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Inégalités scolaires et Choc des savoirs au menu de la journée d’étude de l’IREA
"Est-ce que l’école est le réceptacle des inégalités ? Oui. Est-ce qu’elle les aggrave ? Oui". Cette formule est celle d’Elise Huillery, économiste (Paris Dauphine, ENS) à l’occasion d’une journée d’étude tenue le 27 novembre. Il ne fait nul doute que les inégalités scolaires s’aggravent en France, tant d’études le prouvent désormais. Face à ce constat, Elise Huillery et Jean-Paul Delayahe (IGERS, ancien DGESCO), étaient invités lors de la journée d’étude organisée par l’Institut de recherches, d’études et d’animation (IREA) de la CFDT EFRP afin d’analyser ces inégalités et en expliquer les causes et conséquences, esquissant en creux des pistes de solution. Cette journée fut aussi l’occasion d’aborder la réforme du Choc des savoirs, en présence d’organisations syndicales et associative, et ce dans un contexte d’attente suite à la demande du rapporteur du Conseil d’Etat d’annuler les "groupes de besoin" (voir TE ici).
Causes et effets des inégalités scolaires
Pour Jean-Paul Delayahe, également ancien directeur général de l’enseignement scolaire, il ne faut pas "noircir le paysage" puisque le nombre de jeunes qui sortent sans aucun diplôme a été limité à 80 000, avance-t-il pour démontrer les efforts accomplis ces dernières décennies. Mais, s’il note une "élévation quantitative et qualitative", il s’agit d’"une élévation différenciée, et les inégalités se sont déplacées". Des chiffres le prouvent : "70% des enfants d’ouvriers suivent un bac technologique ou professionnel, et 75 % enfants de cadres sont dans un lycée général. Quand on appartient à un milieu défavorisé, on a moins le droit à la réussite que dans d’autres pays comparables à la France."
Plusieurs raisons expliquent cette situation selon Jean-Paul Delaye. La baisse de financement pour l’éducation (perte d’un point du PIB pour le budget de l’éducation par rapport à 1995, soit l’équivalent de 25 milliards d’euros) ; l’aggravation de la pauvreté qui complique l’entrée dans l’apprentissage ; la succession d’évaluations qui renforce l’angoisse des familles et provoque ou révèle des stratégies individuelles ; le manque de politisation de la question éducative ; la dévalorisation du corps enseignant ; et le manque d’intérêt des classes favorisés à changer le statu quo, alors qu’elles en auraient les moyens politiques.
Pour Elise Huillery, "on peut parler de massification, mais pas de démocratisation". C’est-à-dire que le niveau global augmente mais le gradient social reste identique. La part des étudiants dans l’enseignement supérieur le montre : "Les enfants défavorisés représentent 35%. Mais ils représentent 20% des étudiants en 3e année de licence puis 3% des étudiants des écoles sélectives et élitistes. Alors que les élèves favorisés (23% de la population totale des élèves) représentent 43% des écoles très sélectives." A cela, une conjugaison de deux facteurs : les performances inégales en fonction du milieu social et une orientation inégale à performance égale et à niveau égal.
À noter que depuis 2000, le gradient social de la surdétermination sociale ne s’est ni aggravé, ni amélioré, mais la France reste détentrice du triste record des inégalités scolaires. En revanche, la performance décroît, "mais pour tout le monde", quel que soit le niveau et l’origine social et dans l’ensemble des pays.
"L’école est une machine à démotiver les élèves de milieux défavorisés et d’emblée non performants", dit Elise Huillery. Cette motivation, qui repose selon elle sur le sentiment d’appartenance, d’autonomie et de compétence, s’affaiblit pour ce profil d’élèves qui se retrouvent alors délaissés par l’institution scolaire.
