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Journée nationale OZP, 26 mai 2018
Quelles autonomies pour la réussite de tous les élèves ?
INTERVENTION D’OUVERTURE
par Catherine MOISAN
Inspectrice générale de l’éducation nationale, ex-directrice de la Depp, présidente de l’AFAE (Association Française des Acteurs de l’Education)
Présentant Catherine Moisan, Marc Douaire rappelle le rôle essentiel qu’a tenu dans l’histoire de l’éducation prioritaire en 1997 le rapport Moisan-Simon sur "Les déterminants de la réussite scolaire dans les zones d’éducation prioritaire". Si les préconisations de ce rapport avaient été appliquées, on aurait gagné 15 ans, ajoute le président de l’OZP.
L’INTERVENTION DE CATHERINE MOISAN
Note de la rédaction : Nous avons conservé dans ce compte rendu le caractère direct et oral de l’intervention.
Mon intérêt pour l’éducation prioritaire a été bien antérieur au rapport des inspections générales, puisque j’ai rédigé, avec Christian Bachmann, le texte du discours d’Alain Savary devant l’Assemblée nationale en 1981, dans lequel il a lancé officiellement la fameuse formule : "Donner plus à ceux qui ont moins". [Selon nos sources, l’expression avait été utilisée dès 1970 dans un artice du Sgen-Cfdt, NDLR].
Le discours sur l’autonomie remonte à Olivier Guichard mais c’est Christian Beullac qui lui donne une toute autre dimension dans une circulaire adressée aux recteurs, inspecteurs d’académie et chefs d’établissement le 7 janvier 1980 : Vous ne devez pas considérer vos fonctions comme celles de simples exécutants d’ordres ministériels... Aucune instruction ministérielle ne saurait vous dicter sur le terrain la marche à suivre en toutes circonstances...
Vous avez toujours la possibilité de faire ou de ne pas faire, de dire ou de ne pas dire , de prendre des risques ou de les refuser. L’essentiel est évidemment d’atteindre les objectifs qui vous sont assignés dans le cadre de la politique que j’ai définie et qui est précisée tant au cours de nos réunions de travail que par des textes publics.
Je n’attends pas de vous que vous obéissiez, mais que vous réussissiez, car l’esprit doit toujours l’emporter sur la forme.
Une nouvelle étape a été la création des EPLE, qui n’avait pas au départ d’autre justification que l’impossibilité du ministère à gérer la massification de l’enseignement secondaire.
Un autre facteur de développement de d’autonomie a été le constat que les principes d’universalité et l’uniformité ne généraient pas nécessairement l’égalité. L’historien de l’éducation Antoine Prost a montré que cette croyance était un leurre.
Le slogan de l’éducation prioritaire "Donner plus à ceux qui ont moins", allait dans le même sens, non sans susciter des résistances. Encore maintenant on entend des critiques qui considèrent que cette différenciation dans le traitement des élèves est la marque d’un libéralisme effréné qui vise à livrer l’éducation nationale aux entreprises.
La demande d’enseignement privé a été un autre facteur. les parents voulant le libre choix de l’école. On sait que ce problème n’est pas réglé : on choisit désormais essentiellement le privé pour que ses enfants ne soient pas mêlés à certains autres. Rappelons à ce propos que le privé sous-contrat est un service public, financé par l’Etat à l’exception des investissements.
Ce mouvement de décentralisation qui touche toute l’Europe a commencé bien avant dans d’autres pays. Le premier à été les Pays-Bas, le dernier l’Espagne. Le cas du Royaume-Uni, où on a redonné du pouvoir à l’Etat dans un système auparavant très décentralisé est à part.
La question de l’autonomie des établissement peut se décliner en plusieurs approches :
I. Le budget
Dans la réalité, cette autonomie est limitée. En France, la marge de manœuvre budgétaire ne dépasse pas les 20%. L’exemple de l’accompagnement personnalisé en lycée est éloquent. J’ai visité un lycée réputé difficile dans l’académie de Lille où on avait introduit des options de langues rares pour développer la mixité sociale. La grande majorité des moyens allait aux langues rares et il restait peu de choses pour le quartier. Finalement deux lycées différents se sont constitués à l’intérieur du même et les tensions étaient très fortes.
Le chef d’établissement a la possibilité de faire des choix mais il est difficile de les expliciter pour les faire partager car ces choix sont d’ordre technique et il n’existe pas de trésor caché, comme les enseignants le croient parfois !
II. Les ressources humaines
Le mode de recrutement est significatif. Je préside le Conseil de l’Espé de Créteil pour les deux degrés et la question est de savoir jusqu’où on peut aller pour recruter les enseignants. Le déficit en professeurs des écoles est énorme, même si, en Ile-de-France, on l’a en partie compensé par la création d’un second concours.
Le résultat est qu’on emploie beaucoup de contractuels.
Piketty avait raison de dire que la réduction sensible des effectifs améliorait les résultats ; encore faut-il disposer des enseignants nécessaires.
On marche sur la tête avec le système du master 1 et du master 2 avec un concours au milieu de la formation qui détermine le recrutement. Pourquoi faut-il un concours en même temps qu’un master ? Dans la fonction publique territoriale, on a un entretien d’embauche et on n’est pas pour autant dans l’univers de Golman Sachs !
Arrêtons de penser que les concours républicains créent de l’égalité ! L’algorithme du recrutement national ne change pas et n’est toujours pas rendu public. L’Afae, que je préside, a organisé un colloque sur ce thème.
