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Dans une tribune au Café, le collectif Langevin-Wallon propose 7 pistes pour rendre l’école moins inégalitaire

29 novembre

Face à un pouvoir bien peu légitime, l’école doit résister (collectif Langevin Wallon)

« Ni les personnels de l’éducation, ni les parents d’élèves ne doivent se résigner à accepter ces orientations destructrices pour l’école publique et délétères pour notre société. » Dans cette tribune, le Collectif Langevin Wallon réunissant des professionnels du monde éducatif appelle l’école à résister et s’adresse « aux cadres de l’éducation : inspecteurs, chefs d’établissements, cadres administratifs, inspecteurs d’académie, votre responsabilité est immense en ce moment vis-à-vis des personnels, des élèves et du public (…) ; à vous qui devez assurer une stabilité et une solidité au système sur des principes essentiels dans lequel nous croyons, notamment celui de l’éducabilité, pour faire réussir tous les élèves. Si vous êtes là où vous êtes, sans doute est-ce parce que vous y croyez aussi. Soutenez les enseignants dans leur tâche patiente et essentielle de tous les jours en les aidant patiemment et modestement à améliorer leurs pratiques professionnelles, sans imposer des vues idéologiques libérales qui vont à l’encontre des besoins des élèves et des familles qui ont le plus besoin de l’école. »

Après la dissolution manquée de l’Assemblée nationale, c’est peu de dire que le pouvoir actuel en sort affaibli institutionnellement, fragile politiquement et bien peu légitime tant il continue d’incarner la même politique économique et sociale que celle rejetée par une grande majorité de Français lors des élections législatives anticipées. La situation actuelle, qui rappelle les années Sarkozy (moment où le ministre Darcos a supprimé la formation des enseignants pour faire des économies, solution plus discrète que les fermetures de classes), est propice, à la faveur d’un déficit budgétaire record, à présenter des mesures éminemment politiques comme des solutions techno-gestionnaires. Le gouvernement entend ainsi sacrifier 4000 postes dans l’éducation. On peut déjà prévoir là où il les prendra. Ce sera sur les moyens dédiés au remplacement des professeurs et dans les territoires concernés par l’éducation prioritaire où les parents sont moins ardents à défendre leurs intérêts, plutôt que dans l’enseignement privé.

En attendant une véritable politique respectueuse de l’école publique, de ses principes, de ses valeurs, de son histoire et de ses orientations de longue date, peut-on, du fait de cette situation politique, espérer une pose dans les réformes, comme le laissait entendre le Premier ministre ? Difficile, en effet, de proposer de grands changements quand on n’en a plus le budget. Quoi qu’il en soit, malgré le défilé des différents ministres (cinq en deux ans), une réalité demeure : c’est la constance d’une idéologie qui privilégie la réussite individuelle sur l’élévation du niveau scolaire de toute la nation et qui, loin de lutter contre les inégalités socio-scolaires, les entérine et organise un système éducatif où chacun reste à sa place. Le renforcement du séparatisme scolaire par les cadeaux donnés à l’école privée (sans les contrôles financiers, pédagogiques et administratifs et sans les contraintes de mixité sociale pourtant prévus par la loi) ainsi que par la mise en œuvre des groupes de niveaux au collège en sont quelques désolants témoignages. Espérons toutefois que le contexte d’illégitimité d’un pouvoir minoritaire permettra d’atténuer l’autoritarisme violent qui a régné du temps de Jean-Michel Blanquer et de Gabriel Attal. Ni les personnels de l’éducation, ni les parents d’élèves ne doivent se résigner à accepter ces orientations destructrices pour l’école publique et délétères pour notre société. La nouvelle ministre, Anne Genetet, entend avec entêtement continuer la politique rejetée par la profession en annonçant la poursuite, même a minima, des groupes de niveau en 4ème et 3ème, en faisant du brevet un examen d’entrée pour le lycée. Or, cette agitation perpétuelle de nos ministres liée à la « société du spectacle[1] » cache mal une indéniable paresse intellectuelle ainsi qu’une absence d’expertise, de rigueur et de travail.

Dans ce contexte, nous entendons rappeler avec force que notre école a vocation à être l’école de tous : de l’accès au droit à l’éducation à une éducation ambitieuse pour tous les enfants, qu’ils soient nés ici ou qu’ils viennent d’ailleurs et quelle que soit leur situation sociale.

