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Dans les grandes écoles, la diversité sociale n’a pas progressé depuis 10 ans, une vaste étude de l’Ecole d’économie de Paris (IPP, janvier 2021, 308 p)

20 janvier 2021

Additif du 18.03.21

Séparatisme : Les politiques d’ouverture des grandes écoles en total échec
"Cordées de la réussite", programmes de parrainage, admissions parallèles : tous ces dispositifs largement promus par le gouvernement sont inefficaces. C’est ce que montre la récente étude, implacable, de Cécile Bonneau, Georgia Thébault, Pauline Charousset et Julien Grenet. Invitées au séminaire Liepp de Carlo Barone à Sciences Po, Cécile Bonneau et Georgia Thébault ont pu exposer leur thèse le 16 mars. Les dispositifs d’ouverture n’ont pas atteint leurs objectifs, loin s’en faut. Les grandes écoles accumulent les ségrégations : scolaire, sociale, géographique et de genre. Les écarts de niveau scolaire n’expliquent pas le séparatisme des grandes écoles. Il faut une autre stratégie pour lutter contre un séparatisme social indécent.

Une étude novatrice

Il y a un avant et un après. Avant l’étude de Cécile Bonneau, Georgia Thébault, Pauline Charousset et Julien Grenet on n’avait pas de vue d’ensemble sur les inégalités existant dans les grandes écoles. Leur étude est la première à embrasser toutes les grandes écoles et à le faire en utilisant des données fiables. Les auteurs croisent celles de l’éducation nationale (comme les résultats du bac et du brevet, les lycées d’origine, la profession des parents) avec celles de l’enseignement supérieur (étudiants inscrits en STS, en CPGE ou ailleurs, boursiers, admissions dans les grandes écoles etc.) sur 10 ans, de 2006 à 2016.

Ségrégations

"C’est un formidable levier, par l’éducation et l’accès jusqu’au supérieur, d’égalité des chances". Début septembre 2020, Emmanuel Macron annonce que les cordées de la réussite passeront de 120 000 à 200 000 élèves du second degré. Il vante d’autres dispositifs. Les ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur appuient des programmes de parrainage et d’accompagnement des lycéens d’origine sociale défavorisée. Tous ces programmes de tutorat, doivent lever les obstacles psychologiques et assurer "l’égalité des chances" des lycéens d’origine populaire pour leur faire intégrer l’élite. On savait que les cordées n’avaient jamais eu d’évaluation positive. On sait maintenant que tout le discours gouvernemental de promotion des jeunes d’origine modeste n’est que du vent.

Ce que montrent Cécile Bonneau et Georgia Thebault c’est que les grandes écoles, la filière de fabrication des élites françaises, accumulent les ségrégations. Ségrégation scolaire d’abord : Si 7% des bacheliers ont eu une mention très bien, c’ets le cas de 25% des élèves des grandes écoleset de 83% de ceux des grandes écoles les plus élitistes (ENS ulm, HEC, X). Ségrégation sociale aussi : si 23% des bacheliers viennent de milieu très favorisé, leur part passe à 64% pour les grandes écoles et 85% pour les plus élitistes. Ségrégation géographique : si Paris fournit 3% des bacheliers, c’est 8% des élèves des grandes écoles et 26 des plus élitistes. La part de l’Ile de France est proportionnellement de 19, 30 et 51%. En fait 8% des lycées fournissent la moitiés des effectifs des 10% des grandes écoles les plus sélectives. La moitié des lycées ne fournissent que 13% des élèves des grandes écoles. Enfin ségrégation de genre : 55% des étudiants sont des filles mais seulement 42% des élèves des grandes écoles et 37% des 10% des grandes écoles les plus sélectives. Seules les écoles d’ingénieurs font pire avec 26% de filles.

La ségrégation exercée par les grandes écoles est d’abord sociale. Mais pas seulement. Quand on vient d’un milieu défavorisé on a 1.6% de chances d’accéder aux grandes écoles contre 16% (10 fois plus !) quand on vient d’un milieu très favorisé. Quand on est une fille on a deux fois moins de chance d’y accéder. Quand on vient de la "province" on a trois fois moins de chance d ’entrer en grande école quand on est parisien.

Selon les calculs réalisés par Cécile Bonneau et Georgia Thebault, les écarts de performance scolaire n’expliquent que moins de la moitié des inégalités d’accès entre élèves de PCS défavorisé et favorisé. 40% de l’écart de taux d’accès est du à la performance scolaire, 10% à l’origine géographique. La moitié de l’écart tient à d’autres facteurs. Ainsi, compte tenu de leurs performances scolaires supérieures, les filles devraient être plus nombreuses que les garçons en grandes écoles. Ce n’est pas le cas on l’a vu.

