plus pauvres étant pour des raisons financières
assignés à résidence dans des quartiers d’habitat social ou dans des copropriétés
dégradées et on ne peut pas dire que la politique de la ville développée depuis
1976 et confortée en 1988 ait fait évoluer la situation tant par exemple la loi
SRU qui a vocation à faire créer de l’habitat social à hauteur de 20% des
logements dans les communes les plus riches qui en sont le plus souvent
dépourvues n’a pas permis de réussir comme l’indique clairement en conclusion
un rapport récent de la cour des comptes : « Mais si le nombre de logements
locatifs sociaux a progressé, il n’en va pas de même de leur taux, rapporté à
l’ensemble des résidences principales. En d’autres termes, l’article 55 n’aura
que faiblement contribué à développer la mixité sociale, et l’objectif n’est donc
que partiellement atteint.
3 ». Il nous faut lutter contre des visions très discutables de la ségrégation sociale comme celle qui apparaît dans le dernière note de l’IPP sur cette question, qui par ailleurs n’apporte rien de nouveau, mais où l’on trouve écrit cela : « La ségrégation scolaire est, pour partie, le reflet de la ségrégation résidentielle, conséquence de la propension qu’ont les individus à choisir un lieu d’habitation concentrant des foyers aux caractéristiques sociodémographiques proches des leurs. » Je ne peux croire qu’ils ne
connaissent pas le sens du mot « propension ». Quelle honte de dire que cela
relèverait de la liberté des individus alors que vous et moi savons bien que les
3 L’application de l’article 55 de la loi SRU - février 2021 Cour des comptes - www.ccomptes.fr
plus pauvres logent dans les logements les moins chers qui ne sont pas dans le seizième arrondissement et que ce n’est pas par communautarisme qu’ils choisissent les moins chers. Il n’est pas très étonnant que le principal responsable de cet article soit un économiste et non quelqu’un qui connaît la question sociale. En fait cela procède d’une vision à la fois très libérale selon laquelle chacun choisirait son destin et d’une représentation d’extrême droite du sens des communautarismes. En ce moment souvent les deux se rejoignent dans un méli-mélo idéologique inquiétant.
Une troisième cause bien connue de ce séparatisme est la possibilité du choix de l’école ou du collège donné aux familles par la politique des dérogations qui a été particulièrement encouragée par certains gouvernements pour satisfaire leur clientèle qui elle est capable d’aller jusqu’à proposer de fausses domiciliations
pour obtenir le supposé « bon collège ». Certains ont même fait un principe de la
séparation des élèves « méritants » pour ce qui est des internats dits d’excellence
où ce furent les meilleurs élèves des quartiers populaires qui y étaient attendus.
Ainsi privilégiait-on quelques réussites individuelles aux dépends des réussites
collectives. On encourage ainsi la logique de la débrouille individuelle aux
dépends d’un service rendu à tous par l’Etat. Cela correspond à un affaissement
de la morale. La conséquence de cette conception des choses est que ceux qui ne
réussissent pas ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Ils sont considérés
comme seuls responsables de leur situation, de leur échec. Ils n’ont pas choisi
les bons quartiers ni les bons collèges…
Les travaux de Jean-Yves Rochex sur les trois âges des politiques d’éducation prioritaire éclairent le fait que les politiques prioritaires en éducation évoluent dans le temps en fonction d’idéologies qui travaillent les questions éducatives bien au-delà d’elles. Cela aussi contrarie la politique d’éducation prioritaire :
dans le premier âge le système hésite entre transformation et compensation pour
lutter contre les inégalités et fait finalement reposer sur les projets locaux la
possibilité de remédier. En fait on s’est affranchi de la question de la
démocratisation du système éducatif en disant : « on a des ZEP pour ça ! » Le
modèle compensatoire des politiques d’éducation prioritaire, qui consiste à
« donner plus à ceux qui ont moins » connaît dès lors ses limites.