L’école publique est une institution à défendre, et non une « institution en crise »

Tout un chacun y est allé de son discours sur la « crise de l’école » à commencer par le très provisoire ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, qui a instrumentalisé les résultats de PISA 2022 en les présentant comme une apocalypse[2] pour mieux annoncer son « choc des savoirs » et mettre fin au collège unique avec l’instauration des groupes de niveau en classes de sixième et cinquième. Il y a, dans cette volonté d’instaurer un séparatisme scolaire jusque dans les classes, un manque évident d’ambition éducative, un renoncement à élever le niveau des élèves les plus en difficultés d’apprentissages qui sont souvent issus des milieux populaires. Le ministère fait de ce qui se pratiquait à bas bruit dans les établissements privés sous contrat, ainsi que dans certains établissements publics, le fondement de sa politique publique[3] qui, sous couvert d’aider les plus fragiles scolairement, organise leur mise à l’écart.

Parler de « crise de l’école », c’est aussi la meilleure manière de se défausser de ses responsabilités, de ne pas vouloir chercher les raisons nécessairement plurielles qui expliquent les résultats de la France dans les évaluations internationales, de refuser de prendre en compte ce que disent pourtant les données de la recherche notamment en sociologie de l’éducation sur la fabrique sociale des inégalités scolaires et la manière dont l’école pourrait y remédier et c’est surtout ne pas faire confiance aux personnels, tout en affirmant l’inverse, pour analyser les difficultés professionnelles qu’ils rencontrent au quotidien. La labellisation des manuels pour le CP et le CE1 constitue une des traductions de ce mépris à l’égard des professeurs, moins encouragés à penser qu’à suivre et obéir.

Heureusement l’École, sans doute parce qu’elle reste une institution, tient encore debout grâce au dévouement de ses personnels et à l’attachement de la majorité des familles. Elle reste un repère dans le village ou la cité quand les autres services publics ont été détruits ou fermés par les gouvernements successifs. L’hôpital et la gendarmerie s’éloignent ; pas l’école. Son organisation administrative structurée et pérenne la protège (encore) plutôt bien contre les menées de la marchandisation. La liberté pédagogique de ses enseignants la protège des diktats de certains gourous universitaires ou politiques et des oukases de ministres sûrs de leurs idées et toujours très pressés comme l’analyse le chercheur Vincent Troger[4].

Si l’école est une institution à défendre aujourd’hui, encore plus qu’hier, quelle est désormais sa mission ? Abandonner les élèves les plus fragiles à leur destin social, est-ce cela la promesse de la République ? En rabattre sur les exigences didactiques, est-ce ainsi que seront formés les citoyens éclairés de demain ? A-t-on renoncé à l’émancipation qui permet à chacun de penser par soi-même ? Après avoir délaissé les milieux populaires parce qu’ils n’incarnent plus l’avenir électoral ni de la droite ni de la gauche[5], est-ce que les responsables politiques de ce pays comptent faire fi de leurs enfants, sauf à sauver ceux qui leur apparaissent comme les meilleurs d’entre eux ? Les familles populaires sont-elles condamnées à vivre dans les quartiers prioritaires de la ville et leurs enfants à être scolarisés dans des écoles ségréguées socialement et reléguées scolairement où un enseignement des « fondamentaux », au sens le plus restrictif du terme, sera leur seul horizon intellectuel ?

Par ailleurs, les coupes budgétaires de loi de finances 2025 entraineront de facto une aggravation des conditions de scolarisation dans le secteur public notamment en éducation prioritaire, doublée d’une détérioration de la prise en charge éducative des élèves et des adolescents dans les communes les plus déshéritées[6], c’est-à-dire celles où sont déjà concentrées les populations les plus pauvres. On pourrait également évoquer la tendance lourde à la dématérialisation des services publics qui, par exemple, concernant l’inscription à la cantine et aux activités périscolaires[7], ne peut avoir pour conséquence immédiate que la chute des effectifs, quand on sait que 30% des Français ont des difficultés (c’est un euphémisme) pour effectuer leurs démarches en ligne[8] ? Toutes ces mesures impactent en premier lieu les familles de milieux populaires et leurs enfants.

