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Maternelle : Pascale Garnier (Paris 13) dénonce le risque que son caractère scolaire ne soit renforcé et que l’obligation à trois ans ne se fasse aux détriment des deux ans (Café pédagogique et ToutEduc)

7 novembre 2018

UDA : Pascale Garnier : l’école maternelle à la croisée des chemins
Seule annonce des Assises de l’école maternelle : l’instruction obligatoire à trois ans. Si dans un premier temps cette annonce a pu satisfaire les défenseurs de l’école, elle s’avère en fait annonciatrice d’une remise en cause en profondeur de l’école maternelle et de ses missions. Intervenant à l’Université d’automne du Snuipp, Pascale Garnier, sociologue, professeure en sciences de l’éducation, coordonnatrice du groupe d’experts pour le projet de programme de maternelle de 2015, introduit son propos en resituant l’école maternelle dans son contexte national, avec le retour des évaluations standardisées, et européen avec une orientation libérale qui ne peut qu’inquiéter les professionnels engagés dans l’école du tous capables.

Des évaluations de CP qui renforceront le poids du scolaire en maternelle
Le programme 2015 donnait une vision progressive des apprentissages. Avec les tests imposés en CP on assiste à un retour du descendant : on part du collège vers l’élémentaire et de l’élémentaire vers la maternelle. Le côté formel des apprentissages les recentrant sur les « fondamentaux », comme la maitrise de la langue et de la numération, sont renforcés. L’objectif affiché mettant l’accent sur le caractère préparatoire à la scolarité ultérieure, les deux autres finalités de l’école maternelle, à savoir l’accueil et l’éducation, sont reléguées.

Des mesures pour améliorer les résultats des élèves français aux évaluations internationales ?
Le ministre, depuis son arrivée, centre toute sa communication sur les mauvais résultats des élèves dans les évaluations internationales. Mais il ne prend pas en compte les analyses qui ont été faites de ces résultats. La France est, et de loin, le pays où le poids de l’origine sociale est le plus fort. Ce retour à une priorité à la préparation à l’élémentaire risque de ne pas inverser ces résultats. Au contraire, plus les exigences d’une école préparatoire à l’élémentaire sont précisées, voire imposées, plus les résultats sont médiocres.

Le programme de l’école maternelle 2015 : tous capables !
Ce programme de 2015, construit avec les chercheurs, pédagogues, professionnels de l’école et partenaires a pris en compte toutes les données des analyses de ces évaluations et les a enrichies des travaux de la recherche. Une orientation qui affirme le tous capables, confirme l’exigence en termes d’enseignement et d’apprentissages (développer le pouvoir d’agir et de penser, penser collectivement dans une école bienveillante, accueillante et exigeante), reconnait les parents dans leur rôle de premiers éducateurs et œuvre pour l’amélioration des conditions de la scolarisation (une ATSEM par classe, effectifs, budget…).

L’école maternelle menacée
Pour Pascale Garnier, les menaces sont réelles. Le ministre se refuse à établir un bilan de l’existant. L’agenda politique prend le pas sur la réflexion.
Les évaluations standardisées de CP et CE1 font craindre le « teaching to the test », c’est-à-dire enseigner dans le but de faire réussir des tests aux élèves. Il s’agit d’une gouvernance par les résultats, les maîtresses et les maîtres étant appelées à exécuter plutôt qu’à concevoir leur enseignement. En maternelle, l’annonce d’un livret sur le vocabulaire à leur destination (les mots de la maternelle) traduit une vision réductrice des apprentissages.

Enfin la traduction prescriptive des neurosciences privilégie l’entrainement et non pas la réflexion ou la construction de la pensée. Liberté pédagogique et réussite des enfants des milieux les plus populaires, pour qui l’entrée dans la réflexion proposée par l’école est primordiale pour apprendre, risquent d’en faire les frais.

Quant à l’instruction obligatoire à trois ans, elle ne correspond pas à une offre de qualité. Cette obligation risque de se traduire par la disparition progressive de la scolarisation des enfants de deux ans (dans des dispositifs et des classes multi âges notamment). Elle a peu à voir avec une revalorisation de l’école maternelle dont la force est justement qu’elle soit si fréquentée sans être obligée. Aujourd’hui, 96% des enfants de 3 ans la fréquentent. Il y a des disparités du côté des familles et des territoires, mais au lieu de rassurer ces parents grâce à des moyens, une meilleure qualité et le dialogue, on va vers du répressif, comme une « police des familles », pour reprendre l’expression de Donzelot. De plus, cela peut favoriser le choix d’écoles alternatives pour les « bonnes familles » et, à cet âge, cela va renforcer l’objectif d’une instruction élémentaire au détriment d’une vision éducative élargie. Un vrai manque d’ambition culturelle. Et puis comment vérifier l’instruction d’enfants de trois ans ?