Aucun progrès depuis 2006

Mais au moins les lignes bougent-elles ? C’est ce que nous dit tout le discours gouvernemental, celui des grandes écoles aussi, qui mettent en avant les programmes dont on a parlé.

Cécile Bonneau et Georgia Thebault ont pus suivre l’évolution sociale, géographique, genrée des élèves des grandes écoles de 2006 à 2016. Ou plutôt l’absence d’évolution. La part des PCS défavorisées dans les élèves des grandes écoles reste à 8% de 2007 à 2016. Celle des plus favorisées passe de 64 à 65%. La part des franciliens passe de 28 à 30%. La part des filles est aussi rigoureusement plate.

La conclusion de l’étude est claire : les dispositifs d’ouverture mis en place n’ont pas atteint leurs objectifs. Il n’ya aucune diversification de l’origine sociale, géographique ou genrée des grandes écoles qui restent immuablement les forteresses du séparatisme social parisien. Et cette situation ne peut pas s’expliquer par les écarts de niveau scolaire.

Que faire ? C’est sans doute sur ce point que le débat devrait exister. Pour Cécile Bonneau et Georgia Thebault il faut à la fois travailler l’information et l’autocensure des jeunes d’origine populaire et lever des barrières financières qui continuent à exister. Le niveau insuffisant des bourses par exemple ne permet pas à un étudiant pauvre de vivre à Paris.

Mais pour elles cela ne suffit pas. Il faut une véritable politique de discrimination positive et cela en amont des grandes écoles. "C’est à l’entrée dans le supérieur qu’il faut agir, avec des quotas sociaux et géographiques. Elles soulèvent aussi la question du dualisme français dans l’enseignement supérieur et invitent à construire des passerelles entre grandes écoles et universités.

Leur étude est sortie en janvier. "On a eu beaucoup de retours et de contacts", explique G Thebault. "Les acteurs de l’enseignement supérieur se sont saisis du rapport. Mais aura t-il un impact ?". Le soutien ministériel aux cordées de la réussite ne se dément pas. Un récent arrêté a supprimé le dispositif des meilleurs lycéens qui ouvrait l’accès des filières sélectives aux meilleurs élèves de chaque lycée. Autant de signaux qui montrent qu’on peut s’accommoder du séparatisme...

François Jarraud

L’étude

Extrait de cafepedagogique.net du 17.03.21

 

Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ?
Rapport IPP n°30 – Janvier 2021

Auteurs : Cécile Bonneau, Pauline Charousset, Julien Grenet et Georgia Thebault
Contact : julien.grenet@ipp.eu

Financeurs : Cette étude a été réalisée dans le cadre de l’appel à projets de recherche DEPP-SIES intitulé « Filières sélectives et mobilité sociale ». Elle a bénéficié du soutien financier de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports (MENJS-DEPP) et de la Sous-direction des systèmes d’information et des études statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI-SIES).

Présentation : Ce rapport documente, de manière aussi précise que possible, l’évolution du recrutement des classes préparatoires et des grandes écoles depuis le milieu des années 2000. L’étude privilégie une approche quantitative s’appuyant sur un ensemble très riche de données administratives qui n’ont pas jusqu’à ce jour été exploitées de manière systématique. Ces données sont mobilisées pour caractériser l’évolution du profil des étudiants de ces formations selon plusieurs dimensions : leur origine sociale, leur genre, leur origine géographique et leur parcours scolaire antérieur.

Lire le rapport

Extrait de ipp.eu de janvier 2021

 

Dans les grandes écoles, la diversité sociale n’a pas progressé en dix ans
Des élèves issus des couches les plus favorisées de la société et résidant en Ile-de-France : le vivier de recrutement de ces établissements n’a pas bougé, indique une vaste étude menée par un laboratoire de l’Ecole d’économie de Paris.

[...] Augmentation du taux de boursiers
Le panorama offert par cette étude s’éloigne sensiblement des constatations généralement basées sur le taux de boursiers dans ces formations, qui sert souvent de baromètre de l’ouverture sociale des grandes écoles. En effet, le nombre de boursiers a largement augmenté à la fin des années 2000 en raison de l’élargissement des critères ouvrant droit aux aides, sans pour autant qu’il s’agisse toujours de jeunes défavorisés. Un élément qui biaise les analyses, selon ces chercheurs.

« Le statut de boursier ne recoupe pas toujours la réalité sociale qu’on lui associe, et il ne permet pas les comparaisons dans le temps car sa définition a beaucoup changé, nous avons donc préféré travailler sur la catégorie socioprofessionnelle des parents », explique Julien Grenet.

« Le chantier de la diversité sociale est plus que jamais ouvert et il y a une réelle volonté des grandes écoles pour parvenir à des résultats », assure-t-on à la Conférence des grandes écoles, une association d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, tout en soulignant les limites de chaque indicateur.

Extrait de lemonde.fr du 19.01.21

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