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Ecole publique, école privée : quelles images en ont les Français (Fondation Jean-Jaurès, BVA Xsight)
Plus de la moitié des parents qui ont au moins un enfant scolarisé dans le public persisteraient dans leur choix si c’était à refaire, 3 sur 10 choisiraient le privé, 17 % ne savent pas. Ces données sont tirées d’une enquête réalisée par BVA Xsight pour la Fondation Jean-Jaurès qui "a souhaité faire le point sur le ressenti des Français sur l’école publique et l’école privée".
En voici les principaux enseignements. Les Français sont plus souvent "très attachés" à l’école publique (57 %) qu’à l’école privée (31 %). Ils considèrent que l’Ecole publique fonctionne très bien en maternelle (23 %), en élémentaire (17 %), ils sont nettement moins nombreux pour ce qui est du collège (9 %) ou du lycée (10 %), alors que le niveau de grande satisfaction se maintient dans le privé aux environs de 25 %. Les 73 % qui déplorent une dégradation de l’école publique pointent la hausse de la violence (52%), le manque de discipline (43%) et le non-remplacement des professeurs absents (46%). Ils ne sont que 15 % à déplorer une dégradation de l’école privée.
Et pourtant, 79 % des parents qui ont un enfant dans le public en sont satisfaits, un taux qui monte à 90 % dans le privé, notamment pour la qualité des enseignements, la sécurité et le bien-être des élèves.
Les valeurs associées à l’école publique sont d’abord la mixité, l’ouverture et l’égalité. Le respect et l’autorité sont en queue de peloton, alors que ces valeurs sont en tête pour le privé. En revanche l’émancipation et l’altérité sont beaucoup moins associées au privé. "Seuls 47% des Français jugent que le ’mérite’ est un mot qui s’applique bien à l’école publique (contre 71% pour le privé)". Alors que la mixité sociale est "primordiale" pour les sympathisants de gauche (51 %) et de Renaissance (57 %), elle ne l’est au total que pour 38 % des répondants, c’est même une question "secondaire" pour un quart des sympathisants RN. L’école publique la favorise pour 72 % des répondants qui ne sont que 48 % à lui faire confiance pour "tirer les meilleurs élèves vers le haut" et 22 % à lui faire confiance pour remplacer les professeurs absents. Lorsqu’on les interroge sur l’école privée, ils sont 77 % à lui faire confiance pour tirer les meilleurs vers le haut, 68 % pour remplacer les professeurs absents, 50 % pour ce qui est de la mixité sociale.
A noter que seuls 53 % des répondants sont favorables à un raccourcissement des vacances d’été, 60 % à la généralisation de l’uniforme, 64 % aux groupes de niveau alors qu’ils sont 82 % à être favorables à la restriction de l’usage des écrans à l’école. 48 % des répondants estiment qu’il n’est pas normal que les établissements privés soient finances à 75 % par l’Etat.
L’enquête détaillée ici (PDF), le commentaire de la fondation Jean Jaurès ici
C’est en effet le seul sujet sur lequel les parents ayant un enfant scolarisé dans le public – par ailleurs globalement satisfaits – se montrent très critiques : la moitié d’entre eux (46%) ne sont pas satisfaits sur ce point et 62% font part de leur défiance à l’égard de l’école publique pour remplacer les professeurs absents.
C’est également le sujet où l’écart est le plus net en faveur de l’école privée, jugée nettement plus compétente sur le sujet : 68% des Français font confiance au secteur privé dans ce domaine, contre seulement 22% au secteur public, soit un écart colossal de 46 points. Plus problématique peut-être, ce sentiment ne relève pas seulement d’une projection – reposant potentiellement sur un fantasme – mais s’appuie sur un constat manifestement très différent selon que son enfant est scolarisé dans le public ou le privé : ceux ayant fait le choix du privé sont pleinement satisfaits du remplacement des cours manqués (83%) contre seulement 47% de ceux dont les enfants fréquentent une école publique ; et ces derniers font eux-mêmes plus confiance au privé (65%) qu’au public (35%) pour satisfaire cette exigence.
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Même si c’est un choix par défaut, les parents d’enfants scolarisés dans le public se montrent globalement satisfaits
En dehors de ce point spécifique, les personnes ayant au moins un enfant fréquentant un établissement public se montrent toutefois largement satisfaites. Elles sont 79% à afficher globalement leur satisfaction à l’égard de l’école publique. Elles apprécient notamment les locaux (82%) et le matériel mis à disposition (79%) mais aussi, sur le fond, la qualité des enseignements (77%), l’engagement des professeurs (76%) ou encore le bien-être des élèves (77%) : on est loin du tableau apocalyptique que dressent certaines personnes quand on demande aux principaux intéressés ce qu’il en est concrètement.