Face à cela, que faire ? Résister en continuant à améliorer l’école pour la réussite de tous.

Parce que ce gouvernement Barnier, et les autres qui suivront, dispose d’une faible légitimité, il devra davantage veiller à la manière dont il sera reçu par les personnels, perçu par les parents d’élèves et aussi soutenu par les cadres intermédiaires. Il y a donc place pour continuer de développer des pratiques pertinentes et pour se mettre en situation de recherche. En effet, dans des périodes incertaines, comme l’est la période actuelle, beaucoup sera attendu de celles et ceux qui travaillent « sur le terrain ». Et on peut espérer que leur autonomie pourra s’exprimer dans des projets pédagogiques qui favorisent la réussite de tous.

On sait depuis les années 1970 que l’école française est fortement inégalitaire. C’est aussi la principale leçon de PISA, fort peu prise en compte dans les discours libéraux structurés par les notions de mérite personnel, de chances, de tri et de compétition qui, par définition, ne sont jamais porteurs de la recherche de l’égalité.

L’école est inégalitaire pour deux raisons principales :

elle est inégalitaire car les enfants sont répartis entre secteur privé et secteur public et au sein des écoles publiques selon une logique socio-économique : les plus privilégiés dans le privé et dans les « bons » établissements publics du fait de leurs lieux de résidence ou du fait de dérogations à la carte scolaire obtenues quand elles ont été libéralisées ; les milieux populaires et plus pauvres dans les quartiers de banlieue uniquement dans le public : une ségrégation qu’ils ne choisissent pas, mais qu’ils subissent. La publication des indices de positionnement social des écoles, collèges et lycées en 2022 a confirmé ce constat qui, aussi brutal qu’inique, est désormais partagé.
elle est inégalitaire parce que les pratiques dominantes d’enseignement sont favorables aux élèves des milieux favorisés dont les pratiques familiales sont en connivence voulue ou non avec celles des enseignants et parce qu’aujourd’hui plus qu’hier les enseignants sont principalement recrutés parmi les classes moyennes. Pour les enfants des milieux populaires aller vers les savoirs c’est aussi devoir changer de culture pour s’approcher de celle des classes moyennes. C’est être confrontés à des demandes scolaires dont le sens ne leur est pas immédiatement compréhensible s’ils ne sont pas aidés spécifiquement pour comprendre les buts de l’école derrière les activités proposées par les professeurs. C’est également, pour les plus socialement défavorisés d’entre eux, accepter de s’éloigner culturellement de leur milieu d’origine, affronter ce qui est couramment appelé le « conflit de loyauté » quand, à l’inverse, pour les élèves plus favorisés, la réussite scolaire signifie se conformer à son milieu, y prendre sa place.

Sur le premier point, des choix politiques forts et radicaux s’imposent pour changer l’inégalité en égalité. On ne peut actuellement malheureusement rien attendre de ce point de vue. Tout au contraire, il faudra dénoncer encore et encore toutes les tentatives visant à davantage privatiser le service public et à favoriser le secteur privé.

Sur le second point on peut, en revanche, profiter des faiblesses actuelles du système et ruser avec l’institution pour travailler en s’appuyant sur les principes dont on sait que, combinés entre eux, ils peuvent permettre une meilleure réussite des plus socialement défavorisés. L’expérience de longue date de l’éducation prioritaire et les données de la recherche permettent de dégager des pistes de travail qui méritent particulièrement d’être développées :

Accueillir les nouveaux enseignants en leur permettant de voir les richesses et ressources des quartiers défavorisés et pas seulement les difficultés rencontrées. Les aider à bien percevoir les besoins des élèves et à savoir s’y prendre avec eux.
Solliciter la formation continue pour répondre à des besoins fondamentaux de la pédagogie en milieu populaire, notamment mieux comprendre les erreurs comme éléments du processus d’apprentissage, et travailler à enseigner plus explicitement (sans tomber dans l’enseignement direct tel qu’il est conçu par certains canadiens).
Solliciter la recherche pour participer à des travaux pédagogiques qui permettent d’essayer des manières d’enseigner plus propices à l’amélioration des résultats des plus scolairement fragiles. S’inscrire pour cela dans la durée afin de véritablement éprouver les solutions travaillées.
Développer des collectifs professionnels qui s’emparent de questions préoccupantes pour y trouver conjointement des solutions éprouvées dans les différentes classes.
Assurer des continuités pédagogiques en travaillant la relation entre l’école maternelle et l’école élémentaire ainsi qu’entre l’école élémentaire et le collège pour faciliter lors des transitions la compréhension par les élèves de ce qui est attendu d’eux.
Travailler avec les parents d’élèves afin qu’ils puissent davantage percevoir ce qui est réalisé avec leurs enfants et la manière dont l’école travaille pour les faire progresser.
Collaborer avec les partenaires, pour que, chacun dans son rôle, apporte ce qui peut être utile aux apprentissages scolaires des élèves. On ne doit pas attendre que ces apprentissages se fassent principalement hors de l’école mais on peut travailler avec les partenaires la manière dont ils peuvent contribuer à la réussite.