Dans un second âge les tensions entre visée compensatrice et visée
transformatrice demeurent. La visée de compensation et de lutte contre les
inégalités s’efface devant celle de la lutte contre l’exclusion. Il s’agit de garantir
un minimum de compétences clés aux grands « vaincus » de la compétition
scolaire. Les objectifs culturels s’effacent alors complètement derrière les
objectifs et les dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire, l’exclusion, le
chômage, la violence, la petite délinquance…
Enfin la recherche dirigée par Jean Yves Rochex caractérise le troisième âge des
politiques d’éducation prioritaire par une évolution vers le repérage d’élèves
dans leur particularité individuelle : « élèves à risque », puis « élèves à besoin
particulier », mais aussi « élèves à potentiel » ou « méritants », pour lesquels
une réponse plus individualisée est recherchée. On voit bien là le retour de la
conception individualiste des politiques libérales qui privilégient
systématiquement la liberté aux dépends de l’égalité. Un modèle économique
s’impose à toute la société. Il risque de faire éclater le collectif au profit de la
recherche de solutions spécifiques à chaque individu.
Ces réorientations, désorientations permanentes du système éducatif, jusqu’aux
programmes que l’on prétend changer pour changer l’espérance de la réussite
comme si l’on savait avec certitude quels seraient les vrais bons programmes….
De fait les changements ont souvent été la conséquence de choix idéologiques et
en aucune manière de choix fondés sur des analyses sérieuses des besoins des
élèves, sur les comparaisons internationales, sur les sujets de fond des
didactiques et des manières d’apprendre. Ce n’a pas toujours été le cas et
certains programmes sont parvenus à faire consensus au moins dans la
profession. Aujourd’hui nous avons des collègues qui travaillent depuis trois ans
à penser les curriculums dans une association qu’ils ont appelée CICUR
(Collectif d’interpellation des curriculum).
Le plus caricatural s’agissant de ces changements de programmes, ce sont les
derniers changements en matière d’apprentissage de la lecture où l’on
recommande de mettre l’accent sur le code alors que les évaluations de la DEPP
elle-même indiquent combien ce qui pêche le plus pour les enfants des milieux
populaires c’est la compréhension et notamment la compréhension de phrases
lues par les enseignants. Récemment notre meilleur chercheur en matière
d’apprentissage de la lecture Roland Goigoux a été interrogé par les
parlementaires. Il a rappelé combien il est inacceptable que la science soit
instrumentalisée pour faire valoir des choix idéologiques. Il a rappelé qu’il n’y a
pas de baisse de niveau en lecture mais que les inégalités sociales restent
insupportables. On va encore voir avec la publication des résultats de PISA 2023
dans quelques jours comment le politique va faire comme si les six dernières
années n’y étaient pour rien et pour s’en emparer pour relancer les mêmes
vieilles solutions dont on sait qu’elles ne résolvent rien. Cela a déjà commencé
avec les résultats en classe de quatrième.
Rappelons nous le vieux dicton : « Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a
la rage. » Est-ce que le but ultime de tous ces discours négatifs ne serait pas la
destruction du service public ? Face à cela il nous faut tenir des discours
d’encouragement des équipes afin qu’elles s’appuient sur tout ce qui leur reste
de liberté pour construire ce qui est juste pour les élèves des milieux populaires.
Dans les nouvelles tentatives positives d’amélioration de la situation de notre
école, on note dernièrement à partir de 2015, déjà écrit dans la loi d’orientation
de 2013, la recherche de la mixité sociale scolaire comme réponse aux
difficultés liées au séparatisme social et aux inégalités scolaires qu’il contribue à
générer. Les projets en question ont tous porté sur l’offre scolaire et la
localisation des collèges. Aucun, et pour cause, n’a porté sur les principales
causes indiquées tout à l’heure : privé public, séparatisme géographique,
dérogations. En conséquence ces projets ont pu avoir de petits effets très
localisés mais n’ont rien changé au besoin d’une politique de compensation pour
les élèves des milieux populaires qui restent massivement regroupés dans les
quartiers d’habitat social. En outre, il devrait être clair dans tous les esprits qu’il
ne suffit pas de mixité sociale et scolaire dans la classe pour que les élèves des
milieux populaires réussissent mieux à l’école. C’est mieux que l’absence de
mixité mais cela ne suffit pas : Il leur faut aussi des conditions de vie favorables
et un enseignement de qualité en capacité de prendre en compte l’hétérogénéité
pour en tirer profit au lieu de la percevoir comme un obstacle. Or vous aurez
remarqué que les mesures relatives à la mixité sociale dans le dossier de presse
de rentrée sont encore bien limitées et que bien peu est envisagé pour améliorer
les conditions de vie des enfants qui ne sont évoquées rapidement que s’agissant
des cités éducatives. Les mots « pauvre et pauvreté » ne figurent même pas dans
le dossier de presse de rentrée et ce programme des cités éducatives est laissé à
la discrétion du ministère de la ville.
