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La bientraitance pédagogique (thèse) ; Le bien être par la discussion à visée philosophique : entretiens du Café avec Marie-Pierre Bidal-Loton et Christian Budex. Des ateliers philo dans les quartiers (L’Express)

26 novembre 2020

Marie-Pierre Bidal-Loton : La bientraitance pédagogique
Pour Marie-Pierre Bidal-Loton, psychologue clinicienne, enseignante, docteure en Sciences de l’Education, le bien-être à l’école est indissociable de la bientraitance pédagogique. Bien plus, cette dernière est un moyen de « panser » les difficultés des enseignants comme des élèves, surtout en cette période de tensions extrêmes à l’école.

Vous venez de soutenir une thèse de doctorat qui met en avant le bien-être et la bientraitance pédagogique à l’école. Pouvez-vous nous la présenter ?

Il s’agit d’une thèse qui retrace plus de cinq ans d’un travail de recherche dont le point de départ était l’état de souffrance psychique des élèves. Ce travail en sciences de l’éducation est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre chercheurs, professeurs et acteurs de terrain (enseignants et soignants). Il est, au plan éthique, le témoignage d’une philosophie du partage des savoirs théoriques et savoir-faire pratiques validant une vision holistique des besoins pédagogiques spécifiques de chacun. Il est aussi, au plan scientifique, le compte-rendu d’une recherche qui démontre l’efficacité d’une démarche bientraitante. Il s’agit d’une disposition humaine d’accueil actif des besoins spécifiques de chaque enfant, en matière d’apprentissage, afin de permettre un ajustement des propositions de travail. Cette expérimentation, par ses racines et sa légitimité scientifique, permet aujourd’hui au sein de l’école française de repenser l’accueil des élèves sous l’angle de la bientraitance pédagogique, dans le respect de leur singularité avec le soutènement des textes législatifs certes existants mais pour lesquels il manque une réorganisation sous forme de prescriptions humaines et professionnelles, une charte et une structuration pragmatique.

En cette période de crise sanitaire, les revendications des enseignants traduisent plutôt un mal-être scolaire. Est-il alors possible de penser le bien-être et la bientraitance à l’école ?

C’est très certainement parce que le contexte du travail d’enseignement actuel et les conditions d’exercice atteignent des sommets d’inconfort psychique que la question du bien-être se pose comme une solution, une sortie de secours. C’est certainement parce que, pour légion d’enseignants, cela semble impossible de penser le bien-être à l’école qu’ils pansent leurs difficiles conditions par la plainte et le décrochage : l’absentéisme pour maladie, et les démissions sont l’expression symptomatique de leur mal-être. Pourtant le bien-être, alternative à la maltraitance agie comme subie, est véritablement un possible cheminement vers un meilleur confort de travail dans l’école d’aujourd’hui. Si les enfants se sentent bien-traités à l’école et humainement respectés dans leurs différences (non pas stigmatisés, mais simplement reconnus dans ce qu’ils sont…), ils seront davantage en capacité de développer une attitude civique, bienveillante et respectueuse donc bénéfique pour tous. L’école doit offrir un encadrement sécure, c’est-à-dire un relationnel aux adultes fiable, bienveillant et une lisibilité suffisante des règles de fonctionnement. Ce cadre est la condition minimale du développement de la personne et ce n’est dangereusement pas le cas dans de nombreux contextes scolaires où la dignité humaine est écorchée laissant enfants comme enseignants à vif c’est-à-dire défensifs-agressifs et surtout vulnérables. Il y a urgence à penser l’école sur un plan psychoaffectif. Dans ma thèse, par l’utilisation d’une échelle d’évaluation du vécu subjectif, il a pu être établi un état des lieux de l’indigence de confort d’apprentissage. Mon étude, à l’origine de l’expérimentation d’un dispositif bientraitant, porte exclusivement sur le vécu en situation de classe. Pour mettre en place cette bientraitance pédagogique, productrice d’épanouissement personnel, il est indispensable de repenser les modalités d’accueil (encadrement sécure).

Une Charte de bientraitance Scolaire a été produite. Elle définit les bons gestes et précise les caractéristiques relationnelles bienveillantes capables de favoriser le lien de confiance interpersonnel, la récipro-régulation des besoins et des attentes, la compréhension réciproque et l’ajustement pédagogique. J’ai proposé et expérimenté cette charte de bientraitance dans deux contextes : avec des élèves à Besoins Educatifs Particuliers et avec une classe de cycle 3 ordinaire. Dans les deux cas, le niveau global de bien-être s’est vu augmenté ; et surtout les indicateurs de souffrance scolaire ont significativement diminué. De surcroît, ce vécu amélioré des élèves n’a aucunement sacrifié celui des enseignants bien au contraire. En charge d’être attentifs aux besoins des élèves en veillant à leurs bonnes conditions d’apprentissage selon des préconisations d’accompagnement spécifiques de la charte de bientraitance scolaire, les enseignants se sont vus eux-mêmes portés par la dimension humaine et bientraitante du projet et se sont sentis grandir avec lui. Ils étaient évidemment guidés dans cette expérimentation et étayés par un accompagnement, la supervision des pratiques. C’est cette organisation enveloppante et soutenante d’accompagnement de la pratique professionnelle qui permet la mise en place effective et réussie d’un accueil bientraitant pour les élèves et simultanément pour les enseignants. En effet, la bientraitance ne peut se mettre en œuvre que dans un contexte humain favorable à cette posture attentive, réceptive, compréhensive. Cette disposition personnelle/professionnelle particulière nécessite elle-même d’être bien-traitée. Il s’agit d’une part de guider l’enseignant dans l’accompagnement des élèves et d’autre part de cadrer/sécuriser l’enseignant pris dans un déplacement de sa pratique pédagogique vers davantage d’ajustement aux élèves. Cette action d’accompagnement de proximité des enseignants gagnerait à être mise en œuvre au sein de l’Education Nationale.