Mixité scolaire
S’agissant de la mixité scolaire, parfois présentée comme une solution aux inégalités, les études montrent qu’elles n’a "aucun effet négatif sur les élèves", avance Elise Huillery. Elle n’entraîne ni une augmentation des performances pour les élèves défavorisés, ni un ralentissement de celles des élèves favorisés, ce qui est pourtant un "fantasme tenace", relève l’économiste. Les recherches en cours se poursuivent pour comprendre les effets de la mixité sur les orientations et les ambitions des élèves. La mixité est en revanche un avantage pour la cohésion sociale. "Elle augmente la qualité de la relation avec les pairs, du sentiment de sécurité, et diminue celui de déterminisme social", avance Elise Huillery.
Face au refus de parents de prendre des mesures incitant à une plus grande mixité scolaire (de peur par exemple que leur bien immobilier perde en valeur), "il faut rassurer tous les parents à qui l’Éducation nationale doit promettre une égalité de qualité d’enseignement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui", souligne Jean-Paul Delayahe. Dans ce sens, une répartition de manière égale des formations attractives et de celles qui le sont moins rassurerait les parents et permettrait la mise en œuvre de la mixité scolaire.
Le Choc des savoirs
Sur l’opposition au Choc des savoirs, "nous avons réussi à faire consensus", relève Olivier Beaufrère, secrétaire national du SNPDEN-UNSA. En effet, malgré leurs différences de visions, les organisations présentes à la journée d’étude, soit la CFDT, le SNES-FSU, le SNPDEN-UNSA et la FCPE, sont d’accord sur un point : le rejet du Choc des savoirs, réforme qui amplifie les inégalités.
Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, pointe la "démarche politicienne" de Gabriel Attal qui a cherché à se construire un "destin politique" avec cette réforme. Pour autant, il ne faut pas oublier la "démarche éducative et politique" qu’il y a derrière. Avec le Choc des savoirs, c’est "une vision de l’Ecole qui est attaquée", celle de l’école publique inclusive et du vivre-ensemble. "La logique de tri des élèves a des effets délétères sur l’estime des élèves et sur leur capacité à progresser et à pouvoir atteindre un niveau d’exigence", estime Sophie Vénétitay.
Pour Olivier Beaufrère, cette réforme est simplement "intenable". Des établissements n’ont déjà pas les moyens de la mettre en place, les tensions sont trop vives, le manque de vivier trop important. "Sur le terrain, on bidouille", mais ça ne pourra pas durer, estime Olivier Beaufrère.
Cette réforme répond au "populisme éducatif", estime Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale de la CFDT Education Formation Recherche publiques. En voulant répondre aux craintes des classes moyennes face à la baisse du niveau, Attal n’a pas "instruit le sujet sur le fond", et a apporté une réponse immédiate basée sur le principe de "laisser ensemble ceux qui vont vite". La secrétaire générale insiste sur la nécessité de laisser aux enseignant la liberté de décider l’organisation souhaitable. Quant aux programmes, "plus on les densifie, plus les diplômes sont concrets et moins les professeurs auront la possibilité de mettre en place des pratiques de coopération, qui risquent donc de reculer, de même que l’accompagnement des élèves". La surcharge de travail vécu sur le terrain aboutit en outre à "un isolement professoral", pointe Catherine Nave-Bekhti.
"Le Choc des savoirs a été un piège sémantique, et donc politique", assure Sophie Vénétitay qui insiste sur l’importance que la profession, en crise, se réapproprie son métier, dans un contexte où le gouvernement multiplie les injonctions et les directives à son égard.
Face aux défis actuels, l’idée d’une Convention citoyenne sur l’éducation, sur le même modèle que celle sur le climat, a été reçue favorablement par les intervenant.es, sans que des étapes d’action soient cependant élaborées.
Extrait de touteduc.fr du 28.11.24
Voir aussi du même jour : Repenser la globalité du système éducatif (N. Vallaud-Belkacem et D. Paget à la journée d’étude IREA) (ToutEduc)