Nous devons défendre une vision positive de l’éducation prioritaire partout
où elle est nécessaire
Je vais maintenant basculer vers ce qui dans notre volonté commune doit nous
porter à l’optimisme dès lors que nous serons convaincus et consistants dans la
durée sur une ligne éducative solide travaillée sérieusement à partir de
l’expérience professionnelle et des données de la recherche. Rien n’empêche de
continuer à développer les grandes orientations fixées par le référentiel de
l’éducation prioritaire dans les pratiques de terrain. Celui-ci a été largement
reconnu comme référence pour l’élaboration des projets de réseaux, pour la
construction de formations. Il doit rester une boussole centrale.
La cour des comptes en 2018 reconnaît que la politique d’éducation prioritaire
est la seule politique publique de lutte contre les inégalités sociales en éducation
dans notre pays. Heureusement elle le reconnaît, mais malheureusement il n’y a
pas encore vraiment d’autre politique complémentaire de l’éducation prioritaire
pour les enfants des milieux populaires qui n’y sont pas scolarisés. La cour fait,
dans ce rapport, une proposition très intéressante et peu coûteuse qu’aucun
ministre n’a reprise à son compte : donner priorité au remplacement des
enseignants d’éducation prioritaire afin que les élèves qui ont le plus besoin de
l’école soient bien ceux qui en bénéficient le plus. Si vraiment l’éducation
prioritaire était prioritaire, elle devrait être prioritaire en tout. C’est un point fort
de nos positions faire que l’éducation prioritaire soit toujours vraiment
prioritaire. Or ce n’est toujours pas le cas dans le dossier de presse de rentrée sur
ce point du remplacement. Réclamons cela, à commencer par le fait que le
remplacement des 18 demi journées dans le premier degré soit vraiment assuré
partout en REP+ pour permettre le travail collectif, la formation et les rencontres
avec les parents.
Assurément il est nécessaire de consolider une politique d’éducation prioritaire
pour pouvoir espérer compenser les inégalités mais quelle politique d’éducation
prioritaire ? Certainement pas ce que l’on nous propose en ce moment via les
déclarations du ministre en charge : suppressions des cycles, classes de niveau,
choix de la remédiation plutôt que de la prévention, changement des
programmes, sélection à l’entrée en sixième, et dernièrement le redoublement …
Les discours incessants pour occuper les media avec de la pensée nostalgique
d’un autre âge et en contradiction avec ce que font les pays mieux placés que
nous dans PISA, le dossier de presse de rentrée de 108 pages égrenant des
mesures bien distinguées les unes des autres faisant fi du fait que le système est
un système et que tout doit s’y tenir si l’on veut espérer réussir. Face à cela
l’éducation prioritaire doit être défendue par tous ceux qui croient en la
démocratisation de l’école. Disons alors quelles articulations et mesures sont
souhaitables. Portons ensemble quelques idées essentielles. Elles peuvent porter
votre action sur le terrain dans les réseaux et c’est le plus souvent déjà le cas.
Par ailleurs soyons convaincus que sur le plan politique, le moment venu nous
serons entendus.
La première conviction de l’OZP est que rien ne se fera sans les acteurs de
l’éducation prioritaire qui ont l’expérience du métier et qui savent ce qui peut
être préférable dans l’exercice de leur métier. Mais ce ne peut être sans une
réflexion de fond partagée pour définir une politique nationale. Tout le contraire
de ce que le gouvernement actuel propose avec les projets innovants. La
confiance dans le terrain ce ne doit pas être de faire remonter les projets
souhaités par des enseignants isolés, cela c’est au mieux de la démagogie. Il
s’agit de faire croire aux enseignants que s’applique la vieille rengaine « aide toi
le ciel t’aidera ». Ainsi pourra-t-on faire croire que les enseignants qui ne
réussissent pas sont ceux qui n’ont pas osé innover comme préconisé. Pour nous,
face à cela la véritable confiance dans le terrain ce doit être de permettre aux
enseignants de co construire une politique nationale dans des assises et dans des
temps de travail partagés avec la recherche dans le souci de l’intérêt général.
