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Les réformes de l’éducation se font aussi, et surtout, par le milieu.
Ce texte a été publié dans Le Monde de l’éducation le 17 novembre 2020.
Depuis plusieurs décennies, les réformes du système éducatif se suivent et se ressemblent dans leur processus d’élaboration et de mise en œuvre : une vision politique ambitieuse, des consultations plus ou moins longues et houleuses avec les partenaires sociaux, la promulgation d’une loi ou la publication d’un texte administratif (décret, arrêté, circulaire), une couverture médiatique qui oscille entre soutien et défiance, et, sur le terrain, une réception plus ou moins enthousiaste et une mise en œuvre plus ou moins fidèle à la lettre et à l’esprit de ces directives qui viennent « d’en haut ».
Entre le ministre et l’élève de terminale confronté à la réforme du lycée mise en place à partir de la rentrée 2019, entre la Rue de Grenelle et les enseignants d’école maternelle qui s’interrogent sur les modalités pratiques de l’obligation d’instruction à trois ans, l’une des facettes majeures de l’activité quotidienne des personnels d’encadrement, inspecteurs d’académie et chefs d’établissement, est donc de « traduire » les modalités régulièrement renouvelées de la prescription du travail au sein de l’institution scolaire.
Dans les locaux d’une direction des services départementaux de l’éducation nationale ou lors d’une réunion du conseil pédagogique dans un lycée général, l’objectif est le même : rendre acceptables de nouvelles façons de travailler, c’est-à-dire utiles et utilisables par ceux et celles qui auront à mettre en place de nouveaux gestes professionnels sur le terrain. Les « pilotes » ressentent aussi parfois la nécessité de filtrer ces injonctions au changement, en fonction des réactions qu’une telle annonce pourrait déclencher chez les enseignants, entre autres. Il peut, par exemple, s’agir de négocier leur application en fonction de l’état des relations humaines et des moyens (humains, mais aussi financiers ou techniques).
[...] « Diriger par le milieu »
Alors, comment l’action publique peut-elle prendre mieux en compte les traductions différenciées des réformes selon les territoires ? Le chercheur anglais Andrew Hargreaves propose de « diriger par le milieu », c’est-à-dire de développer une culture de la responsabilité partagée et du professionnalisme collectif des acteurs intermédiaires. Copiloter donc… plus facile à prescrire qu’à pratiquer, comme un dossier du Centre Alain-Savary le rappelait en 2017, au sujet des réseaux d’éducation prioritaires. Le fonctionnement au quotidien des instances de pilotage collectif, comme les conseils école-collège ou les comités de pilotage des réseaux d’éducation prioritaire, permet en effet de façon inégale de dépasser les tensions constitutives du travail entre différents métiers.