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Dans la revue Persée, deux articles de Stéphane Bonnéry et Pierre Merle sur l’enseignement privé sous contrat (ToutEduc)

17 septembre

Comment l’enseignement privé sous contrat attaque l’école publique (Stéphane Bonnéry, Pierre Merle)

Depuis près de 25 ans, entre 1998 et 2022, l’enseignement public "a perdu plus de 200 000 élèves tandis que le privé sous contrat en a gagné plus de 100 000", le public a perdu 7 % de ses postes d’enseignants ("plus de 56 000" tandis que le privé sous contrat n’en perdait que 3 800" : la proportion d’enseignants du privé "(payés par l’état comme ceux du public)" est ainsi passée de 18 % à 19 %, calcule Stéphane Bonnéry qui publie dans la revue militante "La pensée" un article titré "Favoriser L’école privée : 20 ans de politiques économiques".

Pour le chercheur, "les gouvernants français ont conduit une offensive durable pour favoriser le financement de l’enseignement privé au détriment de l’école publique". Il constate d’abord que "la population prédominante de l’enseignement privé n’est plus, comme il y a un siècle, constituée de familles fidèles, fréquentant ce mode de scolarisation essentiellement par choix politique" puisque "moins d’un cinquième des élèves du privé font toute leur scolarité dans celui-ci". L’enseignement privé vise aujourd’hui "une clientèle voulant éviter le collège unique".

Par ailleurs, les gouvernants successifs ont subi la vague démographique du "baby-boom" des années 1995-2014 qu’ils ont vécue "comme une contrainte économique, à laquelle ils ont tenté de se soustraire en limitant les constructions d’infrastructures, les recrutements et la formation" mais ils ont également fait de cette poussée démographique une occasion "pour favoriser l’enseignement privé au détriment du public", "mis à part une période plus ambiguë durant la présidence Hollande, qui a un réduit l’hémorragie de postes mais a participé à déstabiliser la finalité égalitaire des programmes" avec "la réforme vallaud-Belkacem qui a remplacé des cours disciplinaires par des contenus incertains à l’application très inégalitaire selon les quartiers".

Stéphane Bonnéry estime d’ailleurs que "la disqualification médiatique de l’école publique telle qu’on l’a vue à l’œuvre avec Amélie Oudéa Castera ne constitue pas une maladresse", mais un "révélateur" d’une politique fondée sur "le recul du commun au profit de solutions individuelles (...). Le scandale suscité a toutefois permis de commencer à éclairer cette nouvelle guerre scolaire déclenchée par le privé qui ne s’avoue pas comme telle."

De son côté, dans le même numéro de la revue, Pierre Merle étudie le processus d’embourgeoisement des collèges privés sous contrat depuis 2017, un phénomène qui contribue à expliquer les performances scolaires moyennes des élèves français aux évaluations PISA et la forte inégalité de réussite selon l’origine sociale.

Déjà, explique-t-il, l’embourgeoisement se mesure à travers l’évolution de la moyenne des indices de position sociale (IPS), passée de 102,5 à 104,1 entre 2017 et 2022 tous secteurs confondus. Mais si elle est restée quasi stable dans les collèges publics, passant de 99,4 à 100,1 elle a progressé de 4,4 points dans les collèges privés (de 112,7 à 117,1), portant l’écart de recrutement social entre les collèges publics et privés de 13,3 points à 17 points sur la période.

De plus, les collèges privés sont, au regard de la faible variance des IPS, un indicateur de dispersion éclairant le niveau de ségrégation sociale interétablissements et intraétablissement, “plus souvent semblables que ceux du public“ (43 contre 165 en 2022), et de plus en plus. En effet, les variances des IPS des collèges publics et privés ont baissé de 2017 à 2022, cette baisse est sensiblement plus accentuée dans les collèges privés entre eux (- 31 %) que chez ceux des collèges publics (- 11 %). Et comme la variance intersecteur (public-privé) a sensiblement augmenté (+ 66 %), en conséquence “les collèges privés, caractérisés en 2017 par une diversité sociale plus faible que celle des collèges publics, sont encore plus semblables socialement en 2022, et les deux secteurs sont encore plus différenciés.“

Quant à la mixité intraétablissements, c’est à dire au sein même des établissements, le calcul de l’écart-type moyen des IPS (plus il est petit, plus la mixité sociale sera faible) indique que les collèges publics sont plus mixtes que les collèges privés autant en 2019 qu’en 2022, et que si dans les deux cas la mixité sociale des collèges s’est réduite sur ces 3 années, cette baisse est “sensiblement supérieure“ dans les collèges privés (-15,2 % vs - 6,9 %). Ce “double mouvement d’homogénéisation sociale“ caractérise ainsi “une croissance sensible de l’entre-soi dans les collèges privés“ qui sont “de plus en plus des univers sociaux clos sur eux-mêmes“, dénonce Pierre Merle.

Sont rappelées les causes de ce phénomène d’embourgeoisement : stratégies parentales mais surtout celles mises en œuvre par l’enseignement catholique pour scolariser les enfants d’origine aisée à travers une sélection à la fois académique, sociale mais aussi “ethnique“, ou encore pour fermer des établissements au recrutement social moins défavorisé pour en ouvrir de nouveaux dans les quartiers et communes périurbaines au recrutement favorisé.

Mais avec quels effets ? En matière d’apprentissage, les élèves d’origine populaire “sont les plus pénalisés dans leurs apprentissages par l’absence de mixité sociale“, subissant des conditions d’apprentissage dégradées (plus grande fréquence de postes vacants, de contractuels peu ou non formés ou de jeunes professeurs dont l’expérience pédagogique est limitée) tout en concentrant des élèves en difficulté scolaire. D’ailleurs, des analyses de l’OCDE montrent que “la scolarisation dans un établissement accueillant de nombreux élèves de niveau scolaire faible exerce un effet négatif sur leur performance scolaire“, tandis que “la présence dans la même classe de camarades très performants exerce un effet bénéfique sur les performances scolaires“. Un effet bénéfique “accaparé par les collèges privés“, du fait de leur embourgeoisement, au détriment de ceux du secteur public.

En regardant l’écart d’équité dans la dernière évaluation PISA, c’est à dire la différence de compétences entre les quarts des élèves les plus défavorisés et les plus favorisés, l’école française, avec 112,5 points se situe parmi les pays les plus inégalitaires juste devant la Roumanie (131,8 pts.), la Hongrie (121,1 pts) et la Belgique (116,9 pts). A l’inverse, sont citées les réformes des systèmes éducatifs allemands et polonais qui “montrent l’effet positif sur les performances scolaires des élèves d’une politique scolaire déségrégative“, favorisée “par la limitation du choix de l’établissement par les parents.“

Pour finir, Pierre Merle dénonce la ségrégation “intraclasse“ qu’ajouteraient les groupes de niveaux souhaités par Gabriel Attal dans sa politique du “Choc des savoirs“, celle-ci conduisant à un “accroissement des inégalités sociales de réussite et une réduction du niveau de compétences moyen des élèves“. Une “politique éducative ségrégative“ qui se révèle être “un choix de société, celui de la reproduction des inégalités sociales, de la sécession des catégories les plus favorisées, et d’une école socialement divisée et hiérarchisée à laquelle l’enseignement catholique contribue de façon active.“

Le site de la revue ici
(articles bientôt disponibles sur Cairn)

Extrait de touteduc.fr du 13.09.24

Au sommaire :
- Favoriser l’école privée : 20 ans de politiques économiques par Stéphane Bonnéry
- Embourgeoisement des collèges privés et résultats PISA par Pierre Merle

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