Construire en commun au moins en réseau, en inter réseaux, au niveau
départemental voire académique et pas chacun isolément dans son école ou
collège. Nous croyons dans la force du collectif et l’exemple de la refondation
en 2013 a montré que c’est possible de travailler ainsi au niveau national. Mais
pour travailler ainsi, il ne faut pas que les décisions soient prises par avance dans
une commission restreinte. Dans certaines académies ou départements nous
savons qu’il y a encore du travail collectif bien animé. De ce point de vue
plusieurs orientations du référentiel peuvent être menées à bien dans les réseaux :
d’abord un enseignement plus explicite dans toutes les disciplines tant on sait
que les élèves des milieux populaires ont besoin de l’exigence soutenue par une
explicitation des attendus scolaire : non pas de l’activisme mais la
compréhension du sens des activités scolaires, de ce qu’elles permettent
d’apprendre. Rien n’empêche des équipes de demander aussi localement des
marges de manœuvre dans la mise en œuvre des dédoublements pour permettre
à certains moments de revenir à plus de maîtres que de classe, dispositif à
propos duquel nous attendons toujours le publication de l’évaluation de la DEPP,
comme l’a aussi rappelé Roland Goigoux. Rien n’empêche non plus les écoles
maternelles de développer le plus possible l’accueil dès deux ans comme cela
s’est très largement pratiqué dans le passé. J’ai connu l’époque où 50% des
enfants de deux ans étaient scolarisés en Seine Saint-Denis dans les quartiers les
plus en difficulté socialement. Cela suppose un travail de fond au sein des écoles
en relation avec les IEN maternelle et en relation avec les collectivités
teritoriales.
Une seconde conviction forte doit être manifestée comme l’a fait récemment le
SNUIPP dans une tribune à laquelle certains d’entre nous se sont associés : Ne
pas réduire l’école à des prétendus fondamentaux. Ce que nos élèves ont besoin
d’apprendre c’est le sens de l’école, le sens des savoirs scolaires dans toutes les
disciplines, les attendus scolaires au sein des disciplines pour pouvoir
véritablement s’approprier les savoirs. Il faut les aider à mieux comprendre la
différence entre l’activité proposée et le savoir visé par le travail proposé. En
outre nous savons tous que l’éducation ce n’est pas que l’entrée dans des savoirs
parcellaires mais bien plus largement l’entrée dans la culture au sens large.
C’est-à-dire dans la mise en relation des savoirs. On ne peut donc se contenter de
former les élèves à des fondamentaux qui sont le plus souvent ce que l’on
appelait autrefois des savoirs instrumentaux qui ne sont rien sans les occasions
de les utiliser en contexte. Enseigner les élèves c’est bien enseigner tous les
savoirs prévus par les programmes nationaux. Prétendre qu’il faut insister sur les
fondamentaux c’est réduire l’exigence alors qu’il faut conforter l’exigence pour
tous dès lors que l’on veut vraiment l’émancipation de tous. Gardons ensemble
la conviction que tous peuvent apprendre, que tous peuvent réussir, qu’il ne doit
pas y avoir de vaincus de la compétition scolaire car il ne doit pas y avoir de
compétition. Ainsi le proposait la loi d’orientation de 2013.