Même sur les sujets pointés du doigt par les Français comme s’étant dégradés au fil des ans, les parents ayant scolarisé leur enfant dans le public se montrent globalement satisfaits, sans donner à penser que la situation serait particulièrement critique : 77% à propos de la sécurité des élèves, 69% concernant le respect et de la discipline. Ils se montrent également nettement plus nombreux qu’en moyenne à considérer que l’efficacité (60% contre 45%) et la progression (61% contre 50%) s’appliquent bien à l’école publique, signes qu’il n’y a pas à leurs yeux d’inquiétude majeure sur la capacité de l’école publique à faire progresser leur enfant.
Certes, ils n’expriment pas le même enthousiasme que les parents scolarisant leurs enfants dans le privé : ces derniers sont 90% à exprimer leur contentement de façon générale (dont 46% « très satisfaits ») et leur niveau de satisfaction détaillée dépasse les 80% quel que soit le sujet – on frôle le plébiscite !
Mais peut-on vraiment comparer une situation qui, dans un cas, est le plus souvent un choix par défaut (41% des parents dont les enfants sont dans le public les ont inscrits car c’était gratuit, 38% parce que c’était l’école la plus proche de leur domicile, 9% ne se sont même pas posé la question) ; et, dans l’autre, un choix motivé par le souhait de se démarquer pour quelque chose « de mieux » (45% des parents dont les enfants sont dans le privé ont fait ce choix parce que le niveau leur paraissait meilleur, 39% parce que la discipline leur paraissait mieux respectée et seulement 16% suite à une mauvaise expérience dans le public ou 6% pour des raisons religieuses) ?
Une indéniable attractivité du secteur privé
Dans le cas du privé, nombre de parents rationnalisent leur choix et le valident a posteriori. Dans le cas du public, nombre de parents ne se posent pas la question, même si un quart inscrit ses enfants par conviction, car ils croient en l’école publique (23%).
Pour autant, ils ne semblent guère exprimer de regret à l’égard de cette situation : la majorité (54%) referait ainsi la même chose s’ils avaient la possibilité de faire autrement.
Ils sont toute de même 29% à indiquer que s’ils le pouvaient, ils inscriraient leur enfant dans un établissement non géré par l’État, signe d’une indéniable attractivité du secteur privé, auréolé de la promesse d’une réussite qui, dans un monde anxiogène dans lequel on a le sentiment que ses enfants vivront moins bien que soi, offre des conditions d’apprentissage et donc une chance de s’en sortir que l’on redoute de ne pas avoir en restant dans le public.
De fait, il est intéressant d’observer que les questions d’autorité, de discipline et de violence semblent être des facteurs importants dans le choix de l’école privée fait par certains parents, interrogeant par conséquent l’image renvoyée par l’école publique sur ces questions fondamentales. Si les considérations religieuses comptent peu dans le choix de l’école privée (6%), la réponse que celle-ci semble apporter à une double insécurité vécue ou ressentie par des élèves et/ou leurs parents, à savoir l’insécurité physique (violence) et l’insécurité scolaire (conditions d’apprentissage), interroge sur les difficultés de l’institution scolaire publique à gérer non seulement l’hétérogénéité des élèves, mais également à faire face de manière satisfaisante aux perturbations occasionnées par certains élèves.
Les différences de résultats dans les réponses apportées entre les raisons avancées de la dégradation de l’école publique d’une part (hausse de la violence – 52% – et manque de discipline – 43%) et les éléments de satisfaction concernant les parents ayant des enfants scolarisés dans le public, d’autre part, semblent tenir au fait que les trois principales motivations données par les parents ayant scolarisé un enfant dans le privé concernent les apprentissages, l’autorité et la sécurité. Ils sont ainsi 45% à avoir choisi l’école privée car le niveau leur paraît meilleur. L’item qui suit immédiatement celui-ci nous renseigne sur les raisons de cette perception : les parents sont 39% à avoir fait le choix du privé pour des raisons de discipline, c’est-à-dire pour que leurs enfants profitent de conditions d’apprentissage propices et non perturbées. Le troisième item dans l’ordre d’importance concernant le choix de l’école privée touche à la question de la sécurité : 25% des parents l’ont choisie car la sécurité de leurs enfants leur semble mieux assurée.