Résister !!
« Pour que le travail permis par le programme de 2015 ne soit pas détricoté, il faut résister ! » clame Pascale Garnier. Résister en sensibilisant les familles pour contre balancer la campagne de désinformation du ministre. Ouvrir la classe, rencontrer les familles. Que la professionnalité enseignante se montre ! Continuer à évaluer de façon positive les élèves. Le carnet de suivi doit continuer à être travaillé, amélioré, élaboré en équipe. Faire vivre le tous capables.

Transposer ce qui est pertinent en Norvège
Une équipe française, dont Pascale Garnier était membre, a réalisé une enquête en Norvège. « Cette enquête a permis d’établir des comparaisons entre nos deux pays » explique-t-elle. En Norvège, il existe une seule structure commune qui intègre la petite enfance et l’école maternelle, de 1 à 5 ans, avec un curriculum éducatif orienté sur le développement de l’enfant, sa maîtrise émotionnelle, son autonomie et les valeurs démocratiques. En France l’activité de l’élève est très vite cadrée par des consignes, un programme d’enseignement et la prise de risque est largement interdite. En Norvège, on privilégie à l’inverse les activités libres, âges mélangés, soutenues par les éducateurs, et les espaces extérieurs sont très largement utilisés, même en ville. C’est rendu possible par un ratio adulte/enfant de un pour six, y compris à 5 ans, mais c’est aussi une autre confiance donnée à l’enfant et aux relations entre enfants. Il est intéressant de réfléchir sur ce que l’on peut retenir de cette souplesse et d’apprentissages beaucoup moins formalisés qui paraissent d’ailleurs plus équitables sur le long terme.

Et de conclure...
L’instruction obligatoire à trois ans ne correspondra pas à une offre de qualité. Les enfants de deux ans risquent de ne plus pouvoir accéder à l’école maternelle. Les conditions de scolarisation risquent de se dégrader. Une politique ambitieuse ne passe pas par une instruction obligatoire. Elle doit se donner les moyens des bonnes conditions de scolarisation et avoir pour objectif une socialisation démocratique. La France a des exigences scolaires trop précoces. A-t-on encore le droit de prendre du temps de vivre à l’école maternelle, sans être dans la course aux objectifs, aux performances ? Apprendre à l’école c’est déjà apprendre l’école. Et pour cela il faut du temps aux enfants et à leurs maitresses.
Litizia Martin

Extrait de cafepedagogique.net du 07.11.18 : UDA : Pascale Garnier : l’école maternelle à la croisée des chemins

 

Université du SNUIPP. Une maternelle de qualité ne passe ni par un renforcement de son caractère scolaire, ni par l’instruction obligatoire à 3 ans (Pascale Garnier)

"On peut avoir des ambitions de qualité pour l’École maternelle mais sans passer par l’obligation de la scolarisation à trois ans" puisque 98 % des élèves vont déjà à l’École maternelle spontanément, mesure qui apparaîtra plutôt comme "un instrument de contrôle social", ni "en renforçant encore davantage la dimension de préparation à la scolarité au détriment du développement global de l’enfant". C’est en ces termes que s’est exprimée, samedi 20 octobre 2018, Pascale Garnier, sociologue qui avait coordonné le groupe d’experts chargés de rédiger le projet de programme pour l’école maternelle en 2015.

Cette professeure en sciences de l’éducation et directrice du laboratoire Experice (Paris 13) est intervenue sur le thème "École maternelle : à la croisée des chemins..." à l’occasion de la 18e édition de l’Université d’automne du SNUIPP-FSU, qui s’est tenue à Port-Lecaute, dans l’Aude, du 19 au 21 octobre. Les 400 participants réunis à l’occasion de ces rencontres, chercheurs, enseignants, représentants de structures telle que la Ligue de l’enseignement, ont été notamment invités à échanger sur les récentes décisions ministérielles et les craintes qu’elles suscitent concernant une "remise en cause" des programmes mis en œuvre lors de la précédente mandature. La chercheuse a fondé ses arguments sur les travaux qu’elle mène depuis 1979 sur la maternelle, ainsi que sur une récente étude menée avec des équipes norvégiennes, qui a consisté à comparer le fonctionnement d’écoles maternelles françaises avec les structures d’accueil des 1 – 6 ans de ce pays.

L’idée qu’il faut travailler dès la maternelle pour résoudre l’échec ne se vérifie pas dans les résultats
Le retour à un renforcement du caractère scolaire à l’École maternelle a été au centre l’intervention de la chercheuse. Pascale Garnier rappelle à ce titre que si ce caractère a toujours existé depuis la création de la maternelle, il occupait au départ une place moins importante à côté des deux autres "finalités", l’accueil des enfants et l’éducation. Mais il a progressivement "fini par envahir la maternelle au point de secondariser les autres" jusqu’à l’élaboration des récents programmes 2015 qui tendaient à revenir sur l’idée qu’il fallait "revaloriser des processus éducatifs globaux", ce qui passait notamment par une "revalorisation du jeu, de la culture artistique, des activités physiques" et l’idée que les enfants sont "tous capables".

