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Sylvie Gerbert : professeure des écoles dans une classe multi-niveaux d’un village de montagne (Docs sur l’Educ)

8 avril

Sylvie Gerbert : professeure des écoles dans une classe multi-niveaux d’un village de montagne

« Docs sur l’Éduc » fait cette semaine un pas de côté, du moins en apparence, en allant à la rencontre de Sylvie Gerbert professeure des écoles et directrice de l’école de l’Obiou située dans le petit village de Corps en Isère. Elle y travaille depuis de nombreuses années et est confrontée à la gestion d’une classe regroupant les cinq niveaux de l’école élémentaire. En tant que directrice elle doit gérer l’éloignement des services publics, des centres culturels et équipements sportifs, la fragilité sociale de bien des familles. Par de nombreux aspects l’exercice du métier présente les mêmes caractéristiques que celles rencontrées dans les territoires urbains des REP, sans que pour autant l’Éducation Nationale y mette les moyens nécessaires pour permettre aux élèves d’accéder à l’épanouissement culturel qui leur fait défaut – pas de dotations pour mener certains projets, pas de dédoublement de classes, pas de prise en compte de la complexité et de la difficulté du métier pour les collègues. Pourtant cela n’a pas toujours été le cas. Contrairement à l’académie de Grenoble, celle limitrophe d’Aix-Marseille a connu « ses ZEP de montagne » : trois collèges et les écoles primaires correspondantes étaient classées ZEP dans les Hautes-Alpes – à Veynes et l’Argentière-la-Bessée – jusqu’à ce que la révision de la carte les exclut de ce dispositif.

« Avoir une classe avec cinq niveaux différents demande beaucoup de préparation de ma part afin que les enfants travaillent au maximum en autonomie. Je consacre beaucoup de temps aux CP qui ne sont pas encore lecteurs et aux « cycle 3 » afin qu’ils acquièrent les mêmes compétences que les autres élèves arrivant au collège […] Un enfant qui sait lire se souvient très bien de la méthode qu’il a utilisée. Quand les bases sont acquises chez les plus jeunes, la transmission par les plus grands est tout à fait possible et profitable » nous confie Sylvie Gerbert.

Le contexte géographique et social

Corps est une petite commune du sud-est de la France, située dans la région du Beaumont au cœur des Alpes du Sud à la limite entre le département de l’Isère et celui des Hautes-Alpes. Le village de Corps est entouré de hautes montagnes, dont l’Obiou dans le massif du Dévoluy qui surplombe le lac du Sautet.

C’est là que s’achève le volet « description bucolique » de ce billet.

Sa population est de 420 habitants environ – Corps en a connu jusqu’à 1500 au dix-neuvième siècle (avant le début de l’exode rural vers l’agglomération grenobloise). Le nombre d’habitants continue de décroitre régulièrement. Corps est caractéristique de la désertification des zones rurales et du recul de l’état dans celles-ci. La commune a subi de plein fouet les suppressions d’emplois dans la fonction publique avec l’application de la Révision Générale des Politiques Publiques mise en place en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy : fermeture du bureau de poste, de la perception et de la gendarmerie. Les seuls services restants sont ceux de la municipalité, une équipe d’agents du conseil département pour l’entretien des routes et les deux professeures d’école.

Une entreprise de sous-traitance de l’industrie électronique fait de la résistance dans ce contexte, EDF exploite une usine hydro-électrique.

Corps se situe à 40 km au nord de Gap, à 65 km au sud de Grenoble et à 220 km de Marseille. Elle est en limite de l’académie de Grenoble, l’école voisine dans le village de La Salle est à 15 km. Il existe aussi une école à Saint Firmin située à 15 km dans la direction opposée, dans l’académie d’Aix-Marseille toute proche.

L’école de Corps fait partie de la circonscription « Grenoble Montagne » qui regroupe les nombreux villages et bourgs de l’Oisans, de la Matheysine-Beaumont et du Trièves. Elle est composée de deux classes pour un total de 40 élèves, une classe scolarisant tous les enfants de la maternelle (de la petite à la grande section) et une autre pour tous les enfants du primaire (du CP au CM2). Elle recrute aussi sur les sept villages environnants (Pellafol, La Salette, Sainte Luce, Côtes de Corps, Ambel, Monestier d’Ambel et Beaufin). Elle a connu une fermeture de classe en septembre 2023.

La pratique pédagogique

Le fonctionnement de la classe est adapté à la pluralité des niveaux. La matinée est consacrée à des activités spécifiques pour chaque niveau scolaire (du CP à CM2). L’après-midi la classe est partagée en deux groupes distincts suivant l’âge des élèves. Dans la journée les grands aident les petits qui n’hésitent pas à les solliciter. Ce système de tutorat qui se met en place spontanément est une technique assez répandue de gestion d’une classe hétérogène. On la retrouve souvent en REP quand les collègues sont confrontés à des niveaux différents. On peut remarquer – en aparté – que cette façon d’enseigner prend l’exact contre-pied des théories vantant l’uniformité du groupe et justifiant par conséquent l’éclatement du groupe classe comme le préconise « le choc des savoirs ». Cette méthode est par ailleurs très gratifiante pour l’enfant qui est chargé de transmettre, même s’il se trouve en difficulté scolaire, car il prend conscience de la place qu’il occupe au sein de la collectivité.

