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Les sorties scolaires au musée démocratisent-elles l’accès à la culture ? (The Conversation)

23 septembre 2024

Être (ou naître) visiteur de musée : les sorties scolaires démocratisent-elles l’accès à la culture ?

Auteur
Cora Cohen-Azria
Professeure des universités en sciences de l’éducation, Université de Lille

Il ne suffit pas de passer les portes d’un musée pour aussitôt en acquérir les codes. Dans quelle mesure les visites scolaires donnent-elles aux enfants le goût des sorties culturelles ? À quelle condition ces sorties de groupe peuvent-elles avoir des effets à long terme ?

Organisées tous les ans en septembre, les Journées du patrimoine sont l’occasion de se pencher sur les pratiques culturelles des Français. Nombreuses sont les études qui permettent d’en faire un état des lieux et d’en suivre les évolutions. Mais qu’en est-il de leur genèse ? Comment se mettent-elles en place ? Entrer dans un musée n’est pas un acte évident, anodin, facile pour tous. Bien que certains estiment qu’ils y ont évidemment leur place, d’autres la cherchent ou la construisent, tandis que d’autres encore ne conçoivent même pas d’y accéder.

C’est ainsi que l’école se donne comme projet de démocratiser les lieux culturels. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les sorties hors de la classe, et en particulier les visites scolaires dans les musées, se sont développées dans le but d’ouvrir les espaces muséaux aux plus jeunes et d’en faire des visiteurs. Chacun se souvient de sorties avec sa classe dans des expositions au sein de musées de sciences ou d’art. Mais qu’en reste-t-il ? Lorsque l’école veut faire de ses élèves des visiteurs, comment s’y prend-elle ?

La sortie scolaire, tremplin vers d’autres visites de musées ?
Quand on interroge les personnels des musées tels que les médiateurs ou les conférenciers, mais également les enseignants, les objectifs déclarés des visites scolaires sont de deux ordres : d’une part, la sortie doit permettre de travailler une thématique, un contenu au cœur de l’exposition et en lien avec le projet scolaire, d’autre part, elle doit familiariser l’élève à l’usage de ces espaces culturels. La sortie est ainsi pensée comme un tremplin vers des pratiques de visite qui devront se développer hors du cadre scolaire. Qu’en est-il vraiment ?

Lorsque, dans nos recherches, nous analysons ces situations de visite, nous repérons très rapidement les contenus référés aux thématiques dans le discours des guides ou des enseignants, mais il s’avère beaucoup plus difficile de déterminer ce qui permet de travailler sur la formation muséale. Que ce soit le guide ou l’enseignant qui mène la visite, celle-ci est souvent essentiellement construite autour des contenus de l’exposition. Mais qu’est-il dit de ce qu’est une exposition ? De ce qu’est un musée ? Et de ce qu’est un visiteur ?

Les recherches-actions qui ont construit des visites scolaires comme des situations de formation du visiteur, avec un travail explicite sur cette thématique, montrent des prises de conscience tout à fait intéressantes. En effet, les élèves comprennent dès lors que l’exposition est un parti pris scientifique signé par des concepteurs spécifiques et qu’en tant que visiteurs, ils prennent place dans le lieu comme des interprètes de l’exposition.

Comme le lecteur rencontre l’auteur d’un livre par le biais de ses mots, le visiteur rencontre le propos des concepteurs par celui des mises en scène des objets de collection du musée. Sa visite ne peut être la même que celle d’un autre visiteur. Il n’y a donc pas alors de bonne ou de mauvaise visite, mais autant de visites que de visiteur.

Se familiariser avec le cadre du musée
Si cette formation du visiteur semble rare dans le cadre des visites scolaires, elle est au cœur des visites familiales. Une recherche menée avec Ana Dias-Chiaruttini sur les très jeunes publics dans les musées d’art et de sciences s’est attachée à décrire les différences et les points communs des visites scolaires et familiales dans le cadre de visite d’enfants en âge de l’école maternelle. Les résultats montrent que la place du visiteur enfant ou élève est très différente selon les contextes.

Visites familiales, visites scolaires ou la genèse du visiteur (Ana Dias-Chiaruttini, 2019).
En effet, durant la visite familiale, l’enfant a une liberté de mouvement, son regard est libre et il partage alors ces observations avec ses parents qui répondent à son désir de savoir, dans le cadre d’échange de parole au temps partagé. Au sein des visites scolaires, le mouvement est sous contrôle, le regard de l’élève est guidé, le temps ne lui appartient pas, la parole est le plus souvent celle du guide et les contenus sont prévus en amont de la visite. Les expériences de visites s’avèrent dès lors très contrastées.

Il ne s’agit pas ici de pointer une expérience comme meilleure qu’une autre, mais de comprendre à quel point ces visites sont complémentaires. Cela renouvelle l’idée selon laquelle les enfants ayant visité les musées en famille y reviennent étant adulte, puisqu’ils y sont également allés au musée avec l’école. Ce sont donc les enfants qui ont bénéficié de ces deux types de visites qui sont le plus souvent les visiteurs de demain.

À lire aussi : Les bébés ont-ils leur place au musée ?

Dans le cas des expériences exclusivement scolaires, la question se pose alors de savoir comment y former le jeune visiteur. Passer les portes du musée ne suffit pas à se transformer en visiteur. C’est l’activité du jeune dans l’exposition qui contribue à sa formation. Dès lors, il s’agit d’une formation à un média spécifique et donc en retour d’une formation de soi en tant que sujet singulier. L’exposition peut être conçue alors comme une œuvre collective scientifique qui prend sens (au pluriel) par les interprétations des visiteurs, quels qu’ils soient.

Cela amène à penser la visite comme un moment, une expérience qui, par la répétition, permet une familiarisation à un média, un espace culturel tout en apprenant sur nous et notre façon de devenir visiteur. Cette démarche gagne à être explicitée, mettant enfin de côté la conviction qu’ont certains qu’on est (ou nait) ou pas visiteur, en réalité, on le devient en conscience par les expériences plurielles.

Les visites peuvent alors être considérées comme des expériences à renouveler qui, en même temps qu’elles racontent des contenus, nous parlent de nous, de notre rapport au savoir, à la culture et au monde.

Extrait de theconversation.com du 18.09.24

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