Une troisième conviction forte a été particulièrement portée dernièrement par le
collectif Langevin Wallon dans une tribune sur AOC qui évoque aussi d’autres
points repris ici. Ce collectif a choisi les noms de ces résistants qui ont su au
lendemain de la seconde guerre mondiale dessiner le système éducatif du futur
et ses exigences sociales. Leur volonté de la réussite de tous anime ce collectif
qui prendra à l’avenir encore part au débat public pour porter aussi nettement
que possible la volonté de démocratisation de l’école. Je cite une partie de ce
texte : La supposée « bataille du niveau » : existe-t-il un seul gouvernement qui n’a pas voulu l’amélioration des résultats scolaires ? Il ne suffit pas de dire des mots forts, il faut proposer des pistes de travail sérieuses. S’agissant des écarts liés à l’origine sociale, largement occultée par le brumeux concept de la baisse du niveau, la seule idée proposée, bien peu « innovante » tant elle est usée, est celle des groupes de niveaux ou des dispositifs de soutien extérieurs à la classe elle-même pour remédier à des manques. Les données de la recherche ne valident pas ces perspectives. Il faut en revanche aider les enseignants à développer la prévention des difficultés de leurs élèves plutôt que leur remédiation et faciliter la gestion positive de l’hétérogénéité des classes. Il faut en effet se souvenir que si les élèves apprennent des maîtres, ils apprennent aussi de leurs pairs. En clair, la mixité scolaire et sociale doit être privilégiée, et non bannie des classes et des établissements. Considérant que la question du temps consacré aux apprentissages et celle de leurs rythmes ne sont pas sans une influence importante pour les plus défavorisés, dans un pays qui n’a cessé de réduire le temps d’enseignement et qui est récemment revenu à la semaine de quatre jours à l’école, il faudrait pour le moins également remettre la question sur le métier. De même pour la formation des enseignants tant initiale que continue. Comme le dit ce collectif : Les inégalités scolaires ne sont pas une fatalité, notre Ecole est encore capable de porter la réussite des enfants des milieux populaires si la coopération de tous avec chacun triomphe sur la compétition de chacun contre tous, si le sens du collectif reprend l’ascendant sur l’individualisme, si l’intérêt général redevient l’alpha et l’oméga de notre
démocratie.
Quatrième conviction : La question de la solidité systémique de la politique d’éducation prioritaire. Nous devons continuer de nous battre pour faire reconnaître les complexités du métier d’enseignant en éducation prioritaire et le besoin d’accompagner cette politique par un pilotage ferme et bienveillant avec le souci de la formation d’enseignants souvent plus novices qu’ailleurs. Pour cela il faut concevoir une révision en profondeur de la formation initiale : le chantier est ouvert, il nous faudra peser pour que la question des inégalités soit au principe d’un recrutement qui permette au métier d’enseignant de redevenir une voie de promotion de jeunes de milieux populaires : il y faut des bourses et un présalaire. Mais il faut surtout que les contenus de formation soient bien adaptés aux besoins du métier dans toutes ses composantes didactiques et
pédagogiques. Il faut aussi développer une formation continue respectueuse des besoins des enseignants qui doivent confronter leurs besoins à l’avis de formateurs porteurs de conceptions pédagogiques pertinentes pour l’éducation prioritaire. Pour cela la refondation avait prévu un plan dans la durée de formation de formateurs. Ce plan a été stoppé en 2018. Il doit reprendre car on ne peut espérer faire de la formation d’enseignants si on ne dispose pas suffisamment de formateurs et il ne s’agit pas d’accroître la charge des équipes de circonscriptions ou des inspecteurs et des conseillers pédagogiques du second degré, elle est déjà bien lourde.
Cinquième conviction : Nous devons continuer de faire entendre que la scolarité
obligatoire de nos élèves est de douze ans minimum et que la continuité doit être
assurée particulièrement en éducation prioritaire. C’est tout le sens de la
continuité école maternelle-école élémentaire puis école-collège et de la logique
de travail en réseau. Rien ne justifie le type de gesticulation politique du
rassemblement national dont la proposition de loi veut supprimer les réseaux. Ni
celle du ministre qui prétend supprimer les cycles. La peur des collectifs professionnels vraiment ancrés dans les quartiers où ils exercent semble intense en ce moment. Face à ces logiques négatives, il faut regarder en face les vrais problèmes rencontrés par les enseignants.
Nous savons bien par exemple qu’une question qui préoccupe beaucoup nos
collègues du premier degré (comme l’ont encore montré les enquêtes de climat
scolaire d’Eric Debarbieux et de Benjamin Moignard) relatif aux élèves aux
comportements perturbants ne se résoudra pas par des ségrégations de ces élèves,
on ne peut à l’infini distinguer des dys ceci ou cela et vouloir séparer les élèves
en les enfermant dans des catégories bien peu scientifiques au demeurant. En
revanche il faut, autour de ces élèves, élaborer des équipes professionnelles
capables d’assurer un suivi dans la diversité des aspects de leurs difficultés. Pour
cela il faut retravailler sur les RASED qui doivent pouvoir exercer leur action d’accompagnement de l’enseignement ordinaire sans exclure.