Force est ainsi de constater que l’école publique souffre, et d’abord aux yeux de ceux qui ont choisi l’école privée, de l’image d’une école aux conditions dégradées, notamment au sein des classes, quand bien même les parents ayant choisi le public soulignent à 79% qu’ils sont globalement satisfaits de l’ambiance générale, ce qui signifie néanmoins que 21% ne le sont pas.
Ainsi, 29% des parents ayant un enfant scolarisé dans le public souhaiteraient le scolariser dans le privé mais ne le peuvent pas. Ce taux monte à 46% en Île-de-France où les académies de Créteil et Versailles cumulent, dans certains espaces, les difficultés scolaires et sociales, ce qui laisse penser que les questions de discipline, d’autorité et de violence peuvent renvoyer à la problématique de la mixité sociale, non seulement parce qu’il est établi que les établissements cumulant les difficultés sociales connaissent des situations disciplinaires plus difficiles à gérer qui peuvent entraîner des stratégies d’évitement scolaire notamment par l’école privée, mais également parce que ces établissements appellent une nécessité de mixité sociale afin de créer des ambiances davantage apaisées et donc propices aux apprentissages.
Il apparaît ainsi clairement que l’école publique, si elle est appréciée par la majorité des parents dont un enfant y est scolarisé, souffre néanmoins d’une image dégradée liée aux difficultés à résoudre les questions de discipline, et donc d’autorité et de sécurité.
La mixité sociale, une valeur jugée peu primordiale, n’est pas perçue comme étant totalement l’apanage de l’école publique
Autre difficulté de l’école publique : sa capacité à faire la preuve qu’elle est la seule à garantir la mixité sociale de ses élèves. Même si la très grande majorité d’entre eux considère que c’est une valeur qui s’applique bien à l’école publique (78%) et que la confiance qui lui est accordée est élevée sur ce point (72%) – c’est de loin le principal atout de l’école publique à leurs yeux –, elle n’en a toutefois pas le monopole selon eux : 54% des Français estiment également que cette valeur s’applique bien à l’école privée et 50% font confiance à cette dernière pour la garantir.
Les jugements sont donc nettement plus sévères pour le privé mais le fait que la moitié des Français considère positivement l’école privée, y compris sur le sujet de la mixité sociale, dont il est pourtant démontré via les statistiques officielles du ministère qu’elle scolarise de plus en plus d’enfants favorisés, montre que l’école privée n’est pas massivement perçue comme le lieu de l’entre-soi et de l’élite.
En réalité, la mixité sociale ne constitue plus aujourd’hui un impératif fort assigné à l’école par les Français : seuls 38% jugent cela primordial, quand 45% estiment que c’est certes important, mais pas primordial ; et 11% que c’est secondaire. Les parents ayant un enfant dans le public sont un peu plus nombreux que ceux qui l’ont inscrit dans le privé à juger cela primordial (38% contre 30%), mais sans que cela ne constitue une réelle priorité pour eux non plus.
Tout se passe comme si ce n’était pas vraiment important de côtoyer des élèves d’un milieu différent. D’ailleurs, seuls 11% des parents ayant scolarisé leur enfant dans le public déclarent l’avoir fait pour qu’ils se mélangent avec d’autres élèves. Les parents du privé ne cherchent pas non plus à fuir la situation, du moins dans leurs dires – seuls 6% des parents ayant inscrit leur enfant dans le privé l’ont fait pour qu’il y ait moins d’hétérogénéité dans les classes. Le sujet est peut-être tabou, mais il est a minima relayé en arrière-plan.
Une exception toutefois : les sympathisants de gauche sont une majorité à considérer la mixité sociale à l’école comme étant primordiale (51%). L’école reste effectivement un sujet éminemment politique et, au-delà de ces constats d’ensemble, ce qui frappe à la lecture des résultats, c’est à quel point le clivage gauche-droite, qu’on dit parfois dépassé, fonctionne encore pour l’école.
École publique vs école privée : un clivage gauche-droite réactivé
Les sympathisants de gauche sont en effet très fortement attachés à l’école publique – ils en font même souvent une question de principe et affichent de fortes convictions sur le sujet (parmi les parents dont l’enfant fréquente une école publique, 41% en ont fait un choix délibéré).
Ils se montrent ainsi systématiquement plus enclins à valoriser l’école publique, en lui associant davantage certaines valeurs (égalité, ouverture, progression) ou en affichant une confiance élevée à son égard, notamment pour favoriser l’apprentissage des élèves (69% vs 57% en moyenne), tirer les meilleurs élèves vers le haut (62% vs 48%) ou favoriser la liberté de conscience et l’émancipation (69% vs 55%).