Cela nécessite également une bonne identification des modalités psycho-cognitives propres à chaque apprenant ; considérer le point de vue de l’élève et donc se décentrer de ses propres attentes pédagogiques (alimentées par ses désirs personnels, aspirations professionnelles et commandes institutionnelles). Cela permet en retour à l’élève de répondre de façon idoine aux attentes pédagogiques, valorisant ainsi ce dernier dans sa production scolaire mais également l’enseignant dans sa capacité à bien cibler son enseignement. Le succès de l’un est interdépendant de celui de l’autre (Habib & Bidal, 2017).

Pourquoi étudier une telle notion ?

Produire du bien-être chez les élèves génère en miroir du meilleur être chez leurs enseignants. J’espère promouvoir cette cruciale notion de bientraitance-pédagogique qui, issue de l’univers de la petite-enfance, a été récemment utilisée par la haute autorité de santé pour modéliser la relation d’accompagnement soignant-soigné. La notion de bientraitance est conceptualisée en l’associant au monde scolaire avec non seulement la dimension pédagogique mais également celle psychologique inhérente à toute dynamique relationnelle. Cette inclinaison attentive de l’enseignant qui prend connaissance auprès de l’élève de ses besoins permet une contractualisation de l’activité scolaire au sein de la dyade enseignant-apprenant avec une qualité relationnelle de confiance interpersonnelle.

Propos recueillis par Line Numa-Bocage
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université

Bidal, M.-P. (2020). La bientraitance pédagogique, une relation de confiance partagée, une attention ajustée.

Extrait de cafepedagogique.net du 26.11.20

 

Christian Budex : Bien-être à l’école et philosophie
" L’art du problème auquel la discussion à visée philosophique initie permet par ailleurs de « redonner de la saveur aux savoirs »". Professeur de philosophie, Christian Budex, nous propose d’envisager la discussion à visée philosophique pour construire d’autres relations au sein de l’école.

Vous réalisez une recherche qui met en avant le bien-être à l’école à travers la discussion à visée philosophique (DVP). Pouvez-vous nous la présenter ?

Mon champ de recherche est celui de la fraternité. Elle peut relever si l’on veut du bien-être social selon le sens que l’on accorde à ce terme. J’ai mené une recherche qui montre que la Discussion à Visée Philosophique (DVP), préconisée dès l’école élémentaire par le programme d’Enseignement Moral et civique depuis 2015, contribue à une éducation à la fraternité. Particulièrement difficile à incarner dans des pratiques scolaires quotidiennes, la fraternité trouverait dans cette pratique un dispositif pédagogique qui place les élèves et les enseignant(e)s dans des situations récurrentes d’expériences intellectuelles, psychoaffectives et conatives où s’éprouve en acte cette valeur dans sa dimension à la fois interindividuelle et collective. Cette recherche s’appuie sur une enquête de terrain menée en Ile-de-France entre 2018 et 2020 en école primaire et au collège. Elle montre en quoi la discussion collective des grandes questions universelles de l’existence, à condition d’être pratiquée régulièrement et dans un cadre éthique protecteur, peut développer chez les participant.e.s des dispositions éthiques et civiques qui contribuent à la culture d’une fraternité laïque : écoute, respect, tact, empathie, tolérance, solidarité, sentiment d’appartenance à la communauté des humains. Elle répond ainsi au besoin social, éducatif et politique d’une authentique transmission des valeurs de la République et en particulier de la fraternité, l’oubliée du triptyque pourtant indispensable à la survie de notre société ou de ce qu’on appelle communément le (mieux) « vivre ensemble ».

En cette période de crise sanitaire, les revendications des enseignants traduisent plutôt un mal-être scolaire que le bien-être. Est-il alors possible de penser le bien-être à l’école ?