III. L’expérimentation et l’innovation
Des expériences innovantes, il y en a plein. Mais en France, au niveau national, on n’expérimente jamais, on légifère d’abord.
Au Danemark, le dispositif plus de maîtres..." a été testé avant d’être appliqué.
Chez nous les choses bougent mais il nous faut d’abord prendre l’habitude de diffuser les résultats et à intégrer l’idée que l’échec peut être positif et n’est pas assimilable à une faute.
La mixité sociale, c’est très compliqué et on aurait dû mettre de l’argent là-dessus.
N’ayons pas peur des quotas et inspirons-nous du Danemark où on regroupe élèves favorisés et défavorisés.
IV. La collecte de fonds privés
J’ai beaucoup travaillé avec le Québec, où l’on n’a pas les mêmes freins idéologiques que nous. Ils sont très avancés non seulement sur la persévérance mais aussi sur l’éducation prioritaire et ils ont par ailleurs adopté le principe du financement de l’éducation à 50% par le privé.
V. Les collectivités locales
Elles ont elles aussi des contraintes budgétaires et leur marge de manœuvre est étroite. Les possibilités pour les école de négocier avec les communes sont limitées.
La France est le seul pays d’Europe où les écoles n’ont pas d’existence juridique, comme si le degré d’autonomie reconnu aux différents niveaux, école collège, lycée, université devait être lié à l’âge des élèves.
Une loi avait prévu la possibilité d’expérimenter l’autonomie dans le premier degré mais aucun décret n’est paru.
VI. Le socle commun
La création du socle commun a été importante pour l’éducation prioritaire mais, si on évoque la possibilité d’étendre le socle au-delà de la scolarité obligatoire, on se trouve devant le même verrou "Pas maintenant " ! qui traduit bien la même tendance à infantiliser les enseignants ayant en charge les élèves plus jeunes.
VII. Les injonctions paradoxales
La mise en place de l’autonomie est une affaire de longue durée. D’autant plus qu’il s’agit de passer d’une logique de conformité à une logique de régulation. Actuellement, on est dans le contrôle plus que dans l’évaluation.
Pour l’évaluation, on dispose de nombreux experts et de nombreux outils mais l’essentiel est ailleurs : que fait-on des résultats ?
Ce qui intéresse l’administration centrale, c’est que les résultats remontent au niveau national : on est dans une perspective de gestion. Il arrive aussi qu’on les utilise de façon prescriptive sans analyser les causes des lacunes.
L’intérêt serait plutôt de les exploiter au niveau rectoral ou local, celui de l’IEN.
Quant aux usagers, aux parents, "on les a laissés sur le paillasson", comme disent les Québecois (selon le recteur Bouvier).
En France, on est très réticent à la publication des résultats. Il faudrait avant chaque évaluation établir une charte des usagers et la rendre publique.
VIII. l’accompagnement
Il est frappant de constater qu’en France les chefs établissements ne vont jamais assister à des cours dans les classes. La liberté pédagogique, qui est souvent revendiquée, suppose pourtant que l’on considère l’enseignement comme un métier, un métier qui peut avoir son jargon comme d’autres ont le leur, un métier qui exige des compétences personnelles et spécifiques. Le ministre de la santé ne dit pas aux médecins comment ils doivent soigner les gens.
L’Ocde a bien souligné le fait que la salle de classe en France est un espace privé. Le Plus de maîtres que de classes a rencontré cette difficulté au début car les enseignants craignaient le regard des autres.
Il faut accepter d’ouvrir les portes de la classe. On ne demande pas non plus assez aux grands élèves ce qu’ils pensent de l’enseignement qu’on leur dispense.
Le Conseil de classe est un important lieu collectif d’autonomie mais est-ce le bon lieu de décision pédagogique, car l’école trie plus qu’elle ne forme ?
En conclusion, l’établissement autonome est celui où on a gardé la faculté de se parler.
DÉBAT
Le débat avec la salle a donné l’occasion à Catherine Moisan de préciser son point de vue sur :
- La formation dans les Espé.
Elle est en fait très réduite car les stagiaires passent l’essentiel de leur temps à la faculté alors qu’on devrait développer beaucoup l’apprentissage. La formation doit être professionnalisée et l’alternance est indispensable.
On ne juge pas les stagiaires sur la didactique mais sur la connaissance de leur discipline.
Je connais bien l’académie de Créteil. Enseigner là-bas, c’est dur mais c’est là qu’il se fait le plus de choses innovantes.
- La gestion des personnels.
En Norvège, l’accompagnement ne se confond pas avec la gestion hiérarchique.
La Suède a baissé dans les classements Pisa, mais ils étaient allés trop loin dans la gestion des personnels au mérite.
La note d’inspection, cela ne sert à rien. Quant aux IPR, ils sont souvent trop centrés sur leur discipline mais il sont accablés de travail.
Les chefs d’établissement sont les personnels qui discutent le plus entre eux de leur métier.
Dans la fonction territoriale, le concours n’a pas de lien avec l’affectation.
Dans l’éducation, il ne s’agit pas de supprimer le concours mais de réfléchir à la formation.
La concurrence n’induit pas une meilleure réussite des élèves mais il faut
d’autres systèmes que le contrôle et la conformité.
- La maternelle.
La Depp a montré les progrès de géant qui ont été faits. La maternelle s’est nourrie beaucoup plus de l’apport de ses réseaux que d’injonctions du Ministère.
Compte rendu rédigé par Jean-Paul Tauvel
Voir l’enregistrement vidéo (extrait) réalisé par l’association Roller Football (17:46)