Or, analyse la sociologue, s’opère, au vu des récentes décisions et annonces ministérielles, un retour au caractère scolaire de l’École maternelle, alors que, d’une part cette conviction "qu’il faut travailler dès la maternelle pour résoudre les problèmes d’échec" ne se vérifie pas dans les résultats de Pisa pour lesquels les élèves français affichent "des résultats moyens", et que, d’autre part, ce renforcement de la préparation à l’élémentaire "a des effets pervers".

« Le renforcement du caractère scolaire à la maternelle a des effets pervers »
Il introduit notamment très tôt "toute la violence symbolique de l’école", impose "un seul modèle, l’apprentissage de type formel qui écrase la diversité des apprentissages" et l’idée que "si l’élève n’est pas bon à l’école, il ne sera pas bon plus tard". Il introduit aussi très tôt la distinction entre les "familles qualifiées de distantes et celles proches de la culture scolaire", alors que persiste par ailleurs une "rupture avec l’école élémentaire" mais aussi "avec la petite enfance", sachant qu’en France, seuls 18 % des enfants sont accueillis dans des structures de garde collectives.

Pascale Garnier dénonce aussi "une vision réductrice des apprentissages" qui risque de se traduire à nouveau par un accent sur la maîtrise de la langue et l’importance du lexique, notamment au CP, alors que le programme de 2015 défendait l’idée qu’il faut "favoriser la communication des enfants". De plus, "la pression des évaluations" va inciter les enseignants à réduire ce qu’ils font à l’objectif de réussite au "testing". Enfin, la chercheuse dénonce un retour à "la valse des programmes" qui va à l’encontre de l’un des principes fondamentaux de la charte des programmes qui avait prévu que ces derniers devaient être évalués avant d’en faire un nouveau.

Contre les exigences de précocité, donner du temps aux enfants
Pour défendre une autre conception de l’accueil des enfants de 0 à 6 ans, Pascale Garnier a présenté les observations faites par des chercheurs norvégiens venus observer des classes de maternelle en France tandis qu’une équipe française observait une structure d’accueil des 0-6 ans à Oslo. La comparaison de plusieurs indicateurs montre, selon elle, une France "à la traîne" : absence de curriculum pour les 1 à 3 ans ici alors que les enfants de 1 à 5 ans ont le même curriculum en Norvège et sont accueillis dans les mêmes établissements ; les enseignants ici, éducateurs là-bas, ont pour les premiers un master, pour les seconds un master spécialisé, les assistants, en France (les ATSEM) un niveau CAP, en Norvège, un bac spécialisé ; la France investit 7 758 équivalents dollars par enfant contre 13 649 pour le pays nordique ; enfin le ratio adultes/enfants jusqu’à 3 ans est ici de 1 adulte pour 5 enfants, ou pour 8 s’ils marchent, contre 1 pour 2 et 1 pour 5 en Norvège, et de 1 pour 25 élèves pour les 3-5 ans en France contre un adulte pour 6 enfants dans le pays nordique, où les tailles de groupes sont limitées à 18, avec un éducateur et 2 assistants.

Enfin, la chercheuse a mis l’accent sur les différences de temporalités. Les structures norvégiennes ne structurent pas le temps autour de récréations et d’une "alternance rigide", mais tout se joue sous forme d’activités librement choisies, dont 80 % se font à l’extérieur. Par ailleurs, les âges sont mélangés, avec une importante régulation par les adultes des interactions entre enfants, afin qu’ils partagent les activités.

Ce fonctionnement a été montré, sous forme de vidéos, à des enseignants. Si une majorité estime que la France pourrait s’inspirer de quelques points, notamment les ratios d’encadrement mais aussi les évaluations, davantage proches de l’observation en Norvège que de traces papiers, la chercheuse plaide de son côté pour un réel questionnement "des valeurs éducatives et de la conception de l’enfant" en France. Pour elle, on pourrait prendre aussi exemple sur la place laissée à la coopération entre enfants, alors qu’ici elle a tendance à être "cassée par une hiérarchie forte", un élève n’étant pas autorisé à être aidé par un autre dans une tâche et souvent "renvoyé à sa responsabilité face à l’échec". Pascale Garnier va plus loin en évoquant l’idée que l’on pourrait "arriver à ce que tout le monde atteigne le même niveau, quitte à ce que les meilleurs soient freinés". Une conception de l’enfant qui se heurte aux tendances actuelles d’ "exigences de précocité et de résultats scolaires de plus en plus fortes alors même que les études s’allongent", et qui visent "à favoriser l’élite" alors que l’on propose "une scolarité compensatoire aux plus faibles". Pour elle, "il faut donner du temps aux enfants et aux professionnels" et mettre en avant leur "qualité de vie" commune.
Camille Pons

Extrait de touteduc.fr du 22.10.18 : Université du SNUIPP. Une maternelle de qualité ne passe ni par un renforcement de son caractère scolaire, ni par l’instruction obligatoire à 3 ans (Pascale Garnier)

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