Dans ces conditions, plus que jamais un pilotage respectueux des personnels et de leurs pratiques professionnelles est nécessaire pour les accompagner dans l’ordinaire des classes auprès des élèves.

C’est pourquoi, nous lançons un appel aux cadres de l’éducation : inspecteurs, chefs d’établissements, cadres administratifs, inspecteurs d’académie, votre responsabilité est immense en ce moment vis-à-vis des personnels, des élèves et du public. Dans un contexte où il n’y a, au plus haut niveau de l’État, ni expertise, ni politique éducative ambitieuse pour les élèves des milieux populaires, dans un moment où la légitimité du pouvoir est en question, votre responsabilité se trouve davantage engagée pour faire fonctionner le système éducatif qui est tout ce qui nous reste après les diktats des ministres Blanquer (celui qui a duré) et Attal (celui qui n’a pas duré). Ce n’est plus seulement à ces personnages politiques que nous devrons demander des comptes à l’avenir, mais à vous qui devez assurer une stabilité et une solidité au système sur des principes essentiels dans lequel nous croyons, notamment celui de l’éducabilité, pour faire réussir tous les élèves. Si vous êtes là où vous êtes, sans doute est-ce parce que vous y croyez aussi. Soutenez les enseignants dans leur tâche patiente et essentielle de tous les jours en les aidant patiemment et modestement à améliorer leurs pratiques professionnelles, sans imposer des vues idéologiques libérales qui vont à l’encontre des besoins des élèves et des familles qui ont le plus besoin de l’école. Il s’agit d’écouter sa loyauté de fonctionnaire, loyauté envers les enfants, les adolescents et les familles des milieux populaires qui comptent sur vous, vous qui êtes les garants d’un service public de l’éducation qui s’honore de porter haut la réussite de tous.

Le collectif Langevin-Wallon

[1] Guy Debord, La société du spectacle, éditions Buchet-Chatel, 1967.

[2] Le sociologue Pierre Merle analyse bien cet usage de PISA pour le café pédagogique :

https://www.cafepedagogique.net/2024/01/08/pierre-merle-le-choc-des-savoirs-de-g-attal-une-politique-contraire-au-bilan-pisa/

[3] A ce sujet, lire : Collectif Langevin Wallon, « Le séparatisme scolaire contre l’hétérogénéité : un choix politique », Regards croisés n°50, avril-juin 2024, pp. 16-18.

[4] https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/09/reforme-du-college-comme-tous-ses-predecesseurs-gabriel-attal-est-presse-et-se-preoccupe-peu-des-experiences-anterieures-ou-des-avis-d-experts_6209798_3224.html

[5] https://tnova.fr/democratie/politique-institutions/gauche-quelle-majorite-electorale-pour-2012/

[6] https://www.mediapart.fr/journal/france/201024/face-aux-coupes-budgetaires-les-maires-alertent-vous-voulez-nous-mettre-l-os‌ ; https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/priver-tous-les-eleves-de-cantine-ou-supprimer-la-police-municipale-besancon-refuse-les-coupes-budgetaires-du-gouvernement-3056971.html

[7] https://www.bondyblog.fr/societe/periscolaire-et-cantine-a-aubervilliers-les-parents-deleves-denoncent-linstauration-de-penalites-stigmatisantes/

[8] https://www.vie-publique.fr/en-bref/285189-dematerialisation-des-demarches-administratives-impact-sur-les-usagers

Extrait de cafepedagogique.net du 28.11.24

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