Pour combattre les effets de l’isolement géographique, les enseignant.es vont chercher loin les ressources culturelles ou sportives (le théâtre et la piscine sont à 25 km, le musée départemental à 40). Nous retrouvons sur ce terrain aussi les mêmes façons de procéder que celles des enseignants des réseaux d’éducation prioritaire en ville : aller chercher des points d’appui dans l’environnement social et culturel existant.

Le travail de directrice

Bien que recrutant sur huit communes différentes, la municipalité de référence reste celle où est implantée l’école et de ce point de vue le travail ne diffère en rien de ce que font les autres directeur·trices du pays.

Par contre une attention particulière est apportée à la relation avec les familles (comme en REP) où la directrice signale régulièrement aux parents les problèmes qu’elle peut déceler concernant le développement de l’enfant. Dans ces petites communes, les familles se sentent souvent isolées et elles trouvent chez les enseignant.es un appui qui n’existe pas ailleurs. Vu sous cet aspect, le métier d’enseignant dépasse le simple volet transmissif et intègre une dimension sociale importante. La situation de ces familles est marquée par une précarité certaine, l’emploi est rare dans cette région, l’existence d’un chômage de masse, la multiplication d’activités saisonnières favorisent l’instabilité d’une partie de la population qui peut être amenée à se déplacer et à retourner en ville notamment. La hausse du coût de la vie, du budget « transport », les limites du télétravail, la difficulté de trouver un boulot stable encouragent ce mouvement.

Un tissu associatif et des collectivités locales qui comblent les carences de l’Etat.

« Malgré l’éloignement de notre école, nous avons la chance de bénéficier d’un réseau associatif qui nous apporte un complément culturel important. Par exemple, l’association « Cinévadrouille » nous permet de bénéficier du dispositif d’éducation à l’image “École et cinéma” qui propose aux élèves d’obtenir les bases d’une culture cinématographique en visionnant et analysant entre trois et cinq films dans l’année. D’autre part, l’Association « les Montagn’arts » nous permet d’assister à deux spectacles sous chapiteau lors de son festival organisé une fois par an. C’est une chance pour nos élèves qui ne sortent que très rarement en famille. Avec “Drac nature” ou le Parc National des Écrins, nous sensibilisons les élèves à la protection de l’environnement en visitant des Espaces Naturels Sensibles proches de Corps et en expliquant leurs rôles. Nous pouvons aussi emprunter divers jeux à l’association “Ludothèque” qui se trouve dans un village voisin et nous nous rendons deux fois par mois à la médiathèque de Corps. »

Les parents d’élèves

Il existe une autre association qui est très importante pour l’école, il s’agit de l’APE qui permet de financer divers projets tels qu’un cycle de ski, une classe de découverte, un spectacle vivant, des intervenants en musique/théâtre/danse, un cycle de voile…

La directrice fait des propositions en début d’année scolaire et l’association décide ce qu’elle peut ou souhaite financer. « Sans ce réseau associatif, nous serions vraiment très isolés ».

Une aide essentielle des collectivités

Les mairies prennent en charge les trajets entre l’école et le lieu de ressources, le Conseil départemental peut aussi accorder des subventions pour le premier degré (qui n’est pas dans son champ de compétences). Les communes participent toutes sans exception au fonctionnement des projets.

La mise en commun des pratiques et expériences avec les autres collègues des écoles à proximité se fait avec les Équipes Mobiles d’Animation et de Liaison Académique (il en existe trois sur la circonscription). Un.e PE est détachée pour animer ces échanges.

Dans le contexte de fragilisation de l’école publique un dispositif « plus de maîtres que de classes » – un enseignant supplémentaire par école ou groupe d’écoles – aurait introduit beaucoup plus de fluidité dans la transmission des savoirs. Mis en place en 2013, il aurait eu toute sa place ici s’il n’avait été supprimé par J-M Blanquer en 2017 dans un contexte de limitation de l’emploi public en particulier dans l’éducation.

Une école qui tient avec la mobilisation de celles qui la font vivre au quotidien et qui se dépensent sans compter.

Le travail de direction est seulement reconnu à hauteur d’une journée de décharge par mois, la préparation et l’animation de telles classes multi-niveaux conduisent à des semaines de travail d’une cinquantaine d’heures (temps estimé par les principales concernées). La charge mentale continue bien après la fin de la journée.

« C’est sans regret tout de même, j’adore mon travail et mes élèves. Et ils me le rendent bien. »

Certes, mais s’appuyer sur la motivation des personnels, l’engagement des parents, la présence des associations et des collectivités … est-ce vraiment la seule réponse que l’état doit apporter pour développer une école émancipatrice sur tout le territoire ?

Alain Barlatier
Contact : barlalain@gmail.com

Pour écouter l’intégralité de l’entretien avec Sylvie Gerbert, c’est ici

Extrait de cafepedagogique.net du 05.04.24

 

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