S’ils constatent eux aussi une dégradation de la situation (69%) et ne nient pas certains problèmes, ils les imputent beaucoup plus qu’en moyenne à des causes structurelles et plus politiques : le manque de moyens (38%), le nombre d’élèves par classe (35%) ou les réformes successives qui déstabilisent les établissements (31%).
Les sympathisants de droite, quant à eux, se montrent très attachés à l’école privée, qu’ils parent notamment de vertus qui feraient particulièrement défaut à l’école publique, comme l’autorité (91% pensent que cela s’applique bien à l’école privée, seulement 28% à l’école publique) ou le respect (92% contre 29%) ; leur confiance dans l’école privée est également nettement plus élevée, notamment pour remplacer les professeurs absents où l’écart avec le public est le plus abyssal (81% vs 13%).
Cette vision très différenciée entre sympathisants de gauche et de droite se retrouve dans l’accueil réservé à certaines mesures, comme l’uniforme à l’école, plébiscité par les sympathisants de droite (63%) et beaucoup moins par les sympathisants de gauche (48%) ; ou à l’inverse la fin de Parcoursup, largement réclamée à gauche (65%), beaucoup moins à droite (47%).
Si ces résultats sont, somme toute, assez attendus, il est intéressant de regarder les réponses des sympathisants Rassemblement national (RN), qui se font l’écho d’une perception peut-être moins politisée du sujet, où l’école publique semble surtout critiquée parce qu’elle ne remplit pas certaines de ses fonctions : garantir la sécurité des élèves et être un potentiel ascenseur social. Les sympathisants RN sont ainsi nettement moins nombreux qu’en moyenne à considérer que la solidarité (43%) ou l’égalité (48%) sont des valeurs qui s’appliquent à l’école publique. Ils se montrent par ailleurs particulièrement peu confiants sur sa capacité à aider les élèves les plus en difficulté (37%). Ce sont également ceux qui considèrent le plus que la situation s’est dégradée (81%), notamment en raison d’une hausse de la violence (63%).
Pour autant, on aurait tort de surinterpréter ces différences de perception sur l’école pour en faire un objet de clivage absolu chez les Français : beaucoup de mesures testées dans l’enquête s’avèrent en réalité plutôt consensuelles, ou en tout cas approuvée par une large majorité, y compris celles ayant suscité de fortes oppositions des enseignants. L’instauration de groupes de niveau, par exemple, est approuvée par 64% des Français, 70% des parents d’enfants scolarisés et 62% des sympathisants de gauche. La mesure la moins appréciée est celle relative à la réduction des vacances scolaires (notamment l’été et plus spécifiquement dans les réseaux d’éducation prioritaire (REP)) : une petite majorité l’approuve néanmoins (53%), y compris chez les parents d’enfants scolarisés (56%).
Même s’ils en ont une bonne image, les Français s’interrogent sur les modalités de financement de l’école privée
Lorsqu’on interroge les Français sur le financement de l’école privée, peu se montrent au fait du montant réel versé chaque année par l’État, ce qui est assez logique. Plus surprenante peut-être au regard de leur vision très positive de ce secteur, leur position sur le sujet : le fait que l’école privée soit financée en grande partie par de l’argent public ne leur paraît pas aller de soi.
Ainsi, seuls 33% jugent cela normal au regard de la mission de service public assurée par l’école privée ; mais 48% estiment que ce n’est pas normal dans la mesure où les deux systèmes ne sont pas soumis aux mêmes règles (recrutement, organisation…). À défaut de connaître le montant précis financé (56% n’en ont aucune idée), ils s’interrogent tout de même sur les modalités de financement du système privé, auquel ils contribuent via leurs impôts sans en avoir forcément conscience.
Chacun voit un peu midi à sa porte : les parents ayant un enfant dans le privé jugent ainsi majoritairement ce système justifié (55%) quand, à l’inverse, ceux dont l’enfant fréquente une école publique le juge majoritairement anormal (54%). Une perception non exempte de considérations politiques puisque, là aussi, sympathisants de gauche et de droite s’opposent, les premiers pour dénoncer ce financement, les seconds pour l’approuver.
En définitive, la guerre entre le public et le privé aura-t-elle lieu en cette rentrée 2024 ? Non, serait-on tenté de répondre, car l’opposition est moins systématique qu’on ne le pense, avec des Français qui restent majoritairement très attachés au système public mais en déplorent les dysfonctionnements grandissants, auxquels échapperait selon eux l’école privée. Tout l’enjeu à l’avenir est de savoir si l’attractivité de l’école privée est un miroir conjoncturel de cette situation, ou si elle révèle une bascule plus importante des Français dans un souhait de privatisation et d’individualisation de l’enseignement.