Au niveau du second degré les élèves décrocheurs posent le même type de
problèmes. On ne peut multiplier les structures, il faut épauler les équipes par
des aides sociales, scolaires, thérapeutiques mais cesser de handicapiser toute
différence et de vouloir enfermer les élèves dans des diagnostics définitifs
stigmatisants avec l’idée sous jacente qu’il faudrait les séparer des autres. De ce point de vue nous devons être collectivement méfiants sur la stratégie de dépistage systématique des troubles neuro développementaux. En éducation
prioritaire nous ne voulons pas d’une école qui désigne, qui stigmatise et qui exclut. Cela n’empêche pas qu’il y a lieu de répondre à certains besoins spécifiques en proposant des réponses spécifiques adaptées notamment en ayant des dispositifs d’accueil comme par exemple des ITEP pour certains troubles comportementaux inquiétants ou des IME pour certains troubles cognitifs mais à n’utiliser que quand on a épuisé d’autres perspectives.
Sixième conviction : L’école peut beaucoup, elle doit être à elle-même son propre recours mais elle doit aussi être soutenue dans ce qu’elle a à faire, c’est le sens des cités éducatives dont on a pu voir par plusieurs rapports comment leur pilotage se met progressivement en place. Mais ce qu’il faut travailler, c’est surtout comment l’ensemble des partenaires réunis contribue à soutenir l’école dans ce qu’elle a à faire. Comment se réalisent les objectifs « conforter le rôle de l’école » et « organiser la continuité éducative » comme nous la pensons en réseau. Cette idée là est en place dans la réflexion depuis 2002 et en 2005 on a commencé à travailler avec la réussite éducative. Il faut approfondir ce travail en étant forts comme dans toute relation avec des partenaires : chacun sa compétence pleine et entière. L’école dans les quartiers doit porter fortement sa compétence didactique et pédagogique et ne pas se laisser imposer des solutions venant de l’extérieur. On ne résoudra pas les problèmes de nos élèves à coup d’associations extérieures aux quartiers qui ne promeuvent qu’elles-mêmes. Il
faut en revanche aussi s’appuyer sur les associations locales partenaires avec
lesquelles les relations sont claires et bien stabilisées pour l’aide aux enfants et à
leurs familles. Les enseignants doivent rester à la manœuvre et de ce point de
vue il est regrettable que le gouvernement commette la même erreur qu’en 1988
quand on a revu la carte en fonction de la politique de la ville et non en fonction d’une analyse propre à l’éducation nationale car les analyses de la ville reposent uniquement sur les revenus alors que l’on sait que les résultats scolaires sont davantage corrélés aux professions et catégories sociales des parents ainsi notamment qu’aux niveaux de diplômes des mères de famille, ce dont l’IPS rend compte. En 2015, on a constaté que beaucoup de réseaux entrés en 1988 ne relevaient pas de l’éducation prioritaire. Rien ne serait pire que de recommencer à mettre des moyens là où ils ne sont pas les plus indispensables. L’allocation progressive des moyens en fonction des situations sociales est possible sur tout le système à partir des IPS.
On pourrait égrener d’autres convictions fondatrices de l’action favorable aux
élèves des milieux populaires. Comme vous le voyez beaucoup de celles qui ont
été énoncées relèvent de ce que nous pouvons faire dans chaque réseau en appui
sur le référentiel de l’éducation prioritaire qu’il nous faut encore enrichir comme
c’était prévu sur le site de CANOPE qui a été supprimé. Aujourd’hui il n’y a
plus de site institutionnel pour porter la politique de l’éducation prioritaire. On
revient à une situation où seule l’OZP rend compte de travaux conduits dans les
réseaux. Comme vous le voyez sur le site, la vie des réseaux est riche. Nous
percevons que beaucoup des mises en œuvre pédagogiques vont dans le bon
sens. Cela doit nous donner la force d’espérer que ce que nous portons essaime
et permette enfin que nous soyons entendus sur les exigences de cohérence et de
continuité de cette politique publique dans toutes ses dimensions et dans la durée.