La période actuelle est décidément difficile : à la crise sanitaire vient s’ajouter la tragédie criminelle qui a frappé l’école en son cœur ces jours derniers. J’appartiens à un centre d’aide aux personnels de l’éducation, le centre académique d’aide aux écoles et aux établissements (CAAEE) de l’académie de Versailles, qui œuvre dans le champ de la prévention des violences et de l’amélioration du climat scolaire et dont l’un des cœurs de missions est l’éthique relationnelle. Notre expérience dans les écoles, collèges et lycées depuis 20 ans, confirmée par les enquêtes locales de climat scolaire (ELCS), montre que la qualité des relations interindividuelles n’est pas l’objet d’une attention suffisante alors qu’elle est pourtant l’élément régulateur central du climat scolaire. L’école est encore trop souvent pensée comme un lieu où se juxtaposent des individus désaffectés sans prendre en considération la dimension éminemment relationnelle et affective d’un espace qui est autant un lieu de socialisation que de transmission. La recherche a pourtant établi depuis quelques années le lien entre la qualité des relations, le bien-être des élèves et la réussite dans les apprentissages.

Il existe des savoir-faire relationnels et communicationnels qu’il est possible d’acquérir comme autant de gestes professionnels aussi indispensables à la formation de la personne et du citoyen qu’à celles des enseignants, autres personnels de notre institution. La connaissance, reconnaissance et auto-régulation des émotions, les capacités d’écoute active et de communication bienveillante, l’empathie, le tact sont des compétences qui, sans être des remèdes magiques, doivent être davantage intégrées à la formation initiale et continue des personnels. Elles peuvent faciliter à la fois la transmission des connaissances et la qualité de la vie à l’école. Le programme d’EMC en 2015 a inauguré un changement de paradigme en invitant les élèves à cultiver leur sensibilité et développer des compétences sociales et émotionnelles. Mais qu’en est-il des adultes ? Les missions d’enseignement et d’éducation ne peuvent plus faire l’économie d’une pratique de la relation. Ce constat m’a amené à considérer la nécessité d’une culture du lien et de l’appartenance pour des dispositifs d’éducation à la fraternité à destination de tous les membres de la communauté éducative, aussi bien les élèves que les personnels ou les familles.

Pourquoi étudier une telle notion ? Et quelle définition en donnez-vous finalement ?

Les notions de bien-être, de bonheur, de réalisation de soi ou d’épanouissement sont aujourd’hui très présentes dans les aspirations des humains. Dans la tradition philosophique on parlait plus volontiers de la « vie bonne » ou du « souci de soi », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Dans sa dimension collective c’est l’expression du (mieux) « vivre ensemble » qui est souvent mise en avant. Parler de bien-être à l’école aujourd’hui renvoie à l’idée que la vie scolaire des élèves doit pouvoir satisfaire un certain nombre de besoins fondamentaux indispensables à l’épanouissement individuel et collectif des enfants et des adolescents, comme aux finalités pédagogiques et éducatives de l’école : bien-être physique, psychologique, cognitif et social.

Mon travail s’oriente principalement vers le dernier champ – sentiment d’appartenance, qualité des relations à autrui – même si la pratique régulière de la Discussion à Visée Philosophique produit des bénéfices psychologiques et cognitifs dans la mesure où elle cultive un rapport heuristique au savoir qui, de leur aveu même, procure beaucoup de plaisir aux enfants et aux adolescents tout en renforçant leur confiance en eux.

En effet, l’ouverture du questionnement philosophique, l’implication existentielle des élèves qu’il convoque et la pluralité des réponses qu’il autorise modifie le statut de l’erreur : cela produit un effet sur l’estime de soi des élèves qui s’autorisent alors à penser en première personne, cela d’autant plus que cette pratique n’est l’objet d’aucune évaluation et qu’elle s’effectue dans un cadre éthique particulièrement protecteur. L’art du problème auquel la DVP initie permet par ailleurs de « redonner de la saveur aux savoirs » (Astolfi, 2008) en renvoyant les élèves aux questions universelles qui donnent du sens aux contenus disciplinaires enseignés à l’école. Toutefois c’est la qualité des relations sociales cultivées par la DVP qui m’intéresse particulièrement : elle contribue notamment à une éducation à la tolérance qui permet d’envisager une relation à autrui plus apaisée sans nier les différences et les conflits. Bien mieux, la discussion permet de les apprivoiser dans une expérience rationnelle et sensible où s’éprouve le plaisir de penser ensemble. Les élèves et les enseignants plébiscitent cette pratique qui leur procure une joie d’autant plus appréciable qu’elle est partagée dans une démarche collective et fraternelle aussi rare que précieuse dans les temps qui sont les nôtres. C’est l’une des raisons qui a conduit l’UNESCO à retenir cette pratique comme l’une des cent préconisations éducatives prioritaires pour 2030.

Propos recueillis par Line Numa-Bocage,
Directrice adjointe du laboratoire BONHEURS CY-Cergy Paris Université

Extrait de cafepedagogique.net du 19.11.20

 

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Banlieues : pourquoi il faut faire découvrir la philo aux enfants dès l’école primaire
Frédéric Lenoir, spécialiste des spiritualités, s’est associé depuis 2018 à la ministre déléguée chargée de la Ville, Nadia Hai, pour monter des ateliers philo auprès des plus jeunes dans toute la France.

Depuis 2018, l’essayiste Frédéric Lenoir et la ministre déléguée chargée de la Ville, Nadia Hai, développent des ateliers philo dans les écoles des quartiers prioritaires. Ils racontent cette aventure pédagogique et civique.

[Extrait de lexpress.fr du 20.11.20

 

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